Pour faire du secteur des télécommunications un véritable moteur pour le développement du Sénégal
samedi 11 décembre 2010
C’est un truisme de dire qu’au Sénégal le secteur des télécommunications est le plus
dynamique et le plus productif ; avec près de 7% de contribution au PIB en 2009 et plus
de 12% de contribution aux recettes budgétaires de l’état, il est de loin le plus prospère de
l’économie nationale, mais, aussi, par le biais des recettes tirées du trafic international
entrant, parmi ceux qui pèsent le plus favorablement sur la balance des biens et services. En
plus, il participe positivement au rayonnement du Sénégal à l’étranger avec la présence
remarquée de Sonatel dans la sous-région ouest-africaine, son rôle de plaque tournante
dans les communications entre l’Afrique et le reste du monde et sa position de leader à la
BRVM.
Le développement fulgurant de l’activité des centres d’appels est une illustration concrète
des effets positifs du secteur des télécommunications dans les domaines connexes ; les
succès commerciaux de PCCI en Afrique et en Europe en sont une preuve vivante et visible.
A cela s’ajoutent toutes les activités et entreprises locales génératrices d’emplois et de
richesses qui se développent et gravitent autour des opérateurs de télécommunications :
distributeurs de recharges téléphoniques, entreprises de réalisation de travaux de réseaux,
agences de communication, etc.
Un secteur anormalement agité
Mais, paradoxalement, le secteur des télécommunications, qui a besoin d’un cadre
institutionnel serein pour poursuivre son développement et apporter une contribution plus
décisive à la croissance du pays, connaît depuis quelques années des soubresauts
préjudiciables à son épanouissement. Ces événements qui ont fait l’objet de débats publics
passionnés, de commentaires et d’interprétations divers et contradictoires ont pour noms :
– Remise en cause de la licence de Sentel,
– Conditions de vente de la 3
ème
licence,
– Vente d’une partie des actions Sonatel détenues par l’Etat à France Télécom,
– Contrat entre l’ARTP et GVG pour le contrôle du trafic international entrant, etc.
En toile de fond de ces différentes controverses, il semble apparaître un dénominateur
commun : la perception par l’Etat et par certains opérateurs économiques d’une contribution
insuffisante d’un secteur aussi florissant à l’effort de développement du pays. Autour de ce
dénominateur commun se développent alors toute une argumentation plus ou moins
élaborée et des griefs plus ou moins fondés à l’encontre des opérateurs du secteur :
faiblesse de la présence du secteur privé national, contrôle par un opérateur étranger de
l’acteur dominant du marché des télécommunications, hiatus entre les bénéfices réalisés par
les opérateurs de télécommunications et la qualité du service rendu au client, etc.
Au demeurant, il paraît évident que toute cette agitation autour du secteur des
télécommunications n’est profitable ni l’Etat, ni aux acteurs ; elle ne contribue qu’à créer un
climat de méfiance entre eux au détriment des nécessaires synergies pour construire
durablement et faire des télécommunications un formidable atout pour le développement du
Sénégal.
Il convient dès lors, en partant de l’analyse de l’existant, de poser un diagnostic lucide de la
situation actuelle afin de proposer des solutions aptes à renforcer la crédibilité du secteur, à
pacifier les relations entre l’Etat et les opérateurs et à accroître la contribution des
télécommunications à l’effort de développement du pays.
En réalité, quelle est la situation des télécommunications au Sénégal ?
Un secteur objectivement performant
D’abord quelques faits et chiffres :
– Le Sénégal est reconnu comme un pays leader en matière de télécommunications en
Afrique de l’Ouest, voire en Afrique. En particulier, Sonatel est la première entreprise
de la BRVM (de l’ordre de 33 ,33% l’indice BRVM 10) et a reçu les Palmes de la
meilleure entreprise cotée en 2009 ;
– Le poids du secteur des télécommunications dans l’économie nationale est considérable : 7% du PIB, plus de 12% des recettes budgétaires, plus de 10% des
exportations, les investissements les plus importants depuis au moins deux
décennies ;
– Le nombre d’emplois créés est appréciable : plus de 2500 emplois directs et de
l’ordre de 50 000 emplois indirects en 2009 ;
– En 2009, près de 90% de la population est couverte par les réseaux mobiles, ainsi
que près de 95% des villages de plus de 500 habitants ;
– Le taux de pénétration des services de télécommunications, toujours en forte
croissance, est plutôt élevé pour le mobile (environ 62%) [1], mais il reste encore faible
pour l’Internet (moins de 1%) [2] ;
Même si des efforts importants restent à faire pour .
développer l’usage de l’Internet, il convient néanmoins de noter que le Sénégal compte plus de 900 000 [3] internautes grâce à l’existence de l’ADSL qui a permis la création de cybercentres dans de nombreuses localités ;
– Le réseau sénégalais des télécommunications est fortement interconnecté au reste
du monde par des infrastructures modernes à très haut débit telles que les câbles
terrestres ou sous-marins à fibres optiques ; c’est ce qui confère au Sénégal sa
position enviée de plaque tournante entre l’Afrique et le reste du monde.
