Le contexte de la pandémie COVID-19 a favorisé substantiellement au changement de nos méthodes de travail. En effet, longtemps considéré comme une alternative réservée à une certaine catégorie socio- professionnelle, l’utilisation du numérique dans la réalisation des tâches professionnelles a connu une nouvelle dimension avec l’adoption du télétravail. Au Sénégal le recours au travail à distance communément appelé TELETRAVAIL, été une nouvelle formule présente aussi bien dans le cadre de l’éducation et de la formation que dans monde professionnel.
La notion de télétravail s’inscrit dans une démarche d’amélioration de l’organisation du travail et s’appuie sur les technologies numeriques.IL s’agit d’un travail effectué hors des locaux de l’employeur de façon régulière et volontaire [1].En réalité, le télétravail ou par extension le travail en distance ne renvoie pas techniquement à un aménagement du temps de travail, mais c’est plutôt une modalité d’organisation du travail. L’exercice du travail n’a en effet aucune incidence sur le décompte du temps effectif.
Force est de constater que la fracture numérique est une réalité au Sénégal, la prégnance des tics dans nos différentes activités quotidiennes cache mal la dépendance de plus en plus accrue à l’internet. Le besoin de connectivité à l’heure actuelle est vital pour un grand nombre d’internautes. Par contre du point de vue normatif, la gouvernance de l’écosystème numérique au Sénégal a fait de nombreuses performances tant dans la production d’instrument et d’organe de régulation [2] tant dans la recherche d’une meilleure protection des utilisateurs [3]. Toutefois dans le cadre de l’application du télétravail, une léthargie est souvent constatée notamment sur l’inexistence d’un régime juridique propice au ‘’télétravailleur’’ dans la législation sénégalaise, les carences en terme de maîtrise et de confiance sur les usages du numérique et sans évoquer le déficit en logistiques souvent peu adaptés.
De ce fait on pourrait se demander dans quel cas de figure le télétravail peut-il être applicable ? Quel serait le statut juridique du télétravailleur au Sénégal ? Comment serait encadrée sa durée légale ? Sommes-nous assez préparés pour adopter le travail à distance ?
Autant d’interrogations légitimes à soulever dont nous tenterons d’appréhender dans une démarche descriptive.
Par commodité nous essayerons de décrire le cadre informel du télétravail au Sénégal (A), une étape par laquelle des éventuelles interrogations relatives au régime juridique (B) et à l’environnement du télétravail (C) pourraient être soulevées. Cependant, quelques avantages du télétravail feront l’objet d’une illustration assez détaillée(D).
Le cadre informel du télétravail au Sénégal
De prime abord, l’encadrement juridique du télétravail n’est pas prévu dans les différentes législations sénégalaises du travail (code du travail, statut des fonctionnaires et conventions collectives). Ce vide juridique n’en pour autant freiner les entreprises du secteur privé et l’administration publique à l’expérimenter dans l’objectif de réaliser un meilleur fonctionnement des services, le traitement des dossiers et pour assurer la continuité du service public.
Le ministre de l’emploi à travers la circulaire N°00114 du 08 janvier 2021 dont l’objet consistant à diminuer des effectifs du personnel dans les lieux de travail a subtilement encouragé la pratique du télétravail [4] en l’absence d’un cadre légal susceptible de définir les modalités d’application. En effet, cet acte administratif est dans la continuité des mesures prises par les autorités exécutives. Car c’est le décret présidentiel N° 2018-875 du 25 mars 2020 portant réaménagement à titre provisoire des horaires de travail dans les services administratifs de l’Etat qui avait annoncé la couleur. A cela, on peut ajouter la recommandation de l’ARTP [5] sur l’utilisation de réseaux internet pendant la pandémie COVID-19 par laquelle l’autorité invite le secteur privé à privilégier le télétravail. Ainsi, les prémisses d’un recours au télétravail étaient déjà établies de manière graduelle par les autorités en l’absence d’un régime juridique en vigueur.
