Meta recule sur la vérification des faits, l’Afrique face à ses propres défis
jeudi 9 janvier 2025
A l’ère des réseaux sociaux, la gestion des contenus en ligne oppose liberté d’expression et contrôle de l’information. Face à des critiques croissantes sur ses méthodes, Meta reconsidère ses politiques, amorçant une transition qui pourrait impacter la crédibilité de ses plateformes sociales à l’échelle mondiale.
Le mardi 7 janvier 2025, Meta, le géant des médias sociaux dirigé par Mark Zuckerberg, a annoncé qu’il mettrait fin à son programme de vérification des faits par des tiers aux Etats-Unis. Il permettait à des médias ou à des organisations non gouvernementales de sélectionner et vérifier des informations publiées sur Facebook ou Instagram. Un message de vérification apparaissait sous les contenus trompeurs ou faux traités par ces partenaires, rémunérés pour cette tâche.
À la place de cette solution, l’entreprise introduira un programme de notes communautaires, similaire à celui adopté par X (anciennement Twitter) sous la direction d’Elon Musk. Ce programme, qui débutera aux États-Unis, vise à encourager les utilisateurs à participer activement à l’évaluation des contenus sur Facebook, Instagram et Threads.
« Ce qui avait pour but d’offrir plus d’informations aux utilisateurs s’est transformé en un outil de censure. Nous avons constaté une vérification excessive qui a étouffé des débats politiques légitimes. Notre nouveau programme communautaire vise à donner plus de pouvoir aux utilisateurs, tout en assumant les risques potentiels de contenus préjudiciables », a expliqué Joel Kaplan, responsable des Affaires internationales chez Meta, et ancien dirigeant républicain, dans un billet de blog.
Cette initiative coïncide avec le retour de Donald Trump à la présidence. Elle intervient après des tensions durant son précédent mandat, où Trump avait critiqué Meta pour des politiques perçues comme hostiles aux voix conservatrices, notamment après son bannissement temporaire en 2021. Lors du point de presse tenu mardi, Donald Trump s’est réjoui de la nouvelle politique de modération de contenu de Meta. Interrogé sur un éventuel lien entre ce revirement et ses précédentes menaces contre Zuckerberg, à qui il a promis la prison à vie en cas d’illégalité, le futur chef de l’Etat a déclaré sans ambages « probablement, oui ».
Les enjeux pour l’Afrique
Si cette nouvelle politique concerne uniquement les États-Unis pour l’instant, elle soulève des questions sur l’avenir de la modération des contenus dans d’autres régions, notamment en Afrique. Les réseaux sociaux y jouent un rôle central dans l’accès à l’information, mais ils constituent aussi un terrain fertile pour la propagation de fausses nouvelles, des discours de haine ou encore des contenus illicites.
Selon une étude menée en juin 2024 par l’entreprise australienne KnowBe4, 84 % des Africains utilisent les réseaux sociaux comme principale source d’information, et 80 % d’entre eux privilégient Facebook. Cette dépendance aux plateformes sociales facilite l’accès à l’information, mais contribue également à la polarisation des opinions et à la propagation de contenus manipulés, ce qui représente un danger pour la cohésion sociale et l’investissement économique dans des contextes fragiles.
Un exemple marquant remonte à 2018, lorsqu’un faux compte Twitter attribuait au chef de l’opposition nigériane, Atiku Abubakar, alors candidat à l’élection présidentielle, un message remerciant l’Association of Nigerian Gay Men pour son soutien et promettant de défendre leur cause s’il était élu. Cette fausse information avait suscité une vive indignation et affaibli la position du politicien, notamment dans le nord du Nigeria à majorité musulmane.
Des conséquences réelles sur la stabilité
Dans une note publiée en avril 2024, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique indiquait que les campagnes de désinformation visant à manipuler les systèmes d’information africains ont presque quadruplé depuis 2022, profitant de l’expansion rapide de la portée et de l’accessibilité des communications numériques. 189 campagnes de désinformation documentées en Afrique ont été identifiées, mais le chiffre est considéré comme sous-estimé au regard de la nature opaque de la désinformation.
Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique soutient que « l’ampleur de la désinformation est étroitement liée à l’instabilité. Les campagnes de désinformation ont été directement à l’origine de violences meurtrières, ont encouragé et validé des coups d’État militaires, ont réduit les membres de la société civile au silence et ont servi de paravent à la corruption et à l’exploitation. Cela a eu des conséquences concrètes sur les droits, les libertés et la sécurité des Africains ».
A travers sa collaboration avec diverses organisations publiques et privées africaines, Meta est l’une des entreprises à l’avant-garde de la lutte contre la désinformation sur le continent. C’est un atout de poids dans plusieurs pays où les actions des gouvernements contre les fake news demeurent faibles. Dans son étude « La lutte contre la désinformation dans les politiques publiques francophones état des lieux comparatif » publiée en 2022, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) identifiait déjà l’inexistence de textes législatifs et réglementaires consacrés à la lutte contre la désinformation comme l’une des causes de sa prolifération. Bien que les Etats criminalisent la propagation de fausses nouvelles dans leur loi sur la communication, ils peinent encore à s’en prémunir efficacement sur les nouveaux médias que sont les réseaux sociaux.
L’OIF soutenait que « c’est notamment le cas dans la majorité des pays africains subsahariens, où seule la Mauritanie dispose d’une loi spécifiquement consacrée à la lutte contre la désinformation. Conséquemment, nombre de pays ne disposent pas d’institutions spécialisées dans la lutte contre la désinformation. S’agissant des instances de régulation des médias, nombre d’entre elles n’ont pas la compétence légale pour réguler les réseaux sociaux, espaces par excellence de propagation de la désinformation en Afrique subsaharienne francophone ».
La nouvelle politique de modération de contenu de Meta - qui s’appuie sur les utilisateurs eux-mêmes pour évaluer et signaler les contenus douteux – est critiquée et jugée controversée, car un doute demeure sur la pertinence et la crédibilité des utilisateurs qui donneront les notes. Cette décision de Meta, bien qu’actuellement limitée aux États-Unis, met en lumière l’urgence pour les gouvernements africains de développer des politiques adaptées à la gestion des contenus en ligne. Sur un continent où la régulation des réseaux sociaux reste insuffisante, cela pourrait devenir un levier clé pour contrer la désinformation et garantir un environnement numérique plus sain.
Samira Njoya
(Source : Agence Ecofin, 9 janvier 2025)