Michelle Ntab Ndiaye, Directrice AMARC Afrique : “Le cadre juridique flou retarde l’attribution des fréquences”
mardi 20 janvier 2004
La radio communautaire est un outil de développement à la base, mais son rôle n’est pas appréhendé à sa juste valeur. Aujourd’hui, au-delà du combat pour la reconnaissance du secteur des radios communautaires, le combat qu’il faut mener, pour la directrice régionale de l’Association mondiale des radios communautaires (Amarc) c’est de se mobiliser pour créer un cadre juridique favorable à l’épanouissement des radios.
Wal Fadjri : Le paysage audiovisuel sénégalais est peu fourni en radios communautaires contrairement aux autres pays africains. Comment appréciez-vous cette situation ?
Michelle NTAB NDIAYE : Je pense qu’effectivement, on est très en retard dans le domaine du développement de la radio communautaire. Le Mali, qui est juste à côté de nous, compte environ 68 radios associatives et communautaires. En Côte d’Ivoire, vous en avez 48 et la Côte d’Ivoire est en train de donner une cinquantaine de fréquences. Au Ghana, vous en avez aussi une vingtaine. Le Sénégal est un peu, en Afrique de l’Ouest je devrais dire, à la traîne. Ceci pour différentes raisons. La radio communautaire est un outil de communication encore très mal connue. Et il y a des difficultés pour l’obtention des fréquences bien sûr, mais aussi pour la reconnaissance du secteur. La visite que nous venons d’effectuer nous a encore une fois édifié sur ces difficultés. Tout est lié à un problème de cadre juridique qui prendrait en compte l’importance de ce secteur, qui est un maillon central de la radiodiffusion. Ce sont des radios qui font du service public en étant vraiment à proximité des populations. Il y a un gros effort à faire pour que le secteur soit mieux reconnu, pour que l’attribution des fréquences aux radios communautaires soit une réalité au Sénégal. Je sais qu’il y a énormément de demandes d’associations qui attendent leur fréquence et cela tarde à se matérialiser. Nous avons aussi beaucoup d’actions de lobbying que l’on mène au niveau de l’Etat pour insister sur l’importance de ce secteur qui agit pour le développement. Quand je fais le bilan au niveau de l’Afrique, oui nous sommes très en retard.
Wal Fadjri : Le Sénégal en plus d’être en retard dans la promotion des radios communautaires, connaît depuis quelques semaines une querelle de légitimité que se livrent deux associations de radios communautaires. Quelle est la position de l’Amarc vis-à-vis de ces deux associations ?
Michelle NTAB NDIAYE :Lorsque l’Amarc intervient dans un pays, nous travaillons avec les radios membres d’un réseau. Et notre stratégie depuis le début a été de travailler avec les réseaux au niveau national. Cette situation de scission dans un pays n’est pas nouvelle pour nous. Nous passons notre temps à gérer l’émergence de nouveaux réseaux qui concurrencent les réseaux déjà existants. Mais je pense qu’il faut gérer cela avec la plus grande prudence. C’est vrai que c’est malheureux de trouver une scission au Sénégal. Je ne m’y attendais pas du tout. Mais il faudrait faire avec et aider à un dialogue entre ces deux réseaux. Mais cela n’empêche en rien l’Amarc d’intervenir au niveau des radios. Parce que chaque radio, individuellement, est membre de l’Amarc et membre d’un réseau national quelconque. Donc notre devoir, c’est de travailler avec les radios et c’est ce que nous ferons. L’existence de l’Arc ne gênera en rien le fait que l’on travaille avec l’Arpac et vice versa. J’aimerais être claire là-dessus.
Wal Fadjri : Quelles sont les zones d’intervention de l’Amarc en Afrique de l’Ouest en particulier ?
