Contexte général
Au Sénégal, les nouvelles autorités misent sur un nouveau plan de relance économique (PRES) pour faire face aux difficultés financières que connait le pays. Ce plan, qui sera financé à 90% de ressources nationales, vise à réduire les dépenses publiques et à augmenter les recettes fiscales. Il a pour objectif de mobiliser 5667 milliards de FCFA sur la période 2025–2028, tout en ramenant le déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2027, contre 12 % en 2024. Il doit également permettre une réduction considérable de la dette publique, estimée à 119% du PIB en 2024.
Parmi les mesures annoncées figurent la réduction des charges et du train de vie de l’Etat, la réduction des coûts des voyages à l’étranger, ou encore la taxation de niches de financement “sous-fiscalisées” comme le numérique, le “mobile money”, les jeux en ligne, ou le foncier.
Le mobile money, un véritable outil d’inclusion financière
Les services financiers mobiles, largement adoptés par les populations à petits revenus et porteurs de croissance pour les économies émergentes, constituent aujourd’hui une véritable alternative aux services financiers classiques, encore très peu accessibles en Afrique, et au Sénégal en particulier, où le taux de bancarisation demeure encore très limité : 26% en 2024.
Le mobile money constitue donc un levier sur lequel peuvent s’appuyer autorités pour, significativement, améliorer l’inclusion financière des populations. Au Sénégal, 94% des individus âgés de plus de 15 ans et possédant un téléphone portable affirment détenir un compte auprès d’un opérateur de paiement et de transfert d’argent.
Aujourd’hui le marché du mobile money est en pleine expansion, avec une multitude d’acteurs, des volumes de transactions en forte croissance, et des dizaines de milliers d’emplois créés. Et cela se traduit par une contribution importante à l’économie du pays. Selon la GSMA, en 2023 le mobile money a contribué à prés de 720 Milliards de dollars au PIB des pays dans lesquels le service existe, ce qui équivaut à un impact de +1,7% de croissance.
Comment taxer le Mobile Money et quels peuvent être les impacts ?
Deux modèles de taxation ont été répertoriés dans les différents pays où une taxe a été appliquée au mobile money :
Taxation des transactions client
Le 1er modèle consiste à taxer les transactions effectuées par les clients en appliquant un pourcentage du montant de ladite transaction. Avec ce modèle, la taxe est généralement répercutée sur les tarifs et est généralement supportée par les clients.
Taxation des revenus des opérateurs
Le 2nd modèle consiste à appliquer une taxe directement sur les revenus ou sur la marge des opérateurs de mobile money. Avec ce modèle, la taxe est supportée par les opérateurs.
Principaux impacts dans les pays où une taxe a été mise en place
1. Ouganda
En juillet 2018, une taxe de 1% sur la valeur des transactions Mobile Money (dépôt, transfert, retrait) est entrée en vigueur et a provoqué une importante baisse de la valeur des transactions de 42% du fait que les clients commençaient à sortir du système mobile money.
Il s’en est suivi une vive réaction des associations de consommateurs, des organisations de la société civile qui ont contesté cette taxe. Le gouvernement a donc retiré la taxe en novembre et introduit une taxe de 0,5% uniquement sur le retrait. Taxe qui reste en vigueur à ce jour mais fortement décriée.
La mise en place de la taxe a fortement ralenti les usages et impacté la valeur des transactions mobile money qui a connu une forte baisse : -42%.
2. République du Congo
Fin 2018, une taxe de 1% sur la valeur des transactions Mobile Money (dépôt, transfert, retrait) a été introduite au Congo.
Face à une forte contestation populaire, le gouvernement a amendé la loi pour limiter la taxe au service de retrait.
Néanmoins, cette taxe a induit une baisse en valeur de 30% des transactions, dès le mois de son introduction, fortement ralenti les usages mobiles money avec une baisse des volumes de 17%, un ralentissement sur les recrutements client, une baisse des revenus distributeurs et des opérateurs Mobile Money.
