Ngoundiane veut souder la fracture numérique entre les villes et les campagnes
vendredi 25 juin 2004
Les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dont l’Internet est le parachèvement, jouent un rôle primordial dans la vie des sociétés. Le Sénégal n’échappe pas au transfert de cette nouvelle technologie, une toile à travers les quatre coins du globe. Mieux, le monde rural enregistre une pénétration, quoique timide. La localité de Ngoundiane a servi de laboratoire à des promoteurs sénégalais et américains. Mais le projet-pilote s’est planté comme un ordinateur infesté de virus ! Même si les populations locales veulent s’ériger en pare-feu, l’équation de la fracture numérique entre les villes et les campagnes demeure toujours actuelle.
La question de la fracture numérique alimente les débats lors des sommets réunissant les décideurs économiques, politiques et les organisations de la société civile.
La sempiternelle question de l’accès à la technologie et à l’information entre le Nord et le Sud refait surface.
Les discussions sur le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic), déjà ébauchées et finalisées au sein de l’Unesco il y a un quart de siècle, sont (ré)actualisées. La métaphore est tout appropriée. Vingt-cinq ans après le rapport de Mac Bride, commandité par l’ancien directeur général de l’Unesco, Amadou Makhtar Mbow, l’histoire bégaie. A quelques nuances près. Un nouveau lexique fixe le décor : la fracture numérique. Le contenu reste inchangé. Les pouvoirs publics n’entendent pas rester à la lisière des NTIC. L’enjeu pour le contrôle des usages de ces techniques est de taille. Des esprits s’accordent à dire que le développement des pays en voie de développement doit nécessairement transiter par l’appropriation des nouvelles technologies, au rang desquelles le réseau des réseaux (Net).
Le secrétaire général de l’Observatoire sur les Systèmes d’Information, les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal (OSIRIS) est de cet avis. ‘’ Nos pays ont bien plus besoin d’Internet que les pays déjà développé ’’, estime-t-il. Même si Olivier Sagna reconnaît que ‘’ c’est un outil au service du développement, mais pas une fin en soi ’’, il n’en demeure pas moins que l’Internet ‘’ sera communautaire ou ne sera pas ’’. Mieux, ‘’ l’accès sera et restera collectif ’’. A l’image du mobile, qui fait office de téléphone communautaire dans certaines localités du pays, la forte tradition communautaire doit servir de levier pour une redistribution des services du Net. En d’autres termes, le réseau des réseaux doit permettre aux habitants du village planétaire d’être en mesure de communiquer, d’échanger, bref de s’approprier l’outil. De l’endogénéiser. De faire corps avec l’instrument.
NGOUNDIANE S’OUVRE SUR LE MONDE PAR LE CANAL DU NET
La communauté rurale de Ngoundiane -à une centaine de kilomètres de Dakar- s’est admirablement inscrite dans cette perspective d’ouvrir une fenêtre sur le monde. Trade Point Sénégal a donné le signal. Joko S.A -qui signifie être en liaison- l’a repris. Non sans mal. Trente deux mois après le lancement du projet, beaucoup d’eau a coulé sous les autoroutes de l’information et de la communication.
En 1996, la Fondation du Trade Point Sénégal -une société d’utilité publique qui promeut la promotion du commerce électronique- permet aux populations de Ngoundiane d’être visibles à travers l’Internet. Le principe consiste à servir d’incubateur de projets et de services à la communauté. Le processus est ainsi enclenché. Les résultats sont mitigés. Le milieu des années 90 a vu la pénétration de l’Internet sous nos tropiques. Une huitaine d’années après son avènement, les zones urbaines et périurbaines sont quasi-maillées pour la plupart. L’illustration la plus parfaite en est le jalonnement des cyber-cafés à travers les artères de la capitale et des villes secondaires. Désormais, les zones rurales sont investies par les NTIC. L’ambitieux projet Internet initié par Joko - sous l’impulsion du chanteur Youssou Ndour et des partenaires américains Hewlett Packard , qui deviendra plus tard Hewlett Packard Company - participe à combler le déficit numérique. L’idée majeure est de permettre l’accès des nouvelles technologies aux communautés défavorisées. En back-office de cette lumineuse inspiration, ces promoteurs veulent créer un modèle qui puisse permettre aux pays pauvres de participer et de bénéficier de la nouvelle économie. Une charge aux allures messianiques. Peu importe. La popularisation de l’Internet, par le canal des clubs Joko, vaut bien une messe.
350 JOKO-CLUB INSCRITS DANS L’AGENDA DES PROMOTEURS
A terme, il était prévu l’ouverture de 350 Joko-club aux quatre coins du pays. L’idée est d’autant plus noble et généreuse qu’elle entre en droite ligne d’une vision communautaire. Un des anciens responsables du projet affirme : ‘’ C’est à but non lucratif ’’. La préoccupation des initiateurs était de rechercher des moyens pour les mettre à la disposition des organisations communautaires de base et à charge pour elles de les gérer.
