Les télécoms au Sénégal : Une réforme qui s’impose ! (Contribution du Groupe de réflexion Initiatives citoyennes publiée dans le journal Le Soleil les 26 et 27 avril 2001)
jeudi 26 avril 2001
DEVANT L’EXPLOSION des télécommunications dans le monde, le Sénégal reste dominé par le monopole de la Sonatel, société à capitaux mixtes à
hauteur de 33,3 % pour France Télécoms et 66,7 % pour l’Etat sénégalais. L’actuel gouvernement a hérité d’une situation très mal gérée par son
prédécesseur qui a voulu privatiser sans aucune transparence dans les conditions que tout le monde déplore aujourd’hui. Dans cet exposé, nous
laisserons aux politiques la tâche de dire comment on en est arrivé là. Notre but est de faire un diagnostic et proposer des solutions.
SONATEL, UN MONOPOLE QUI EMPÊCHE UNE VÉRITABLE CONCURRENCE
La Sonatel possède la totalité du réseau téléphonique fixe du Sénégal. De par sa nature de société d’Etat dans le passé, elle fut responsable de la mise
en place la totalité du réseau téléphonique fixe du pays. Mais ce rôle de service public n’a pas survécu la privatisation. En se partageant les
investissements de la Sonatel, l’Etat et France Télécoms héritent de la totalité du réseau. Cependant la Sonatel, même privatisée, garde une position
dominante dans le marché. Elle impose les règles, les prix et l’accès au réseau téléphonique national et international. Pour accéder au réseau national
depuis l’étranger, la Sonatel est un passage obligé pour les abonnés des différents opérateurs téléphoniques au Sénégal. Son héritage lui donne
possession des centraux d’échanges téléphoniques internationaux du Sénégal.
Ce manque de diversité dans le choix des opérateurs force les Sénégalais à utiliser la Sonatel quel qu’en soient le prix et la qualité des services. Elle a le
monopole et ne peut pas faire face à ses obligations car se faire installer un téléphone fixe au pays relève parfois du parcours du combattant sauf si on a
les « bras longs ». Problème de logistique ou volonté affichée de limiter le réseau fixe beaucoup plus coûteux à installer ? La Sonatel ne nous dira jamais.
Le réseau Internet qui est fixe par nature, est aussi sous sa mainmise. Cela a d’ailleurs retardé l’introduction de l’Internet au Sénégal. Ce n’est qu’en
1996 que la Sonatel s’intéresse à l’Internet pour enfin en ouvrir l’accès aux Sénégalais. Pourtant, de 1989 à 1995, de grandes sociétés installées au pays
utilisaient déjà les moyens du bord pour accéder au monde en utilisant des méthodes d’encapsulation IP (Internet Protocol).
Seule maîtresse des voies d’accès aux autoroutes de l’information, la Sonatel dispose là encore d’un autre outil pour s’imposer. À côté du réseau fixe, se
développe un réseau cellulaire sur la bande des 900 MHZ GSM que se partagent la Sonatel et la Sentel. La loi 96-03 qui réglemente les télécoms
sénégalaises donne à la Sonatel l’exclusivité des appels cellulaires internationaux et les bénéfices juteux du roaming international.
Pour ce qui est du téléphone cellulaire, un abonné de la Sentel dépendra forcément de la bonne volonté de la Sonatel pour passer ses communications.
Pour mieux faire comprendre le problème posé par ce monopole, nous utiliserons des exemples concrets du quotidien d’un opérateur de téléphone
cellulaire. Nous utiliserons les exemples deux abonnés cellulaires Samba et Demba.
Premier cas : Samba et Demba habitent Dakar. Ils ont chacun un téléphone cellulaire et sont tous deux abonnés de la Sentel. Samba utilise son
cellulaire et appelle Demba sur son cellulaire. On suppose que l’appel est local puisque Samba et Demba sont à Dakar au moment de l’appel.
Dans ce cas particulier, l’appel téléphonique se passe totalement dans les ondes et la Sentel perçoit tous les bénéfices. Elle n’a pas utilisé le réseau de
la Sonatel. Elle a ses propres tours et antennes téléphoniques qui lui permettent d’assurer l’appel de Samba vers Demba.