En l’espèce, on pourrait déduire que le pragmatisme des autorités a su insufflé un cadre directeur favorisé par la COVID-19, pour ainsi justifier des mesures encourageant la pratique du télétravail. Ainsi à travers des plateformes numériques détenues par la plupart des GAFAM telles que Zoom et Meet utilisés par des particuliers et privés, l’État du Sénégal à travers l’Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE) a su instauré un cadre opérationnel permettant ainsi à l’administration publique d’assurer une permanence du service public grâce à des plateformes comme chatbot et des outils pour une communication à distance pour la cellule de crise de lutte contre la pandémie COVID-19 [6].En outre, L’ADIE pour mieux faciliter son offre de service à l’administration et à ses collaborateurs a mis sur place un outil de web-conférence (audio et vidéo) qui permet de faire des conférences via internet à travers l’URL http: conference.sec.gouv.sn [7]. Malgré ces efforts consentis par la plupart des acteurs du secteur publics et privés, l’adaptation au télétravail a montré ses limites.
Quel régime juridique du télétravail au Sénégal ?
Le télétravail est une pratique relativement nouvelle au Sénégal qui mérite un encadrement bien outillé par des droits et des obligations au profit du tandem employeurs et salariés.
Il faut rappeler que la loi N°97-17 du 1 décembre 1997 portant code du travail au Sénégal ne prévoit dans aucune de ses dispositions la notion de télétravail. Contrairement en France ou le code du travail définit le télétravail comme suit (art L 1222-9 alinéa 1) « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu également être exécuté dans les locaux de l’employeur, et effectué par un salarié hors de ses locaux, de façon volontaire, En utilisant les technologies de l’information et de la communication. »
En substance, on peut retenir deux aspects non négligeables dans cette définition notamment : un caractère à la fois subjectif et objectif.
Un caractère subjectif qui traduit le volontarisme de l’employé d’opter pour le travail à distance. Tandis que l’usage des tics correspond ici au caractère matériel ou encore à l’objet susceptible de permettre la réalisation d’une telle tâche.
En premier lieu, le volontarisme du travailleur qui met au service de son employeur tout un ensemble d’outils et de moyens. Cependant rien n’exclut que le travail à distance peut aussi faire l’objet d’une négociation entre les parties. Ainsi l’étendue et l’adaptabilité du contrat de travail trouve toute sa pertinence en ce sens le télétravail opère une innovation majeure dans la liberté de contractuelle. Toutefois, il demeure fondamental de reconnaître que le télétravail ne constitue pas un statut propre à certains salariés ni même un régime juridique autonome ou distinct. C’est une nouvelle forme d’organisation du travail qui suscite un nombre d’interrogation sur le plan juridique [8].Etant donné que la recherche d’un environnement de travail adapté peut constituer un obstacle, ce qui est parfois à la charge du travailleur. Par conséquent il y’a lieu de définir au préalable les règles de sécurité sociale qui sied. Car en raison du contexte COVID-19 le recours au télétravail a démontré qu’il n’était pas toujours propice de « télétravailler » chez soi avec le risques d’accident de travail, les distractions et sollicitations parfois d’ordre familial.
En second lieu, le caractère objectif soulève la question relative de la disponibilité des technologies de l’information et de la communication adaptée au télétravail, ce qui n’est pas à la portée de tout travailleur. En effet, c’est devenu un élément fondamental pour effectuer des tâches professionnelles a fortiori le télétravail. Or la fracture numérique ignore les réalités socio-professionnelles. Par conséquent les problématiques liées à l’accès à internet sont plus que jamais pertinentes à soulever.
Au Sénégal, l’adaptabilité du numérique à la législation en droit du travail est un impératif. En effet, la dématérialisation pousse certains employés à opter pour un travail à distance. Par conséquent il y’a lieu d’inclure dans cette organisation les aspects liés à la protection sociale des salariés, la définition des horaires de travail et la flexibilité statutaire du télétravailleur.
