Fini la TV publique. La disparition des monopoles a suscité la création de près de 300 chaînes privées dans 44 pays, qui se partagent 700 millions de téléspectateurs. Reste à organiser le marché de la production.
Il y a quelques années, les téléspectateurs africains n’avaient d’autre choix que de suivre les programmes des télévisions d’État. Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne compte pas moins de 300 chaînes, dont 80 % ont été créées par des privés. Le numéro un sénégalais de l’industrie musicale, El Hadj Ibrahima Ndiaye, en fait partie, depuis le rachat en 2002 de la RTS 2S publique, devenue 2STV. Comme l’entrepreneur camerounais Colin Ebarko Mukete, actionnaire majoritaire de MTN Cameroun et créateur de Spectrum TV. Ou encore l’homme d’affaires béninois Christian Lagnidé, fondateur du groupe LC2 et détenteur pour l’Afrique des droits de diffusion de la Coupe d’Afrique des nations (CAN).
L’intérêt des téléspectateurs pour ces chaînes grandit massivement. Les prochains tournois de football de la CAN, qui se déroule en Angola en janvier 2010, et ceux de la Coupe du monde, organisée en Afrique du Sud six mois plus tard, y contribuent fortement. Patrick Jucaud, organisateur du premier marché des programmes, Discop Africa, estime qu’il se vendra cette année en Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, près de 40 millions de téléviseurs, provenant principalement d’Asie.
Forte hausse de la demande
Quelque 400 professionnels venus de trente pays, acheteurs et diffuseurs de contenus, ont participé à Discop Africa, à Dakar, du 25 au 27 février, témoignant de la réalité du marché audiovisuel africain. À la demande de programmes de la part de jeunes chaînes se livrant une concurrence féroce s’ajoute celle de stations internationales, diffusées ou non sur le continent.
En tête, l’américaine Afrotainment. Elle prévoit de consacrer un tiers de son budget de 3,5 millions de dollars par an à l’acquisition de séries et de films africains, qui constituent l’intégralité de sa grille. Créée le 8 décembre 2008, Afrotainment est disponible sur Dish-Network, le deuxième bouquet de télévisions par satellite aux États-Unis. Elle revendique « 45 000 foyers abonnés à la fin de janvier, un score largement au-dessus de nos prévisions », note le Gabonais Yves Bollanga, son fondateur et actionnaire majoritaire, qui estime être le meilleur client international des productions africaines, devant Africa Magic, une chaîne du bouquet sud-africain Multichoice (650 000 abonnés hors Afrique du Sud, selon l’institut AfricaNext), et Canal Horizons (400 000).
L’opérateur français contribue aussi à l’internationalisation des productions africaines. Depuis octobre dernier, il diffuse en France, sur Internet, six chaînes d’Afrique francophone, dont une privée, dans le cadre de l’offre Neufbox de SFR, qui fait partie du même groupe. Initié par la société de production française Thema, ce « bouquet africain » comptait en janvier 10 000 abonnés. « C’est ce que nous attendions au bout d’un an », se réjouit le fondateur de Thema, François Thiellet, qui compte lancer bientôt un second bouquet sur Internet, composé principalement de chaînes privées. De son côté, Canal Horizons manifeste un intérêt croissant pour les contenus locaux. « Nous voulons diffuser des chaînes africaines en plus grand nombre sur notre satellite, et nous savons qu’elles se nourrissent de programmes africains », indique sa représentante à Dakar, Bénédicte Chenuet.
Les chaînes manquent de moyens
Côté télés africaines, la faiblesse financière constitue encore un obstacle majeur pour l’élaboration des programmes. « Une chaîne sérieuse nécessite un investissement de départ d’au moins 20 milliards de F CFA [30 millions d’euros] et un budget annuel de 3 milliards de F CFA pour les salaires et le fonctionnement », explique Mactar Silla, directeur général de Spectrum TV, au Cameroun (lire p. 79). Des montants à comparer avec les droits de la CAN, par exemple, facturés jusqu’à 1 million d’euros pour les pays qualifiés. Le sport et l’info sont les deux priorités de la plupart des chaînes.
Le manque de moyens est si criant que la série comique ivoirienne Dr Boris - créée en 2007, aujourd’hui diffusée dans sept pays - doit son succès au mode de distribution mis en place par son producteur, la société Initiativ. « Nous assurons nous-mêmes le lien entre les annonceurs et les télévisions, explique Mathilde Lafarge, responsable commerciale de la société Fooka Diffusion, chargée de la distribution de la série. À chaque fois, nous cherchons un partenaire commercial qui va se joindre au produit publicitairement. » 2STV diffuse ainsi Dr Boris au Sénégal grâce au soutien de la Banque atlantique. « Il faut une dizaine de chaînes pour supporter le coût réel d’une production de qualité », explique Alain Foka, spécialiste des médias à RFI.
