Le Beatmaking à Dakar : savoirs, pratiques et cultures du numérique
mercredi 9 août 2023
Maël Péneau est producteur et compositeur de musiques électroniques. En mars 2023, il soutient sa thèse à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) dédiée à l’évolution de la création et de la production musicale en Afrique de l’ouest suite à l’arrivée des technologies du numérique.
Bonjour Christophe, et bonjour aux auditeurs de France Musique,
Quand j’ai commencé ma thèse, en 2019, les publications sur les pratiques de création et d’enregistrement en studio restaient rares en ce qui concerne le hip-hop, même dans le contexte nord-américain, et encore plus pour les pays dits du Sud, à l’exception du travail engagé par Emmanuelle Olivier et Amandine Pras au Mali.
Au Sénégal, depuis l’introduction de la technologie 3G à partir de 2008, des studios numériques et domestiques se sont multipliés. Avec l’aide d’un beatmaker, qui produit et conçoit les instrumentaux de leurs morceaux, les rappeurs peuvent aujourd’hui enregistrer leurs morceaux rapidement et les diffuser via les réseaux sociaux, les sites de streaming, la radio et la télévision.
J’ai donc passé de nombreux mois dans les studios et dans d’autres lieux où se fabrique la musique sénégalaise actuelle. À partir de toutes les données que j’ai pu filmer, enregistrer et observer, L’objectif était de réfléchir à la situation sociale, aux parcours professionnels et aux processus créatifs de ces beatmakers sénégalais. Mais l’idée était aussi de mieux comprendre la relation entre les outils numériques et les pratiques de création artistique.
Plus largement, j’ai cherché à interroger ce qu’une société ouest-africaine fait du numérique, du point de vue de la production musicale, mais aussi en termes de circulation des savoirs et de relations sociales.
Cette thèse a d’abord permis de montrer que la fabrique des musiques rap s’inscrit dans l’histoire des musiques populaires sénégalaises, mais aussi, dans un contexte de circulations des instruments et des technologies d’enregistrement. Cela m’a permis de montrer comment cette pratique n’est pas uniquement le résultat d’un bouleversement lié à internet et au numérique, même si on assiste bien, à la fin des années 2000, à un changement d’échelle, avec l’émergence d’une nouvelle génération de rappeurs et de beatmakers plus autonomes en terme de production, d’enregistrement, et de diffusion.
Par contre, l’introduction des technologies audionumériques dans les studios à Dakar a complètement modifié l’organisation sociale du travail d’enregistrement, mais aussi les types de savoirs mobilisés, les modalités d’accès à ces savoirs, et de leurs circulations. Tous ces outils de création numérique sont aujourd’hui présents dans la plupart des pays, et on a aussi des formes de création inspirées du hip-hop un peu partout dans le monde. C’est donc un travail qui s’inscrit dans un champ de recherche qui est encore émergent, mais j’espère que cette thèse pourra contribuer à montrer l’intérêt d’une meilleure compréhension de ces musiques en partant des savoirs, des pratiques réelles de création, et donc en se rendant dans les studios, surtout dans les pays dits du sud.
(Source : Radio France, 8 août 2023)