Cette étude se propose d’analyser l’impact de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur l’évolution
positive du processus démocratique en cours. L’Etat du Sénégal a hérité du système des télécommunications de l’ancienne puissance occupante,
sous la tutelle principalement du ministère de l’Information et dans la même entité que les services postaux. Ce n’est qu’en 1985, par une
réforme de ce secteur que la Société nationale des télécommunications existe de façon distincte, avec le regroupement sous la même entité
des télécommunications nationales et des télécommunications internationales, ces dernières étant régies jusqu’alors par la société
TELESENEGAL. Les concepteurs politiques perçoivent vaguement que le développement du secteur des télécommunications verra l’avènement
d’une société de la communication fondée sur de nouvelles technologies de l’information et de la communication émergentes.
Nous partirons du constat que l’Etat sénégalais qui a utilisé ces technologies pour stocker ses données statistiques aux fins de gestion des
finances publiques, de contrôle de la masse salariale, de perception des impôts et de surveillance policière des populations, s’est confronté à
partir de la seconde moitié des années 90, à la nécessité désormais avérée de diffusion sans entraves de l’information. Ensuite que, face aux
différentes variations de la politique nationale en matière de nouvelles technologies, la mondialisation offre des opportunités alternatives en
donnant à tous les peuples un seul et même sens à leurs aspirations à la démocratie et à la liberté d’expression.
Le processus qui aboutira, dans les cinq années à venir , à la libération de l’information du contrôle politique du pouvoir d’Etat, va joindre
l’informatique et les télécommunications à la radio dans une formidable logique de diffusion sans entraves ni bornes de l’information. Nous
avons observé les procédures techniques et financières internes du développement de ces nouvelles technologies de l’information et de la
communication. Au passage nous aurons étudié l’utilisation de l’informatique dans la perception rendue plus performante des recettes de l’Etat,
dans la gestion du personnel de l’Etat rendue plus civilisée, dans la maîtrise la masse salariale, en un mot dans la modernisation de l’Etat
sénégalais, celle ci étant comprise comme une dimension de la démocratisation de la société sénégalaise.
Mais cette diffusion sans entraves des informations n’est pas inscrite dans les desseins de la classe dirigeante. Aussi sa politique en matière de
communication officielle reste prudente. Néanmoins , dès 1994, la naissance des radios privées introduit des éléments de comparaison et donc
une cause d’émulation à brève ou moyenne échéance.
Mutations
Au demeurant avec l’éclosion des stations de radios privées Fm, qui utilisent ces nouvelles technologies de l’information et de la communication,
la liberté d’expression fait un grand bond en avant. Une partie de la société de la communication sénégalaise qui n’avait utilisé jusqu’ici
l’informatique que comme moyen de stockage de l’information rendue confidentielle, se retrouve ébranlée dans sa logique première. Elle est
obligée défendre ses conceptions et aussi loin que l’Etat est concerné, parfois avec des manières autoritaires avec les méthodes répressifs de
gouvernement, ou de biaiser avec l’introduction de la notion « d’information sensible » dans la communication administrative et dans le rapport
avec les Forces armées nationales, ou de céder au compromis comme pendant les différentes périodes électorales de l’ère des nouvelles
technologies de l’information et de la communication.
Avec des catégories professionnelles qui ont fait vœu de se battre pour la liberté d’expression comme celle des journalistes, l’impact de la
volonté de démocratiser la société sénégalaise est très forte. Un déroulement sommaire de l’histoire politique du Sénégal, perçue à travers les
élections, montre un progrès continu de la politique vers la démocratie, quelle que soit par ailleurs la réticence des détenteurs de pouvoirs. Les
artifices des nouvelles techniques de l’information et de la communication, combinant leurs ressources au service de la vérité et de la
transparence, ont déjoué plus d’un mauvais tour. Le centre le plus névralgique et le plus opaque du système d’administration politique du pays, le
ministère de l’Intérieur a subi sous ce rapport une mutation remarquable que nous décrivons à partir de ses anciennes dispositions jusqu’à sa
participation décisive à l’organisation d’élections transparentes et sincères dont les résultats ont été acceptés par toutes les parties
concernées, et qui ont émerveillé l’opinion internationale.
Il s’agira alors d’évaluer les tentatives effectuées par l’administration sénégalaise pour s’adapter à cette exigence de libre et large diffusion
de l’information. Nous verrons ainsi que l’impératif de stockage, promu par les politiques antérieures se fondant sur le culte du secret, a pu
servir une nouvelle cause apparemment contraire qui est celle d’informer le plus grand nombre possible de citoyens. Cette interaction a produit
un résultat positif sur le processus démocratique, notamment en matière de droit à l’information et de liberté d’expression.
Un modèle transposable ?
Mais l’interrogation demeure. Les acquis engrangés par l’expérience sénégalaise sont- ils transposables dans d’autres sociétés africaines ?
L’exemple ivoirien, quelques mois après les élections sénégalaises, semble être un démenti. Toutes les rédactions sénégalaises y avaient envoyé
des reporters, mais malgré une couverture correcte de l’événement qui a tenu en haleine l’opinion sénégalaise, toutes les conditions de
transparence et de sincérité qu’ils ont imposées aux deux tours de scrutin présidentiel à Dakar, ne se sont pas trouvées réunies à Abidjan.
Nous avons taché d’en décrypter les signaux et d’en tirer les enseignements en comparaison aussi avec les errements du scrutin présidentiel
américain, que la coïncidence dans l’actualité mais aussi certaines circonstances particulières imposent.
La grande équation reste cependant de résoudre la question de savoir si le fait démocratique sénégalais tel que vécu avec le rôle conjugué de
l’informatique, de l’Internet et de la téléphonie mobile est un fait irréversible. La réponse est prudente puisque le nouveau régime issu de
l’alternance, malgré sa complicité antérieure avec la presse dans leur lutte commune qui pour le pouvoir, qui pour la démocratie, est venu sous un
ton menaçant, fixer de nouvelles limites à la presse. Par ailleurs le nouveau président élu Maître Abdoulaye Wade, oubliant sa longue animosité
contre la télévision dont les responsables étaient aux ordres, utilise aujourd’hui ce médium à fond, comme jamais son prédécesseur ne l’a fait.
Cette nouvelle faiblesse envers les médias publics, longtemps voués aux gémonies, à laquelle l’ancienne opposition a succombé, serait normale si
son accaparement de ces médias d’Etat n’hypothéquait pas leur démocratisation et le pluralisme dans l’audiovisuel. Les projets d’ouverture
laissés en l’état par le régime précédent vont- ils en souffrir ? Pour le moment, les radios privées qui ont été à l’origine des changements vécus
sont maintenant relégués au second plan par les nouvelles autorités au profit de la télévision nationale. La presse écrite que l’on oublie souvent
parce que son rôle est plus profond et plus durable est sur Internet depuis plusieurs années. Elle a de ce fait l’avantage d’être lue de par le
monde dès le petit matin. Elle est pour cela sous la menace du quotidienne d’un nouveau pouvoir qui semble revisiter les impératifs de stockages
des informations selon l’ancien régime avec moins de nuances que les théoriciens du dioufisme.
* in Les nouvelles technologies de l’information et le processus démocratique au Sénégal