Les comptes d’Initiativ s’équilibrent à peine : un épisode de Dr Boris se vend 1 500 euros quand le budget du tournage représente un coût largement supérieur : « Il est de 150 millions de F CFA [230 000 euros] pour deux saisons, soit 52 épisodes », selon Leticia N’Cho. La société prépare néanmoins le lancement de deux autres feuilletons, Talons aiguilles et chocolat et Crampons d’ébène. Elle est l’un des symboles de la vitalité des productions francophones, Côte d’Ivoire et Burkina en tête avec des séries comme Ma famille (Lad Production) ou Kadi Jolie, réalisée par Idrissa Ouédraogo. Mais leur dynamisme est sans commune mesure avec celui du Nigeria, que Ramanou Kouferidji, fondateur d’Imanle Africa, dernière née, en mai 2006, des cinq télévisions privées béninoises, cite en « exemple de réussite africaine ».
Deuxième producteur mondial après Bollywood, en Inde, Nollywood réalise 2 000 films par an avec des budgets de 2 000 à 10 000 dollars (1 à 5 millions de F CFA). D’après Steve Oyo, PDG de Nollywood Worldwide Entertainment, également propriétaire de Galaxy TV, l’une des treize stations privées du pays, la recette est simple : « 80 % des producteurs sont d’anciens acteurs. Ils possèdent leur matériel, font travailler leurs amis en les payant peu et tournent en quelques jours. » Malgré ces budgets serrés et leur succès, il arrive à cause des pirates que les productions nigérianes soient déficitaires ou à peine sauvées par les ventes de DVD, qui représentent un chiffre d’affaires annuel de 14 millions de dollars aux États-Unis, selon Yves Bollanga.
Quelles solutions contre le piratage ?
En même temps qu’elle nuit à la rentabilité des producteurs, la fraude fausse la concurrence entre les chaînes. « Quand les films sortent en DVD, 100 000 copies peuvent être écoulées en une journée », déplore Mactar Silla, qui est également président de l’Association privée des producteurs et télévisions d’Afrique (Appta). « De nombreuses chaînes diffusent des programmes piratés sans se préoccuper des droits, ajoute le responsable d’une télévision sénégalaise sous le couvert de l’anonymat. Il arrive que des annonceurs sponsorisent ces émissions ! »
Quelles solutions pour améliorer l’activité des acteurs de l’audiovisuel africain et mieux la rentabiliser ? Nombre d’acheteurs réunis à Dakar à la fin de février regrettent que la vente des contenus soit soumise à un marchandage, parfois acharné, avec les vendeurs et que ceux-ci ne garantissent pas une certaine forme d’exclusivité. D’où l’idée de la mise en place de grilles tarifaires, qui pourraient être régionales. Cette option ne séduit pas Pedro Macedo, responsable des programmes de la station privée mozambicaine Tim TV, qui rappelle l’existence d’une autre concurrence, à moindre coût : « Un épisode de telenovelas [séries sud-américaines qui ont beaucoup de succès en Afrique] coûte entre 500 et 2 500 dollars. »
La solution peut-elle alors venir de la publicité ? Patrick Jucaud, organisateur du Discop, estime que 1 milliard d’euros ont été dépensés l’année dernière en Afrique subsaharienne et prévoit des augmentations à deux chiffres de ces investissements en 2009 et 2010 dans la perspective des prochaines compétitions de football. Pourtant, les annonceurs étaient les grands absents du premier marché de l’audiovisuel africain. Peut-être se satisfont-ils de la situation actuelle, qui leur permet de sponsoriser la diffusion d’une série, à raison de 3 à 4 millions de F CFA pour trois mois (exemple pris au Sénégal), et de mieux contrôler leur présence à l’antenne qu’à travers des plages de publicité à 20 000 F CFA les trente secondes... Pour les annonceurs, autant que pour combattre le piratage et la concurrence sauvage, la création d’un organisme de régulation s’impose. Si personne n’en prend la responsabilité, le marché tranchera. Comme partout ailleurs, seuls les plus compétents ou les plus puissants subsisteront.
Patrick Sandouly, avec Cécile Sow
(Source : [http://wwww.jeuneafrique.com/], 26 mars 2009)