Le New Deal Technologique du Sénégal, une vision inspirante pour la souveraineté numérique de l’Afrique
jeudi 30 janvier 2025
Peut-on parler de souveraineté numérique lorsque l’on dépend entièrement de technologies étrangères pour consommer, communiquer et développer son économie ? La réponse est claire et sans ambiguïté : non.
Un continent ne peut prétendre à son autonomie numérique s’il reste prisonnier du rôle de simple consommateur, sans industrie propre.
Par conséquent, l’Afrique, riche de son potentiel humain et de ses ressources, doit impérativement transcender son statut de simple marché consommateur pour s’imposer comme un acteur incontournable de l’économie numérique mondiale.
Aujourd’hui, le continent se trouve dans une position de vulnérabilité technologique, largement tributaire des géants du numérique. Les entreprises américaines, qu’il s’agisse des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ou des NATX (Netflix, Airbnb, Tesla, X), aux côtés des mastodontes européens tels qu’Orange et SAP, et des BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), exercent une domination quasi absolue sur le marché africain.
Cette suprématie étrangère constitue un frein majeur à l’émergence d’un écosystème numérique africain autonome et compétitif. En l’absence d’une régulation locale efficace, ces multinationales exploitent les données et les ressources du continent sans apporter de véritable valeur ajoutée à son développement.
Cette asymétrie leur permet d’échapper à tout contrôle fiscal tout en tirant profit des richesses numériques africaines à moindre coût, perpétuant ainsi une dépendance technologique préjudiciable à la souveraineté et à la prospérité du continent.
Pendant ce temps, les entreprises africaines, entravées par des cadres législatifs stricts et souvent obsolètes, sont contraintes d’évoluer dans un environnement marqué par une concurrence déloyale et de lourds obstacles économiques et structurels.
Cette inégalité va bien au-delà d’un simple déséquilibre économique et elle porte une atteinte profonde à la souveraineté numérique du continent, le plaçant sous la domination d’acteurs internationaux qui imposent leurs règles sans considération pour celles des nations africaines.
De surcroît, le contrôle des infrastructures numériques est entre leurs mains, et l’Afrique reste dépendante de l’importation de technologies. Une telle situation ne saurait perdurer.
Sortir de cette impasse nécessite un changement de paradigme. L’Afrique doit investir massivement dans sa propre industrie numérique. Il ne suffit plus de réglementer les acteurs étrangers ; il est également impératif de bâtir un écosystème local robuste, capable de produire ses propres équipements, de concevoir ses plateformes et de former une jeunesse hautement qualifiée dans les métiers du numérique.
Selon une étude de la Société Financière Internationale (IFC) et de Google, l’économie numérique de l’Afrique représente l’une des plus grandes opportunités d’investissement négligées, avec un potentiel de 180 milliards de dollars supplémentaires de PIB d’ici 2025.
Ainsi, l’enjeu est de taille, il s’agit de faire émerger une souveraineté numérique où l’Afrique ne soit plus un simple marché captif, mais un acteur incontournable de l’économie mondiale.
D’ailleurs, l’urgence d’un contrôle technologique local s’illustre à travers les stratégies des grandes puissances. L’Europe, avec son Règlement général sur la protection des données (RGPD), a instauré en 2018 un cadre strict pour sécuriser les données personnelles de ses citoyens. Les États-Unis, à travers le Cloud Act, se sont octroyé le droit d’accéder aux données stockées partout dans le monde. En Chine, la loi sur le renseignement national de 2017 impose à toutes les entreprises de coopérer avec les services de renseignement de l’État.
L’Afrique, en revanche, demeure un espace soumis aux règles imposées par des puissances étrangères, réduite à un rôle d’utilisateur passif de technologies qu’elle ne contrôle pas. Pourtant, depuis 2014, l’Union africaine s’est dotée d’un instrument fondamental. La Convention sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel aurait pu constituer un levier décisif, mais de nombreux États tardent encore à aligner leurs législations sur ce texte, laissant perdurer une situation d’extrême vulnérabilité.
Il est temps que l’Afrique reprenne son destin en main et impose ses propres règles dans l’ordre numérique mondial. Le Sénégal, avec son New Deal technologique, ouvre une voie audacieuse vers un écosystème numérique souverain, performant et compétitif.
Inspiré du modèle initié par Franklin D. Roosevelt dans les années 1930 pour redresser l’économie américaine après la Grande Dépression, ce cadre innovant répond parfaitement aux défis technologiques du continent. Ainsi, il est construit autour de trois piliers fondamentaux, stimuler l’innovation, moderniser les infrastructures numériques et garantir un accès équitable aux technologies, il vise à accélérer une transformation numérique durable et inclusive.
Cette initiative devrait réguler les géants technologiques pour que leur présence profite réellement au développement local et à la souveraineté numérique du continent. Elle devrait également faire de l’innovation une priorité nationale, en alliant investissements stratégiques et politique de régulation forte, afin d’assurer une répartition équitable des bénéfices du numérique entre acteurs locaux et étrangers.
Cependant, pour que cette vision devienne réalité, l’Afrique doit adopter une approche collective. Il est essentiel que les États africains investissent massivement dans l’éducation, la recherche et le développement des infrastructures numériques.
La création de réseaux haut débit, l’intégration de la technologie dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’industrie, ains i que la promotion d’une innovation locale sont des leviers essentiels pour l’avenir du continent. L’intégration des startups locales dans la chaîne de valeur du numérique et la sensibilisation des citoyens à l’importance de l’inclusion numérique sont également fondamentales.
En misant sur l’éducation dès le primaire et le secondaire, l’Afrique pourra combler le fossé numérique et former une génération de talents prête à relever les défis du futur. Ainsi, l’Afrique a l’opportunité de rattraper son retard numérique et de devenir un leader mondial de l’innovation. Grâce à sa vision audacieuse, le Sénégal est idéalement positionné pour jouer un rôle central dans cette transformation, en mettant l’accent sur une économie numérique inclusive, équitable et durable.
La souveraineté numérique de l’Afrique est à portée de main. Il est temps de saisir cette chance, de sortir de la dépendance technologique et de bâtir un avenir où le continent occupera pleinement sa place dans l’économie numérique mondiale.
(Source : Le Techobservateur, 30 janvier 2025)