Plus loin avec...Mactar Guèye, expert de la mouvance présidentielle pour l’audit du fichier : « Certes, les inscriptions multiples sont possibles au niveau des commissions, mais... »
samedi 21 février 2009
Reconnaître et signer à la fin de l’audit avoir obtenu des résultats satisfaisants et, deux jours plus tard, faire volte-face en faisant croire que le fichier n’est pas fiable est un manque de respect aux Sénégalais, estime Mactar Guèye.A l’instar du ministre de l’Intérieur, le porte-parole de la Cap21 qui a pris part, en tant qu’observateur, à l’audit du fichier électoral, invite les mandataires du front Siggil Sénégal à faire preuve de bonne foi.
Wal fadjri : L’opposition remet en cause la fiabilité du fichier électoral, au sortir de l’audit. Le silence du camp présidentiel sur la question confirme-t-il ces accusations ?
Mactar Guèye : Le ministère de l’Intérieur a bien voulu, préalablement à l’audit, ouvrir le centre névralgique d’impression des cartes numérisées pour que nous puissions le visiter. Et au moment du démarrage de l’audit, les mandataires du front Siggil Sénégal ont exhibé des termes de référence qui comportent les points sur lesquels l’audit devait s’opérer. Ses termes de référence étaient au nombre de 11 dont les plus important étaient la recherche éventuelle de doublons, de jeunes qui n’avaient pas atteint 18 ans et seraient inscrits dans le fichier, la recherche d’électeurs décédés entre cet audit et celui de 2007 et qui resteraient toujours actifs dans le fichier et des militaires qui figureraient simultanément sur le fichier des militaires et celui des civils. Au finish, il y a eu comme cela a été prévu un communiqué conjoint qui a été rédigé et paraphé par l’ensemble des acteurs présents (experts des partis politiques, Cena et techniciens du ministère de l’intérieur). Et il y a deux points essentiels de ce communiqué qui méritent d’être soulignés : le point 2 dans lequel le front siggil Sénégal a apprécié positivement l’accès niveau administrateur à la base de donnés. Ce qui lui a permis d’exécuter l’ensemble de ces requêtes. L’autre point significatif c’est le point 4 (il sort et lit le communiqué conjoint signé par les mandataires de l’opposition, la Cena et le directeur de l’automatisation du fichier, Ndlr). Le point 4 dit : ‘S’agissant des requêtes exécutées, le front Siggil Sénégal, après avoir procédé au lancement des requêtes relatives aux termes de référence, a estimé les résultats satisfaisants’. Et le coordonateur des experts du front Siggil Sénégal , Iba Guèye a signé au nom de l’ensemble des experts de sa coalition de même que le directeur de l’automatisation du fichier, Habib Fall qui représentait le ministre de l’Intérieur et le représentant de la Cena, Papa Sambaré ainsi que la mouvance présidentielle qui avait le statut d’observateur. Alors, nous ne comprenons pas que des experts, mandatés par le front Siggil Sénégal, sans qu’on leur ait tordu la main, disent eux-mêmes, après avoir lancé l’ensemble de leurs requêtes relatives à leurs termes de références, estimé que les résultats obtenus ont été satisfaisants et que, par la suite, ces mêmes personnes se retrouvent deux jours après pour dire que le fichier n’est pas fiable. Il s’agit là d’une question de bonne foi parce que c’est dans un but précis que l’on procède à un audit : déceler d’éventuelles distorsions qu’il convient de redresser. Mais reconnaître et signer à la fin de l’audit que nous avons obtenu des résultats satisfaisants pour ensuite, deux jours plus tard faire volte-face en faisant croire que le fichier n’est pas fiable, est un manque de respect aux Sénégalais.
Wal fadjri : Le front Siggil Sénégal fonde ses accusations sur l’existence de ‘grosses niches’ de fraude comme des inscriptions multiples, la non-maîtrise de l’état civil, entre autres...
Mactar Guèye : J’aurais été tout à fait d’accord avec ces griefs qu’ils ont formulés s’ils avaient pris soin d’étayer chacun des points par des preuves palpables à l’attention de la presse et de l’opinion.
Wal fadjri : Qu’entendez-vous par preuves palpables ?
Mactar Guèye : Par exemple quand on dit qu’il y a des inscriptions multiples, il aurait été plus sérieux d’imprimer un spécimen et de tenir par la suite une conférence de presse en disant par exemple je vois sur la liste M. X et c’est le même qui a réussi à voter dans plusieurs endroits différents. Ç’aurait été plus sérieux plutôt que de dire qu’il y a des possibilités de vote multiple. Ce qui est trop vague. Deuxièmement, ils parlent de la non-fiabilité de l’état civil. Je pense qu’ils sont en train d’inverser la vapeur. Et surtout venant de la bouche de personnes qui ont eu à s’illustrer en termes de fraude scientifiquement organisée dans l’ancien régime. Parce qu’en ce moment-là, la biométrie n’existait pas. On a procédé à l’inscription des électeurs sur le fichier électoral sur la simple base de la présentation d’un document d’état civil.