Deuxième cas : Samba et Demba sont toujours abonnés de la Sentel. Mais cette fois-ci, Samba est à Dakar et Demba est à Kaolack. L’appel, par
conséquent, n’est plus un appel local mais un appel « longue distance ». Les antennes de la Sentel ne rayonnent pas jusqu’à Kaolack. Elle est donc
obligée d’emprunter le réseau fixe de la Sonatel pour acheminer l’appel jusqu’à Kaolack avant d’utiliser sur place ses propres ondes pour joindre Demba.
Elle doit payer à la Sonatel le parcours téléphonique de Dakar à Kaolack. La Sonatel perçoit une bonne partie du revenu de cet appel. En tant que
propriétaire du réseau fixe, la Sonatel impose son prix pour le parcours de Dakar à Kaolack.
Troisième cas : imaginons maintenant que Samba et Demba soient tous deux abonnés de la Sonatel. Tout comme dans le premier cas où Samba et
Demba sont à Dakar, la Sonatel utilise son réseau cellulaire et contrôle le prix, l’accès et les ressources. La concurrence, dans ce cas, est honnête.
Quatrième cas : Samba et Demba sont toujours abonnés de la Sonatel. Samba qui est à Dakar appelle Demba à Kaolack. La situation est nettement à
l’avantage de la Sonatel. L’appel est toujours considéré « longue distance » sauf que dans ce cas, la Sonatel utilise son propre réseau fixe pour acheminer
l’appel à Kaolack avant de le délivrer par le biais des ondes. Dans ce cas, la Sonatel utilise gratuitement le réseau fixe déjà amorti depuis la nuit des
temps où elle était encore une société publique.
Les autres cas de figure de concurrence déloyale sont inscrits dans les réalités des appels téléphoniques qui sont à 90 % des appels du téléphone fixe à
cellulaire ou de cellulaire à téléphone fixe et seulement 10 % d’appels de cellulaire à cellulaire dans le meilleur des cas. Et là encore sur les appels
fixe-cellulaire ou cellulaire-fixe la Sonatel perçoit une partie de la communication du fait que l’appel est originaire du réseau fixe ou destiné au réseau fixe.
LES COMMUNICATIONS INTERNATIONALES, UNE VACHE A LAIT POUR LA SONATEL
Le prix de la communication téléphonique constitue une autre arme redoutable. Mais, commençons d’abord par dissiper quelques mythes avant de
parler de prix. La détermination du prix de la communication téléphonique relève d’un ensemble de critères qui échappent à la technique. Les ingénieurs
délivrent un système et l’opérateur fixe son prix aux abonnés. Dans un marché concurrentiel, l’offre et la demande déterminent le prix du marché. Dans
une situation de monopole, le prix est purement artificiel.
Puisque nous ne disposons pas des données locales pour évaluer le prix du téléphone local, nous examinerons les détails d’une minute de téléphone
international arrivant au Sénégal.
Une chose est sûre cependant, la Sonatel utilise les Sénégalais de l’Extérieur pour financer les baisses de prix à l’échelle nationale.
Prenons, pour exemple, un appel téléphonique depuis les USA vers le Sénégal et à titre de comparaison, nous utiliserons la Gambie, enclavée à
l’intérieur du Sénégal. La Federal Communications Commission (FCC) américaine est formelle, en matière de prix en direction du Sénégal : c’est la
Sonatel qui impose les règles. Ce prix est basé sur une valeur de référence déclarée à la FCC. Cette valeur de référence détermine le prix à la minute
que la Sonatel impose pour accepter de traiter un appel venant de l’étranger vers ses centraux téléphoniques qui sont au Sénégal. Cette valeur de
référence est différente pour chaque pays (France, Italie, Gabon, Nigeria etc.). Ici, nous nous intéresserons seulement au cas américain. Au 1er Mars
2001, cette valeur de référence est fixée à $1,18/mn (826 FCFA/mn). En guise de comparaison, la valeur de référence imposée par l’opérateur gambien
est fixée à $0,47/mn (329 FCFA/mn) soit moins que la moitié de la valeur imposée par la Sonatel.