Au mois d’août 2001, la communauté rurale de Ngoundiane étrenne son cyber-espace communautaire disposant d’un parc informatique (une dizaine d’ordinateurs) et d’une connexion à l’Internet. L’engouement était perceptible dès les premiers double clics. Six cent cinquante hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, titillent l’ordinateur. Le b.a-ba est gratuit. Toutes les catégories socio-professionnelles de la localité apprennent les fondamentaux. Mais l’engouement des premières heures fait place nette à une certaine désaffection. Le cyber-espace communautaire n’est plus couru. A peine quelque 295 habitants ont estimé nécessaire d’approfondir les rudiments qu’ils avaient acquis dès l’ouverture de la page Internet. Entre ces deux fournées d’utilisateurs, les promoteurs appliquent un forfait à la clientèle rurale. Juste 1000 francs Cfa pour apprendre à naviguer. A surfer. A l’image du citoyen du Nord. Comme le voisin des villes. Les populations des campagnes veulent souder la fracture numérique qui ne cesse de s’élargir entre les centres urbains et zones rurales. Mais les autoroutes de l’information et de la communication sont parsemées d’embûches dans les campagnes.
Les pesanteurs culturelles restent vivaces. Selon un des formateurs, M. Boubacar Sow, ‘’ certains rechignent à adhérer au projet, sous prétexte qu’ils n’ont pas le temps, devant entretenir leur champ ’’. D’autres facteurs aggravants sont énumérés comme une litanie. Le fort taux d’analphabétisme (65% au plan national) et le déficit d’infrastructures de télécommunications.
La vitrine de Joko s’est davantage craquelée à cause d’une mauvaise gestion du projet. Selon des informations glanées auprès de certains promoteurs, en adoptant le ‘’tout communautaire’’, certains esprits n’ont pas manqué de souligner la question de la rentabilité. La pauvreté dans les ménages ruraux se présente sous la forme d’une faiblesse des revenus monétaires, d’une baisse du niveau de l’autoconsommation, de difficultés d’accès au crédit et à la terre, de la faible couverture des services sociaux, de la lourdeur du travail des femmes et de la faiblesse du niveau d’instruction. Le décor est peu reluisant. Pis, les Ong qui s’installent dans les zones rurales n’externalisent pas leurs activités. Pour un cyber-espace communautaire, qui voudrait au moins prendre en charge les coûts de la connexion à Internet et les factures téléphoniques, la mission s’avère quasi-insurmontable. Résultat des courses : vingt-deux mois après le démarrage des activités, Joko Ngoundiane est mis en veilleuse.
LA VITRINE JOKO S’EST CRAQUELEE, JOKO NEW LOOK RELEVE LE CHALLENGE
La phase-pilote n’a pas répondu aux attentes des promoteurs. Qu’à cela ne tienne. Les populations ont vite appris. Elles se sont déjà appropriées les NTIC. Cet échec n’a pas pour autant brisé l’élan des habitants. Ils déploient une batterie de stratégies pour mieux vulgariser l’outil informatique. Le rentabiliser. Des niches d’opportunités existent dans les circuits. Il suffit juste de savoir activer les réseaux. Il y a juste un an, les populations locales ont appelé à une levée de fonds ponctuels pour payer les factures de connexion -des retards de paiement ont poussé l’opérateur des télécommunications, la SONATEL, à couper le robinet. Une Ong de la place, Plan International, qui s’active dans le parrainage d’élèves, signe un protocole d’accord avec les bénéficiaires du projet. Joko New Look -c’est la nouvelle dénomination- est chargé de la formation de cent jeunes en raison de 10 000 Francs cfa par personne. ‘’ Cette phase s’est déroulée entre les mois de mars et de mai de l’année dernière ’’, rappelle M. Sow, par ailleurs enseignant dans une école primaire de la communauté rurale. Dans le souci d’optimiser l’existant, l’idée d’un Joko mobile est lancée. ‘’ On parcourt les villages environnants pour initier les gens au maniement de l’ordinateur ’’, explique-t-il. Certaines Ong font appel à leurs services. Des groupements de femmes ont été initiés au langage word et excel. ‘’ Une formation d’agents de la Croix rouge est prévue à Thiès dans le courant du mois de ce mois de juillet ’’, annonce le président de la communauté rurale. Gora Ngom ne veut pas trop s’appesantir sur l’échec du projet Joko. ‘’ On compte relancer le projet, mais en partant sur de solides bases ’’, promet-il. Un projet d’études sera soumis au ministre chargé des NTIC pour réfléchir sur le NEPAD et le monde rural. A l’heure actuelle, l’activité est au point mort au niveau du cyber-espace communautaire. Les deux ou trois animateurs décentralisent leurs prestations de services. Mais les idées foisonnent. Selon M. Ngom, ‘’ une trêve est nécessaire pour rebondir ’’. En adoptant les NTIC, dès son apparition au Sénégal, Ngoundiane a été à l’avant-garde du combat pour l’appropriation de l’Internet. Cela mérite bien de ‘’ne pas s’arrêter en si bon chemin’’, comme le recommande le président du Conseil rural.
Baba THIAM
(Source : Taxi Le Journal N°616 vendredi 25 juin 2004)