Michelle NTAB NDIAYE : Amarc Afrique couvre l’ensemble des pays en-dessous du Sahara. Le Maghreb ne fait pas partie encore de l’association, malheureusement. Mais il y a des tentatives sont en cours pour intégrer cette partie du continent au sein de l’Amarc. Nous avons divisé l’Amarc en deux zones d’intervention. L’Afrique de l’Ouest et centrale d’une part et l’Afrique de l’Est et australe d’autre part. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest, nous avons à peu près 156 radios qui opèrent. Mais à travers le continent, nous avons 363 radios. Il y a énormément, du fait du cadre juridique très flou et de la difficulté d’obtention des fréquences, de projets de radios qui attendent leur fréquence. Et cela dans presque tous les pays en Afrique, avec bien sûr des pays qu’on appelle les « pays difficiles ». Ce sont des contrées où la radio communautaire est considérée comme un outil de communication très dangereux, parce que aidant les populations à s’emparer du micro, et dont il faut se méfier. Cela n’aide évidemment pas l’obtention de fréquences.
Wal Fadjri : Peut-on avoir une idée des contraintes constatées sur le terrain ?
Michelle NTAB NDIAYE : Je crois que les difficultés sont similaires, d’un pays à un autre. Lorsque la législation est bonne, lorsqu’il y a un cadre juridique qui permet le développement de ces radios, les contraintes restent les mêmes. Elles sont surtout liées à la situation géographique de ces radios. Très souvent, elles opèrent en milieu rural et ont beaucoup de difficultés à générer des revenus. D’autant que la radio communautaire est considérée comme une radio associative, ne pouvant donc pas faire de publicité. Elle vit en général de petits communiqués et de “sponsors”. C’est un handicap pour le développement et la viabilité de ces radios. C’est une première contrainte très lourde à laquelle les radios font face. La deuxième contrainte, c’est la législation comme je l’ai dit. Il faudrait un cadre juridique approprié qui puisse permettre aux radios de s’épanouir. Lorsque je parle de cadre juridique, je pense à l’obtention des fréquences qui est très difficile. Mais je pense aussi au paiement de la redevance, qui est encore très élevée pour des radios associatives, à l’aide à la presse qui, dans certains pays, exclut les radios communautaires. Il y a bien sûr les contraintes de ressources humaines et de formation. Très souvent, les gens qui viennent dans les radios communautaires ne sont pas formés. Ce sont des bénévoles et des volontaires. Il y a donc un souci de formation permanent. Ma conviction est pour que la radio communautaire continue à vivre, il faut continuer à faire de la formation. Les gens qui viennent le font par souci de volontarisme. Ils ne connaissent rien à la radio parfois et ont juste envie de communiquer avec leur communauté. Et cela est aussi un gros handicap.
Wal Fadjri : Quelles sont les nouvelles stratégies de développement pour l’Amarc ?
Michelle NTAB NDIAYE : Au niveau de l’Amarc Afrique, nous avons mis en place plusieurs stratégies pour pallier ces contraintes mais aussi aider à la viabilité des radios. La première stratégie, c’est l’aide aux projets de radio. Créer une radio communautaire n’est pas chose facile. L’ancrage communautaire est très important. Lorsqu’on vient dans une communauté pour y implanter une radio, il faut avoir l’adhésion de la communauté. Donc nous avons mis en place un programme qui nous permet d’accompagner ces projets de radio du début du projet jusqu’à l’obtention de la fréquence. Le deuxième programme s’intéresse à la formation qui est une des contraintes majeures de ces radios. Et nous avons misé sur la formation en production radiophonique, en maintenance préventive, etc. Nous avons ajouté un nouveau volet relatif à l’initiation à Internet, à l’accès aux nouvelles technologies et la production numérique. Une enquête sur le terrain a permis de voir quelles étaient les possibilités que ces radios avaient en matière d’accès à Internet. Et une des possibilités dans les zones où la connexion est impossible, c’est le satellite. Nous avons bien sûr un programme de renforcement des capacités des femmes, de promotion de l’approche genre dans les radios communautaires. Le dernier programme, qui est un programme d’échanges, a deux volets. Un volet échange de productions à travers l’agence d’information « Simbani » (qui signifie « parler » en langue chiwa, qui est parlée au Mozambique, en Zambie et au Zimbabwé ). A côté de ce volet information, il y a un volet échange de visiteurs. Nous avons mis en place ce volet pour permettre aux radiodiffuseurs en Afrique de se rencontrer le plus souvent, d’échanger et de comparer les expériences. Ce programme a commencé en 2000 et nous comptons le poursuivre parce qu’il y a énormément de demandes.
Mbagnick NGOM
(Source : Wal Fadjri 20 janvier 2004)