Les NTIC ne se résument pas à des outils (El Hadj Hamidou Kassé, D.G du journal Le Soleil)
jeudi 19 juin 2003
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans une édition en ligne ? Effet de mode ?
La première préoccupation était tout à fait d’ordre conjoncturel. C’était la mode de se lancer dans le domaine de l’Internet. La seconde raison, c’est que nous avons une communauté sénégalaise, à l’extérieur, ce qu’on appelle la diaspora sénégalaise, qui est assez importante. La troisième : comme tout le monde était au net, il fallait bien et il fallait trouver des objectifs. Je pense que c’était assez important, pour la bonne et simple raison qu’au-delà du Sénégal, il y a des positions affirmées sur la scène internationale, également des cibles à atteindre, et au plan commercial, des raisons qui font que nous étions obligés d’élargir un peu notre marché publicitaire. Si l’annonceur sait que nous sommes lus par des Sénégalais de l’extérieur et également par des Ivoiriens, des Français ou des Américains, etc., il est tout à fait évident qu’il peut nous faire confiance, pour faire une annonce dans notre site. Et, pour moi, cet aspect commercial était extrêmement important et demeure encore extrêmement important.
Et pourtant, premier groupe de presse en Afrique occidentale à lancer une édition en ligne, vous affirmez aujourd’hui : « Nous sommes en panne sèche ». Cette franchise ne pousse guère à l’optimisme ?
Vous savez, les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne se résument pas uniquement à des outils, ou à une technologie. Il y a également des problèmes de contenu. Donc, il ne s’agit pas de maîtriser l’outil technologique, il faut également des personnes ou des ressources humaines qui peuvent élaborer des concepts, des stratégies, des démarches pour non seulement animer les contenus élaborés, mais également au-delà des contenus qu’on puisse avoir accès au marché publicitaire. Et cela n’existe pas toujours. Il s’est passé que celui qui s’occupait de cela chez nous devrait finalement quitter l’entreprise pour des raisons « politiques ». Parce que cette personne devrait aller conseiller un Président d’une République. Nous n’avions plus de ressources humaines, pour animer justement le concept qui devrait nous permettre d’élaborer davantage le contenu, mais également d’avoir accès au marché publicitaire. C’est aussi simple que ça !
Pourquoi alors avoir mis la charrue avant les boeufs ?
Ce n’est pas la charrue avant les boeufs ! Quand on faisait notre stratégie, la personne était présente. C’est un accident de l’histoire qu’il y ait eu une alternance dans un pays ouest africain. Cette personne travaillait avec nous et comme je l’ai dit, pour des raisons « politiques », il fallait que cette personne parte. Moi, personnellement je peux m’occuper de ce service. Mais en tant que Directeur général de la société, je ne peux pas me spécialiser dans un domaine. Je suis obligé de m’occuper de management et de gestion.
L’enthousiasme du départ a fait place à la réalité. Aujourd’hui, avec du recul et l’expérience, que n’auriez-vous pas fait ?
Si c’était à recommencer, je crois qu’au niveau en tout cas des Nouvelles technologies de l’information et de la communication, nous aurions placé quelqu’un à côté de la personne qui est partie. Pour avoir le concept, le réflexe, être ce que j’appelle stratégiste. Il nous aurait aidé, justement, à élaborer les meilleures stratégies, pour non seulement animer des contenus, mais également agir au plan commercial, afin que nous puissions rentabiliser ou mettre à profit ce nouvel outil qu’est Internet.
Quel(s) conseils donneriez-vous à un groupe de presse, ou à un journal qui voudrait se lancer dans cet « effet de mode » ?
Mais justement, pour que ce ne soit pas un « effet de mode », ce que j’aurais conseillé, c’est d’abord de faire des études. Il faut se dire : nous avons déjà un support classique, et un support supplémentaire. Que pouvons-nous faire avec ce nouveau support ? De deux : qu’est-ce-que ce support peut nous apporter aussi bien au plan de l’élaboration des contenus, de l’élargissement de notre cible qu’au plan commercial. Ce sont des études à faire. Et ce qui nous manque le plus, au niveau des médias africains, ce sont les études pointues, qui nous permettent de dire :nous créons un journal, nous créons un site web, nous créons un nouveau produit par rapport à telle clientèle, par rapport à telle cible pour tel(s) objectif(s) ou pour tel(s) résultat(s). Ca ,c’est fondamental, et je pense qu’on ne peut pas y échapper ! Il faut bien que nous nous habituions à cette question fondamentale : qu’est-ce que nous visons à travers tel ou tel produit que nous mettons sur le marché ? Ou que nous voulons mettre sur le marché ?
Vous disiez que vous dépensez dix millions par an
Ou même beaucoup plus
Pour quel résultat ?
Résultat nul ! Pour la bonne et simple raison que nous n’avons pas encore une stratégie pour rentabiliser le site que nous avons créé.
Ma question demeure donc. Pourquoi avoir mis la charrue avant les boeufs ?
Mais c’est justement la charrue avant le boeuf. Nous nous sommes lancés dans un concept sans en maîtriser forcément les contours, sans nous poser la question de la rentabilité, sans nous dire quel contenu, au préalable, mettre dans ce nouvel espace de communication et d’information.
L’expérience, c’est le nom qu’on donne à ses erreurs...
Je ne pense pas seulement qu’on puisse analyser toute cette histoire sous le concept d’erreur. Vous savez, l’histoire est une succession d’inventions, d’évènements A cha-que invention, on invente un nouveau concept Au fond, nous ne pouvions pas faire autre chose que ce que nous avons fait. Maintenant, il s’agit de tirer les leçons de tout ça, pour élaborer des concepts qui nous permettent, aujourd’hui, de rentabiliser le site et de proposer des contenus.
(Source : Fraternité Matin 19 juin 2003)