En somme, les télécommunications peuvent être considérées comme faisant partie des
principaux avantages compétitifs du Sénégal.
Mais qu’en est-il des ambitions affichées par l’Etat et des objectifs qu’il a assignés au secteur
à travers la lettre de politique sectorielle de janvier 2005 ?
Concernant les objectifs quantitatifs, ils sont globalement atteints en matière de parc de
clients et de couverture téléphoniques mobiles, de contribution au PIB et d’investissements
privés dans le secteur. Il reste à s’assurer en fin 2010 de l’achèvement de la desserte des
14200 villages centres.
Concernant les objectifs dont l’évaluation quantitative est moins formalisée, notamment à
travers des indicateurs facilement mesurables et acceptés par tous les acteurs, il est
évidemment plus difficile de donner une appréciation pertinente et objective.
Comment mesurer et prouver que la qualité et la gamme des services offerts ont été
améliorées ?
Comment mesurer et prouver que l’innovation dans les services pour satisfaire les besoins
de l’ensemble des utilisateurs a été favorisée ?
Que dire de la répartition équitable de la valeur générée par le secteur entre les usagers, les
producteurs et ‘Etat en vue d’optimiser la croissance du secteur et de favoriser le
développement de meilleurs services à des prix compétitifs ?
Que dire aussi de la promotion du développement des nouvelles technologies ?
Que dire enfin du développement des ressources humaines et de la création de nouveaux
emplois ?
Tous ces objectifs ambitieux semblent constituer autant de défis à relever pour que le
secteur des télécommunications puisse consolider ses importants acquis et répondre aux
attentes des différentes parties prenantes que sont les utilisateurs, les populations, les
entreprises et l’Etat.
Quelles mesures pour tirer le meilleur parti du secteur des
télécommunications ?
Toutefois, force est de reconnaître que le secteur des télécommunications a besoin de
sérénité et de stabilité pour jouer pleinement son rôle dans le développement du pays. A cet
effet, un certain nombre de mesures à court et moyen termes peuvent être envisagées :
1) Ramener la sérénité dans le secteur et rétablir la confiance entre l’Etat et les acteurs
en :
a) Mettant en œuvre de façon plus rigoureuse les procédures de consultation et
de concertation préconisées dans la lettre de politique sectorielle pour traiter
des questions essentielles du secteur,
b) Trouvant une solution équitable au problème de la licence de SENTEL,
c) Clarifiant définitivement la position de l’Etat par rapport à sa participation au
capital de Sonatel,
d) Rendant compte de façon régulière des performances (qualité de service,
compétitivité, contribution à l’économie nationale, taux de pénétration des
services, etc.) du secteur sur la base d’indicateurs pertinents et consensuels
afin de lui donner la place qu’il mérite et de restaurer son image,
e) Améliorant le cadre institutionnel par une redéfinition des rôles respectifs des
principaux intervenants, en particulier l’ARTP et le ministère de tutelle,
f) En lançant dès maintenant une réflexion prospective sur les conditions de
renouvellement des premières licences qui ont été attribuées.
2) Améliorer la contribution du secteur à l’effort de développement du pays en :
a) Stimulant davantage la compétition dans le secteur par l’exploration des
pistes suivantes : plus de concurrence dans la fourniture de capacités de
transmission internationales et les services Internet et données, licences 3G
pour tous les opérateurs, dégroupage de la boucle locale, portabilité des
numéros, 4
ème
licence globale assortie de privilèges transitoires, etc.
b) Donnant une place significative au privé national dans toute nouvelle licence
attribuée dans le secteur,
c) Mettant en place une fiscalité spécifique au secteur sans pour autant
entraver son développement,
d) Créant un fonds autonome d’appui au développement des contenus et des
services innovants, avec le soutien et la participation des opérateurs du
secteur ;
e) Impulsant la réflexion dans la recherche de niches d’investissements
industriels dans le domaine des technologies de l’information et de la
communication ;
f) Investissant de façon volontariste dans le développement de l’expertise locale
dans les domaines les plus porteurs du secteur des technologies de
l’information et de la communication, par la mise en place de centres de
compétences et/ou de filières d’expertises.
Cet ensemble d’actions est de nature à clarifier le jeu dans le secteur, à rassurer les
investisseurs et à créer un environnement propice à l’éclosion de toutes les potentialités du
secteur.
Il est encore temps de donner au Sénégal la chance de bénéficier pleinement des atouts de
son secteur des télécommunications. C’est essentiellement une affaire de vision, d’ambition
et de volonté politique pour les uns (décideurs), d’intégrité, de compétence et de capacité
d’exécution pour les autres (managers).
Tasrif Tine, Ingénieur en télécommunications
Manager