Wal fadjri : Cela est connu. Mais entre-temps, des progrès ont été faits
Mactar Guèye : Je veux simplement rappeler que c’est en ce temps-là que des mairies ont été transformées volontiers en usines de fabrication en série de documents d’état civil (...) d’où la porte ouverte à des fraudes massives. Le régime de l’alternance aura quand-même même eu le mérite de dire qu’il faut une deuxième barrière de contrôle : l’introduction de la biométrie dans notre système électoral. La biométrie est un moyen d’identification de la personne sur la base d’un indice unique pour chaque individu.
Wal fadjri : Pouvez-vous convaincre qu’il n’y a pas possibilité de vote multiple dans ce nouveau système ?
Mactar Guèye : Bien sûr. Parce que nous avons un système qui est tellement contraignant qu’il n’est plus possible de se faire inscrire par procuration ou par ordonnance. Ce qui faussait totalement le jeu démocratique lors des élections précédant l’alternance. Ce nouveau système est contraignant dans le sens où, pour la première fois dans l’histoire électorale du Sénégal, l’inscription exige la présence physique de la personne. Cela, à telle enseigne que la plus haute institution du pays (chef de l’Etat), en dépit de son rang, a été obligée de se déplacer physiquement jusqu’à la préfecture des Almadies, de produire son document d’état civil et de s’asseoir sur un tabouret comme tous, pour se faire photographier, se faire capturer la signature sur une tablette graphique en même temps que son empreinte digitale. Voilà le grand mérite de notre système qui regroupe ces trois modules biométriques qui exigent la présence physique de la personne. Et il en est de même au moment du retrait de sa carte. Le chef de l’Etat a été obligé de se présenter physiquement pour recevoir sa carte. C’est ce qui fait que, quelles que soient les manœuvres frauduleuses d’électeurs indélicats au moment de l’inscription, ces derniers seront toujours déçus pendant le retrait de leur carte. Parce que même s’ils arrivaient à tromper la vigilance des différents responsables des commissions d’inscription en s’inscrivant dans plusieurs communes d’arrondissement , au moment de la récupération de la carte, ils ne pourront pas échapper. Par exemple, il peut arriver que la machine tombe sur 10 personnes ayant le même prénom et des noms de famille différents. Cela peut passer parce qu’ils peuvent ne pas être la même personne. Mais, il y a une deuxième barrière de contrôle : la lecture comparative des empreintes digitales. Et là, la machine s’apercevra, en comparant les empreintes digitales, qu’il s’agit ou non de la même personne. Parce qu’il n’est pas possible que deux êtres humains aient la même empreinte. C’est pourquoi nous disons que certes les inscriptions multiples sont possibles au niveau des commissions mais le vote multiple est impossible pour la bonne et simple raison que la machine ne retient qu’une seule inscription sur la base de la comparaison des empreintes.
Wal fadjri : Où et comment se fait cette vérification ?
Mactar Guèye : Au niveau du centre névralgique de la Direction de l’automatisation du fichier (Daf) ! Parce que nous avons 500 commissions fixes et 200 commissions mobiles et chaque commission est dotée de la même infrastructure : d’un équipement informatique permettant de capturer la signature, les empreintes digitales et de saisir les éléments du fichier d’état civil. Maintenant, en fin de journée, l’ensemble de ces 500 commissions qui existent au niveau national font, à la fin de chaque journée d’inscription, la même opération. Elles se branchent sur le réseau téléphonique comitty (Rtc) et lancent une opération informatique qui fait que toutes les données collectées pendant la journée sont envoyées vers le serveur central de la Daf. Et c’est à ce niveau que se fait le traitement et que les fraudeurs qui ont réussi à s’inscrire plusieurs fois sont épinglés sur la base de la lecture comparative de l’empreinte digitale. C’est sur cette base qu’avant l’élection présidentielle, après la clôture de toutes les inscriptions, 8 855 fraudeurs qui s’étaient inscrits plusieurs fois ont été épinglés.
Wal fadjri : Cette vérification se fait en aval par les techniciens du ministère de l’Intérieur (Daf). Ce qui explique d’ailleurs son rejet par l’opposition qui accuse souvent la Daf d’être de connivence avec son ministère de tutelle
Mactar Guèye : C’est vrai, l’opposition souhaite un système de vérification en amont. C’est-à-dire que, dès qu’à l’inscription vous posez votre main sur la plaquette graphique de capture de l’empreinte digitale, que immédiatement sur l’écran, l’opérateur puisse se rendre compte si vous existez déjà ou pas dans fichier. C’est l’idéal, mais cela supposerait que les 700 ordinateurs qui se trouvent au niveau des différents centres d’inscription sans compter les équipements qui se trouvent au niveau de la diaspora soient interconnectés en réseau et que la biométrie agisse en temps réel. Et cela nécessiterait un investissement qui triplerait en temps réel l’investissement actuel qui a donné naissance à celui dont nous disposons. Puisque nous n’en sommes pas encore-là, la Daf procède de la façon dont je viens d’expliquer.
Propos recueillis par Yakhya Massaly
(Source : Wal Fadjri, 21 février 2009)