Par ailleurs avec la pratique récurrente au travail à distance. La rupture d’égalité devant l’accès à l’outil informationnel peut constituer une atteinte aux droits numériques. Car l’adaptation au numérique à l’environnement du travail a fortement augmenté la demande en connectivité d’une part et d’autre part elle a permis de déceler la quasi-inexistence d’un plateau technique informationnel peu approprié à la grande famille du milieu professionnel.
A la lumière de ces considérations sus mentionnées, Il appartient au législateur sénégalais d’apporter des normes de régulation afin d’organiser ce nouveau format de travail qui requiert au préalable un environnement favorable.
Quel environnement propice au télétravail ?
Les défis auxquels font face le télétravail au Sénégal se situent à deux niveaux. Au préalable il y’a la question relative à la disponibilité des technologies de l’information et de la communication qui englobe les impératifs d’accessibilité et de sécurité sur les outils numériques. Au-delà de la connectivité, de l’utilisation de logiciels et des matériels appropriés, il ne faut surtout pas négliger la maitrise des outils, la nécessité de créer un climat de confiance et une discipline liés à l’utilisation des dispositifs informationnels, ce qui implique naturellement une culture numérique.
Constatant de la recrudescence des cyberattaques (rançonware) [9] en ce période de pandémie COVID-19, le comportement personnel du télétravailleur peut favoriser une négligence voire une forme d’insouciance vis-à-vis des principes de cybersécurité [10].C’est pour cette raison qu’il est impératif de garantir la disponibilité la confidentialité et l’intégrité des dispositifs et des données sur lesquels portent le travail.
Hormis le déficit en termes de moyens matériels adéquats et les lacunes en cybersécurité, la nécessité d’acquérir une culture numérique demeure un impératif pour s’accommoder au télétravail. En effet, la connaissance et la maitrise des outils numériques demeurent un préalable pour le télétravailleur. Or le télétravail ne s’improvise pas et encore moins qu’on puisse l’imposer. On serait étonné de voir comment les salariés peuvent-ils recourir à cette méthode avec tant assurance sur le service fait avec moins de charge et peu de risque s’il ne disposait pas assez d’information sur ce mode de travail. Car rester scotcher sur une chaise de fortune avec une tasse de café ou un smoothie à porter de main et se figeait devant son écran donne l’illusion d’un travail soft sans pression ni stress. Au contraire, le télétravail est une méthode qui est assujettie à des règles d’organisation et obéit parfois à la nature du contexte à l’instar de la situation difficile de la COVID 19.C’est à ce titre que le législateur français précise en son article L 1222-11 « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».C’est donc l’impératif d’assurer la continuité du service et la sauvegarde des droits du salarié qui justifient du télétravail. Toutefois trouver ce compromis revêt un caractère réaliste dans la mesure où le chômage en pareil contexte est très pénible comme épreuve à surmonter. Au demeurant, le travail à distance regorge quelques avantages.
Les avantages du télétravail
Le télétravail s’il est préparé et accompagné procure beaucoup d’avantage aussi bien pour l’employeur que pour les salariés. En effet, la somme de l’économie de temps, la souplesse dans l’organisation des tâches, la réduction de l’investissement immobilier et parfois l’excuse de déplacement pour certaines personnes à mobilité réduite constituent de véritables points verts pour l’intérêt du service [11].C’est la raison pour laquelle le Pr Abdallah Cissé encourage cette alternative en ces termes « le télétravail offre de la liberté et la flexibilité… ».
A ce titre il appartient au législateur sénégalais d’opérer une réflexion large sur la question.
Tout d’abord l’urgence d’élaborer un cadre juridique de direction au télétravail est une demande pour la plupart des entreprises. En outre, tel qu’il est prévu dans le code du travail au Sénégal en son article L 135 que la durée légale du travail est de 40 heures par semaine, on pourrait se demander quelle serait la durée légale du télétravail pour une journée a fortiori pour une semaine ?En tenant compte évidemment les facteurs liés à la santé du télétravailleur(hygiène mental, sédentarité etc..).