En fin 2020, le gouvernement a initié une réflexion sur l’opportunité de la taxe.
La mise en place de la taxe a également ralenti les usages et impacté la valeur des transactions mobile money qui a connu une forte baisse : -30%.
3. Côte d’Ivoire
En 2018, l’Etat ivoirien avait introduit une taxe de 0,5% sur les transactions mobiles money (dépôt, transfert, retrait). Taxe immédiatement retirée suite à de fortes revendications populaires.
En remplacement, le gouvernement a introduit une taxe spécifique au secteur représentant 7,2% des revenus des opérateurs Mobile Money.
À défaut de pouvoir répercuter cette taxe sur les tarifs, les opérateurs MM ont été obligés de mettre en place un dispositif de réduction des charges en opérant une baisse sur les commissions distributeurs qui représentent ( 50% de leurs revenus), sur les coûts commerciaux (com etc…) et une baisse des effectifs RH afin de préserver les marges.
Cette baisse des commissions distributeurs a conduit à un mouvement social de la part des réseaux de distributeurs.
En conclusion, cette taxe a fortement réduit la capacité d’investissement des opérateurs MM en Côte d’Ivoire et a mis à risque le développement du secteur.
En résumé
Dans la majeure partie des pays où la taxe sur le mobile money a été mise en place, de fortes revendications populaires ont éclaté, et la taxe a provoqué une baisse des usages impactant négativement la valeur du marché.
Mobile Money : Un marché difficile avec des acteurs qui ont du mal à s’en sortir
Dans beaucoup de pays, les autorités ont fait le choix de taxer directement les opérateurs, après avoir essuyé les protestations des populations en essayant de taxer les transactions (cas de la Côte d’Ivoire).
Cette option a très souvent poussé les opérateurs de mobile money à adopter une stratégie d’économie de charges, réduisant drastiquement les commissions des distributeurs, allant même jusqu’à supprimer des emplois.
Cette posture des opérateurs fait transparaitre les difficultés rencontrées par les acteurs du secteur.
Évolution récente
Le graphique ci-dessous représente l’évolution du chiffre d’affaires et du résultat net des EME de la zone UEMOA entre 2020 et 2024 :
En matière de profitabilité, les EME ont enregistré un déficit de 17,3 milliards en 2024, après des pertes de 21,1 milliards en 2023 et de 32,8 milliards à fin 2022.
Cette situation est imputable, entre autres, à la forte baisse des tarifs qui est intervenue dans plusieurs marchés majeurs de la zone (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Fasso …), et qui a fortement impacté les marges des EME (émetteurs de monnaie électronique).
Au Sénégal, seul l’acteur Wave enregistre un résultat positif à date. La mise en place d’une taxe pourrait donc fortement fragiliser la position des différents acteurs, et entraver la bonne dynamique de ce marché, à un moment où les autorités misent sur la transformation numérique de la société pour booster l’économie.
Recommandations
Dans un contexte économique difficile, marqué par la crise budgétaire de l’Etat et l’explosion de la dette publique, les autorités comptent sur une meilleure mobilisation des ressources internes pour rééquilibrer les comptes de l’Etat.
Le Mobile Money est en pleine expansion au Sénégal, participant activement à l’inclusion financière de populations qui jusque-là n’avaient pas accès aux services financiers, et contribuant significativement à la croissance économique du pays.
Il est donc primordial de préserver cette dynamique de croissance du mobile money en mettant en place un modèle optimal de taxation.
Quelques recommandations :
– Travailler avec les acteurs du secteur (opérateurs, régulateur, associations de consommateurs…) sur la définition du meilleur modèle de taxation à adopter.
– Utiliser le mobile money pour avoir une meilleure visibilité des transactions financières échappant à la fiscalité, notamment celles du secteur informel, et le positionner comme un outil permettant de faciliter la collecte des taxes.
– Prendre en compte le projet d’interopérabilité de la BCEAO qui vise à accélérer l’inclusion financière et qui implique la gratuité sur de nombreux services.
(Source : Le Techobservateur, 19 août 2025)