Les opérateurs étrangers prennent exactement la moitié du prix de la minute de communication qu’ils délivrent au Sénégal. Donc sur chaque minute
d’appel en provenance des USA, la Sonatel touche 413 FCFA. Inversement, par la règle de la réciprocité, l’opérateur américain touche 413 FCFA pour
chaque minute d’appel au départ du Sénégal vers l’Amérique. Ceci n’est pas très risqué pour la Sonatel car, en 1996 par exemple, les appels depuis
l’Amérique ont excédé ceux qui sont au départ du Sénégal de 11.518.185 minutes (chiffres fournis par l’Union Internationale des Télécommunications).
En valeur actuelle, les opérateurs américains verseraient près de 5 milliards de FCFA à la Sonatel pour terminer leurs appels.
Il ne faut pas confondre la valeur de référence avec le prix de la minute de communication facturé. En effet, l’opérateur ajoute toujours une marge à ce
prix. C’est ainsi qu’une minute d’appel téléphonique depuis les USA vers le Sénégal, au meilleur prix, coûte $1,58 (1106 FCA) et la même minute vers la
Gambie coûte $0,71 (497 FCFA).
Cette situation n’est pas saine pour les entreprises sénégalaises qui consomment un volume important d’appels téléphoniques vers l’étranger. Dans le
cas des USA par exemple, les opérateurs américains rétorquent et facturent à la Sonatel 413 FCFA pour chaque minute d’appel qu’ils traitent pour la
Sonatel qui, pour faire du bénéfice, ajoute une marge à ce prix.
Il est donc légitime de se poser la question de savoir si les bénéfices ainsi amassés par la Sonatel valent les pertes des entreprises privées et publiques
sénégalaises utilisatrices du téléphone.
POUR UNE VÉRITABLE CONCURRENCE, UNE REFORME S’IMPOSE !
Les solutions que nous proposons s’articulent autour de trois axes :
– La disparition du monopole de la Sonatel
– L’obligation contractuelle de la portabilité des numéros de téléphones fixes et mobiles.
– L’acquisition et l’installation de nouvelles technologies de télécommunications.
CASSER LE MONOPOLE DE LA SONATEL
Le premier volet de ces réformes passe par la suppression immédiate de la situation de monopole de la Sonatel au profit d’entités indépendantes les
unes des autres.
– Une entité indépendante qui gère le téléphone fixe local.
– Une entité indépendante qui opère dans le cellulaire.
– Une entité indépendante qui s’occupe de « longue distance ».
Toutes ces entités seraient indépendantes et soumises à la concurrence de telle sorte que la détermination des prix et l’accès au réseau soient
équitables pour tous les concurrents. Dans une telle situation, la Sonatel et la Sentel paieraient le même prix pour acheminer leurs appels et la
détermination du prix et des revenus qui en découlent dépendraient purement et simplement de l’agressivité des opérateurs et de leur habilité à
comprendre leur marché et à créer une situation d’économie d’échelles.
Ceci permettrait à tous les opérateurs de s’implanter au Sénégal sans avoir à se déplumer pour concurrencer la Sonatel.
IMPOSER LA PORTABILITÉ DES NUMÉROS DE TÉLÉPHONE
Le deuxième volet s’articule autour des nouvelles techniques qui permettent de garantir une concurrence saine entre les opérateurs. Dans un milieu
concurrentiel, il est préférable de tout faire pour déjouer les astuces des opérateurs à limiter la volatilité des clients. Dans un environnement
concurrentiel, l’abonné a le droit de changer d’opérateur téléphonique autant qu’il veut sans être pénalisé. En gros, c’est le rapport qualité/prix qui
détermine la fidélité des abonnés.
Dans le monde du téléphone, les opérateurs se partagent un ensemble de numéros de téléphone à distribuer à leurs abonnés. Ces numéros sont
souvent différenciés par un code attribué à l’opérateur. C’est ainsi que les numéros cellulaires de la Sonatel commencent par 63 et ceux de la Sentel par
66 (variation possible). Un abonné mécontent de son opérateur devra changer de numéro de téléphone en s’abonnant chez le concurrent. Ce
phénomène a tendance à fidéliser injustement les abonnés à un opérateur.