A cela s’ajoute la définition d’une vision stratégique soutenue par des politiques publiques articulées autour du télétravail. C’est la voie de notre dynamique de développement structurel en ce sens que le numérique est un créateur de richesse un vecteur de l’innovation. Par conséquent les opportunités d’employabilité deviennent une réalité. En effet, l’avenir du travail réside dans le numérique car depuis qu’ un médecin chinois à participer à une opération chirurgicale à l’aide d’une plateforme médicale sécurisée, stable avec une rapidité de la connexion 5G, nul ne doute que le travail à distance est devenue non pas une alternative mais une option nécessaire qui s’accommode avec la diversité des profils de diplômés qui frappent à chaque année la porte d’entrée du monde professionnel.
La formation à distance qui bénéficie déjà plusieurs années d’expérimentation, a confirmé l’utilité du travail à distance durant le contexte covid-19. Car pour assurer la continuité des cours, certains établissements n’ont pas hésité à recourir aux méthodes d’ e-learning avec le concours des enseignants grâce à la magie du télé-enseignement.
En définitive, le télétravail nous impose de redéfinir nos modèles d’organisation sociétale. Dans la mesure où nos méthodes de travail classiques sont désuètes et absorbés pour la plupart par les outils numériques. Ces derniers jadis ignorent les frontières et les limites physiques.
En alternant avantages et vulnérabilités, le télétravail met à nu le risque inhérent que renferment toutes les technologies qui n’obéissent pas à un mode d’emploi imprégné de cybersécurité. Toutefois, la confiance numérique semble maintenir ce lien fragile entre utilisateurs et consommateurs du numérique et les fournisseurs d’accès au service numérique.
Etant entendu que le télétravail génère une économie numérique en plein essor (vente de matériel et consommables informatiques logiciels, prestataire de service de sécurité informatique, veille et audit des systèmes d’information etc..), il est fondamental à cet stade pour qu’une société soit organisée sous la base de nouvelles normes. Le droit fut toujours un outil de régulation par conséquent il n’est étranger à aucun domaine a fortiori télétravail.
Justin Oumar BAMAH OSSOVI, juriste et consultant-chercheur en cyber droit
(Source : Social Net Link, 6 avril 2021)
[2] Le décret n°2019-591 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité de régulation de télécommunication et de postes et la loi n°2018-28 du 12 décembre 2018 portant Code des communications électroniques
[3] La loi 2008-12 sur la protection des Données à caractère Personnel au Sénégal
[4] Dans le cadre de la lutte contre la propagation de la Covid -19, je vous demande de prendre la disposition nécessaire pour assurer la continuité du service, en limitant la présence physique du personnel dans les administrations et en favorisant le télétravail. Cette mesure entre en vigueur à partir du lundi 11 janvier 2021
[5] Autorité de régulation des télécommunications et des postes
[6] Recueils des principaux textes émis depuis le début de la crise sanitaire à la Covid 19-Exposé des textes, 4.3 Plan de riposte contre l’épidémie a COVID 19 du MSAS du 24 mars 2020 p.76
[7] Avis trimestriel n°04-2020 de la Commission de protection des données personnelles du Sénégal (CDP)
[8] Pascal Alix,le télétravail salarié :définition, régimes juridiques et conclusion d’un contrat de travail.publié le 30 mars 2002.www.village-justice.com
[9] Ransomware :ou racongiciel est un logiciel d’extorsion malveillant qui prend en otage des données personnelles ou le systéme d’information
[10] La cybersécurité est la pratique consistant à protéger les systémes, les réseaux et les programmes contre les attaques numériques. Source : www.cisco.fr
[11] Le télétravail en temps de crise, prévention des risques professionnels : www.prrsence-pacacorse.org