Les médias sociaux pèsent-ils sur l’élection au Sénégal ?
lundi 27 février 2012
Le Sénégal est dans le peloton de tête des pays de l’Afrique de l’ouest pour l’infrastructure télécom. Mais, avec un taux d’à peine 16% de pénétration de l’internet on doit se demander si les informations disponibles online et les médias sociaux peuvent faire une différence dans l’élection présidentielle.
Le taux de pénétration du téléphone fixe est de moins de 3%. Il est de 80% pour le mobile. Un peu plus de la moitié des connections au net se font sur le réseau 3G. 650 000 sénégalais sont sur Facebook soit près de 5% du total, mais plus de 70% de la population en ligne avec une augmentation de 85 000 personnes dans les six derniers mois.
Ces chiffres m’ont été donnés par Olivier Sagna fondateur d’Osiris.sn, l’Observatoire sur les Systèmes d’Information, les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal. Un des tous premiers observatoires de ce genre, c’est la source d’information indépendante sur les technologies de l’information la plus complète que j’ai trouvé lors de mon périple africain. Une innovation d’autant plus remarquable qu’elle remonte à 1998 et se révèle de plus en plus utile. Historien de formation et documentaliste Sagna affirme qu’il n’est « surtout pas informaticien ».
Dans « société de l’information, le mot le plus important est ’société’ », dit-il. Il se veut une « sentinelle » de la société civile pour tout ce qui concerne les TIC. Pour mieux y parvenir il a fait le pari d’un site « multi acteurs » avec participation des secteurs privés et publics, des universités et des médias. « Nous sommes tout sauf neutres. Nous sommes pour les logiciels libre, le Creative Commons, l’accès ouvert, le travail bénévole... tout ça ». Ainsi m’a-t-il déclaré : « au lieu que nos ordinateurs soient dans les nuages, qu’on les mette dans nos savanes. Nous devons construire les infrastructures et y exercer une certaine souveraineté. »
C’est lui qui, lors de notre entretien à Dakar en octobre dernier m’a déclaré que le Sénégal fait mieux que ses voisins « grâce à un opérateur public correctement géré » et à des ressources humaines de qualité.
Certains sont tentés d’attribuer une bonne part du mérite à Orange qui possède 42% du capital de la Sonatel, principal opérateur sénégalais.
Mais si l’infrastructure est plutôt bonne, l’héritage colonial est plutôt négatif en matière d’innovation. Le dynamisme est moindre que dans les pays sous influence anglo-saxonne. « Nous avons hérité du colbertisme, ils sont plus pragmatiques » estime Sagna avec un regret que j’ai constaté ailleurs. « On doit partir du fait que tout est interdit. Ça prend plus de temps à se mettre en place, » dit-il.
L’élection du 26 février a vu des avancées notables. Absents en ligne pour la campagne précédente, les candidats significatifs ont un site web et une page Facebook. Certains ont même un blog et mettent des vidéos sur YouTube.
La plus connue des initiatives citoyennes est Sénégal2012 qui a sa page Facebook. C’est utile pour la diaspora et pour les jeunes qui suivent sur leur mobile.
Bilan : l’information accessible sur l’internet joue un rôle « important mais pas décisif ». Dans un courriel qu’il m’a envoyé cette semaine, Sagna estime que « les réseaux sociaux ne jouent pas un rôle déterminant dans la mobilisation des citoyens sénégalais. Les messages passent plus par les radios, les télévisions privées et le téléphone portable. Par contre, ils jouent un rôle important pour l’alimentation en informations pas chères de la presse privée qui dispose de peu de moyen pour avoir des gens partout. [Cela] contribue à relayer et amplifier les informations auxquelles seule une minorité peut accéder sur le net ». Une alliance que nous avons déjà vue à l’œuvre ailleurs.
Francis Pisani
(Source : Winch 5, 26 février 2012)