Pour palier à cela, une intelligence (portabilité des numéros et des services) installée au niveau des centraux des signaux permet de changer d’opérateur
sans avoir à changer de numéro de téléphone, cassant ainsi les barrières réglementaires favorisant le monopole.
Pour asseoir une concurrence saine, le gouvernement devra obliger tous les acquéreurs de licence téléphonique au Sénégal à s’équiper de cette
technologie.
ALLER VERS LA FIBRE OPTIQUE EN INTÉGRANT LE SON, LES DONNÉES ET L’IMAGE
Le troisième volet est celui de l’Internet et des nouvelles technologies.
Le Sénégal en particulier, et les pays du tiers-monde en général, doivent éviter de suivre le pas des pays développés en matière de technologie. Le
Sénégal doit éviter que les pays européens installent, chez nous, une « technologie de pointe » déjà amortie chez eux depuis des années et qu’ils installent
dans nos pays se servant ainsi de nos ressources pour financer l’acquisition de nouvelles technologies.
On doit immédiatement acquérir la meilleure technologie du moment, se préservant ainsi de modifications ou de réarrangements souvent très coûteux.
On doit s’orienter dès maintenant vers une technologie d’intégration de la voix, des données et de la vidéo sur fibre optique (n’ayons pas peur).
CRÉER UNE HAUTE AUTORITÉ SPÉCIFIQUE AUX TÉLÉCOMS
Pour mettre en place cet ensemble de réformes, le gouvernement devra créer une haute autorité qui se chargera de veiller au respect strict des règles et
accords entre les différentes sociétés ainsi créées.
À ce titre, l’organisation devra obligatoirement être uniquement composée d’éléments compétents en matière de télécommunications. Elle aura pour
tâche de réglementer le téléphone au Sénégal car nous savons que le développement du pays dépend de beaucoup de notre présence dans le domaine
des technologies nouvelles. L’option actuelle du gouvernement qui consiste à mettre l’hydraulique et le téléphone sous la même autorité n’est pas viable.
Les exigences et contraintes de ces deux technologies ainsi que les conditions de marché ne sont pas les mêmes.
Il faudra aussi penser à élargir le réseau téléphonique. On sait que si ce n’est pour des raisons de service public, aucun opérateur téléphonique ne se
serait donné la peine d’investir dans les zones rurales où il n’y a pratiquement pas d’espoir de rentabilité.
Afin de régler ce problème épineux de couverture téléphonique des zones éloignées, la technologie du téléphone mobile-fixe a été développée. Cette
technologie utilise les ondes radio dans les endroits reculés pour communiquer avec un central téléphonique local qui lui permet d’accéder au réseau
national ou international.
La distance du central téléphonique à l’émetteur radio dépend de la technologie radio utilisée, mais un coût
raisonnable pourrait prendre en compte une vingtaine de kilomètres. Cela veut dire, que les populations éloignées de
20 kms du central téléphonique peuvent avoir accès au téléphone sans faire parvenir un seul câble téléphonique
chez eux. L’économie des moyens réalisée dans ce cas est très importante. Cet aspect économique fait de cette
technologie un bon candidat pour les pays en voie de développement.
Le déploiement de cette technologie au Sénégal ouvrirait éventuellement d’autres marchés téléphoniques où des Sociétés spécialisées pourraient bien
piloter des expériences soutenues par l’Etat ou les organismes internationaux.
Pour finir, rappelons que le gouvernement de l’alternance a osé mettre en cause les privatisations de la Sentel et de la Senelec. Nous pouvons espérer
qu’il sera également motivé pour obliger la Sonatel à se plier immédiatement aux règles de la concurrence. Le sort final des télécoms sénégalais
dépendra de l’attitude des Sénégalais mais aussi des autres entreprises dont les plans développement sont menacés par le monopole de la Sonatel. Et
que le meilleur gagne.
GROUPE DE RÉFLEXION : INITIATIVES CITOYENNES
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