Moussa Sarr, sociologue et dirigeant de « Lachine Lab - l’auberge numérique » pointe du doigt une institution prisonnière d’une vision linéaire du monde, alors que l’écosystème médiatique connaît une croissance exponentielle.
“Etude critique du Cnra : Une régulation linéaire dans un monde exponentiel.” tel est l’intitulé de la contribution de Moussa Sarr, sociologue et président directeur général de “Lachine Lab - l’auberge numérique”. a travers sa tribune, il met en évidence les limites du Cnra et suggère une refonte nécessaire à l’ère de la transformation numérique.
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) du Sénégal vit difficilement la révolution digitale. Et il en subit souvent les contrecoups quand il essaye d’assurer pleinement ses missions.
Dans une contribution parvenue hier à “L’AS”, le sociologue, Moussa Sarr, rappelle que le CNRA, dans sa forme actuelle, représente un instrument d’ancrage dans une économie linéaire et un frein à l’avènement d’un écosystème audiovisuel résolument tourné vers l’avenir. C’est pourquoi, dit-il, il est urgent de réarticuler sa mission, sa composition et ses outils pour permettre au Sénégal de se projeter dans un futur où régulation et innovation coexistent harmonieusement.
Pour le chercheur et Président Directeur Général de “Lachine Lab - l’Auberge Numérique”, le CNRA du Sénégal est une institution dont la structure et les missions, bien que pertinentes lors de sa création, s’inscrivent aujourd’hui dans une logique linéaire, inadaptée aux exigences de l’économie exponentielle.
En effet, souligne-t-il, du point de vue de sa composition institutionnelle, cet organe de l’État sénégalais est figé. Non sans ajouter qu’elle ne reflète pas les stratégies de rupture annoncées par le régime actuel. “Le CNRA se compose de neuf membres représentant divers segments de la société civile : universitaires, artistes, associations féminines, jeunesse, et droits de l’homme”, a-t-il fait constater avant d’indiquer que si cette représentation pluraliste peut sembler être un atout, elle reflète une vision statique et linéaire du paysage audiovisuel.
Toujours, selon Dr Moussa Sarr, la durée fixe des mandats, l’absence de renouvellement, et la sélection centralisée par le président de la République dénotent un modèle organisationnel rigide, contraire à la flexibilité nécessaire pour anticiper les mutations rapides de l’économie numérique. En comparaison, souligne-t-il, les organisations de l’économie exponentielle favorisent des structures évolutives, horizontales et collaboratives, permettant une adaptation continue et rapide aux nouvelles tendances. Nonobstant son profil obsolète, le sociologue indique que ses missions sont ancrées dans le passé et ne répondent plus aux appels de l’économie exponentielle. En effet, il estime que le mandat du CNRA se concentre sur le respect des règles de pluralisme, d’éthique et de déontologie, ainsi que sur l’application des lois en vigueur. “Ces objectifs, bien qu’essentiels, traduisent une approche réactive plutôt qu’anticipatoire”, a-t-il relevé. Or, précise-t-il, les institutions doivent non seulement réguler mais aussi stimuler l’innovation en préparant des cadres adaptés aux technologies exponentielles telles que l’intelligence artificielle, la blockchain et la réalité virtuelle. Le CNRA, à l’opposé, perpétue une économie de croissance linéaire en se limitant à une fonction de contrôle, déplore-t-il.
Les fortes recommandations de Moussa Sarr
Selon le chercheur, l’actuel gouvernement doit revisiter cet organe et proposer au Président un remodelage digne des politiques de rupture qu’ils veulent instaurer au Sénégal.
Dr Moussa Sarr note ainsi que le CNRA met l’accent sur la réglementation des contenus audiovisuels existants sans encourager les initiatives disruptives. Alors que les entreprises de l’économie exponentielle, telles que Netflix ou YouTube, redéfinissent les modèles économiques en exploitant les dynamiques de réseaux, l’analyse de données massives et l’automatisation. “Ces organisations intègrent l’anticipation dans leur ADN, adoptant des visions stratégiques capables de transcender les frontières sectorielles”, a-t-il fait savoir.
De ce fait, il pousse l’actuel régime à mener des réformes tout en articulant ses propositions sur la régulation comme levier de transformation. Et pour que le CNRA devienne un vecteur d’accélération vers une économie numérique dynamique, il pense qu’il doit adopter une approche proactive. Cela passe d’abord, dit-il, par la révision de sa composition en intégrant des experts en technologie, en économie numérique et en prospective, afin de mieux capter les signaux faibles de transformation
Ensuite, il appelle les autorités à adopter un cadre réglementaire souple afin de créer des « bacs à sable » réglementaires pour expérimenter de nouvelles approches audiovisuelles.
En plus, il préconise la mise en place d’un observatoire technologique pour surveiller et anticiper les innovations perturbatrices afin de guider les politiques publiques
Aussi, il exhorte le gouvernement à établir des partenariats stratégiques pour collaborer avec des écosystèmes globaux afin de bénéficier des meilleures pratiques en matière de régulation
Enfin, Moussa Sarr propose à l’administration Bassirou Diomaye Faye de s’orienter vers une réforme anticipatoire. A l’en croire, cette réforme du CNRA doit être assumée par les pouvoirs publics sénégalais pour aligner la régulation audiovisuelle sur les exigences de l’économie exponentielle.“Cette transformation permettra au Sénégal de devenir un acteur majeur de la région dans la production et la diffusion de contenus innovants”, a-t-il conclu.
(Source : Seneplus, 10 janvier 2025)