Le juge tunisien Mokhtar Yahyaoui n’a pas sa langue dans sa poche. Démis de ses fonctions en 2001 pour avoir osé demander au président Ben Ali une justice indépendante, il n’a plus le droit de se rendre à l’étranger. Mais il lui reste son blog pour critiquer le gouvernement de son pays : « Une dictature qui s’agrippe au pouvoir, qui veut tout contrôler et nous compter même les souffles d’air par lesquels on respire », écrit-il sur son blog (http://yahyaoui.blogspot.com/).
Les blogs, journaux personnels sur Internet, mis à jour très facilement et instantanément, se multiplient à toute allure touchant tous les sujets, de la vie privée au cinéma, de la science et à l’actualité... Pour les opposants du Maghreb et d’Afrique noire, c’est devenu un moyen commode d’atteindre leurs concitoyens et la diaspora, surtout des pays où la presse n’est pas libre de critiquer les régimes en place.
Plus facile à gérer qu’un site, souvent hébergé gratuitement par les serveurs qui en assurent la promotion, le blog est un outil simple rapidement connu des internautes lorsqu’il est tenu à jour régulièrement. Ce qui dérange parfois. Ainsi, lorsque le 19 octobre dernier, Yahyaoui entame avec d’autres opposants une grève de la faim « pour exiger le respect des libertés et des droits fondamentaux en Tunisie », son blog est bloqué, son téléphone coupé. Grâce à Reporters sans Frontières (Rsf), il récupère son passe auprès de son hébergeur américain.
Selon le responsable de la section Internet de Rsf, Julien Pain, la censure sur le continent sévit surtout en Afrique du Nord, principalement en Tunisie, en Libye : « A ma connaissance, en Afrique noire, il n’y a pas encore de censure de l’Internet ».
Le Kinois Antony Katombe, éditeur à ses heures perdues du Blog du Congolais (http://congomania.afrikblog.com/), le confirme : « On ne m’a pas mis les bâtons dans les roues pour m’exprimer sur Internet. » Pourtant, son blog d’« analyses politiques sur la situation au Congo Kinshasa », ne ménage pas ses critiques envers le pouvoir.
Pour les journalistes ou n’importe quel citoyen, les blogs sont ainsi devenus un outil d’expression pratique et efficace. Dans certains cas, ils sont une source d’information de premier choix et même des relais d’actions contre les pouvoirs en place. Manal et Alaa, un couple de jeunes bloggers, veulent avec leur site www.manalaa.net « aider toute personne dont le discours serait censuré et persécuté en Egypte ».
Julien Pain a dirigé Le guide pratique du blogger et du cyberdissident (téléchargeable gratuitement sur http://www.rsf.org/), un condensé de techniques pour publier son blog dans les pays où Internet est contrôlé. Il soutient ce genre de combat, nouveau pour Rssf. « A Reporters sans frontières, on défend au départ la liberté de la presse, les journalistes. Mais on a pensé que dans certains pays, certains bloggers, pas tous, font un travail qui peut s’apparenter à un travail de journaliste. Et surtout, ils apportent une information que les médias traditionnels n’apportent pas. »
Ethan Zuckerman, un amoureux du continent, chercheur à l’Université d’Harvard, cofondateur du site Global Voices (http://cyber.law.harvard.edu/global...) et créateur de BlogAfrica (http://www.blogafrica.com/), promeut l’information alternative donnée par les blogs du monde entier. Pour lui, le blog a de l’avenir en Afrique, même s’il y a du chemin à faire : il évalue entre 5 000 et 25 000 le nombre de blogs africains sur les 25 millions qui existeraient dans le monde.
Ils sont plus nombreux en Afrique anglophone que francophone. Ory Okolloh, jeune avocate passée par Harvard, appartient à la dynamique communauté des bloggers kenyans, la plus intéressante en Afrique, selon Zuckerman. Son blog (http://www.kenyanpundit.com/) analyse l’actualité de son pays. Malgré une audience encore faible, les blogs africains sont utiles, estime Ory, parce qu’ils donnent « une vue du terrain ». Même si elle n’écrit pas pour eux, elle déclare que la majorité de ses lecteurs vivent en Amérique du Nord et en Europe, faute de réseaux Internet suffisants en Afrique. Anthony Katombe, qui s’est donné comme mission de lutter contre « la propagande du pouvoir » à partir de Kinshasa, écrit aussi pour « atteindre les Congolais de la diaspora ».
« Les blogs en Afrique n’ont pas encore une large audience, reconnaît Zuckerman. Pour les opposants politiques, c’est certainement plus important d’utiliser la radio, la télévision et d’autres médias de masse pour diffuser leurs messages. » C’est pourquoi les pouvoirs autoritaires africains laissent faire. « Pour les gouvernants, estime le malgache Barijaona, un des pionniers du blog en Afrique (http://homepage.mac.com/barijaona), il ne serait pas très rentable de tenter de censurer Internet. »
Moctar KANE (Syfia)
(Source : [Wal Fadjri->http://www.walf.sn/@,21 février 2006)