« La réforme des droits de passage de la fibre optique est une condition préalable à la transformation numérique au Nigeria »
jeudi 5 septembre 2024
Le secteur des télécommunications est l’un des poumons de l’économie nigériane. Avec les hydrocarbures et le commerce, il est l’un des principaux contributeurs à la richesse nationale. Sa contribution au produit intérieur brut (PIB) du Nigeria était estimée à 13,5 % pour le compte de l’année 2023. Cela représente quelque 33 000 milliards de nairas, dont environ 3 000 milliards de nairas rien qu’en taxes.
Dans le cadre de sa stratégie de développement économique et de transformation numérique, le pays s’est fixé des objectifs ambitieux. De l’augmentation de la pénétration du réseau à 90% de la population au déploiement de la fibre optique sur 75% de son territoire d’ici 2027, le Nigéria entend placer les télécommunications au cœur de ses priorités.
Cette décision repose essentiellement sur les promesses du secteur. En effet, on estime que la croissance de la numérisation dans l’agriculture, l’industrie, les transports, le commerce et l’administration publique se traduirait par une augmentation de 2 % du produit intérieur brut d’ici 2028. De plus, les projections tablent sur la création de 2 millions d’emplois supplémentaires et une augmentation des impôts de 1600 milliards de nairas.
Pour le pays, il s’agit d’un enjeu majeur. Néanmoins, le chemin est encore long et le Nigeria devra s’affranchir d’une difficulté existentielle qui freine son développement numérique : les droits de passage.
Les droits de passage sont une autorisation que les fournisseurs de services mobiles doivent obtenir des autorités pour déployer des réseaux de fibre optique. En effet, ces réseaux sont déployés le long d’infrastructures (routes, réseaux électriques, etc.) qui sont sous le contrôle des autorités publiques. Ces dernières ont donc mis en place cette taxe préalable au déploiement de la fibre.
Au Nigeria, ces autorisations sont requises à plusieurs niveaux. Elles relèvent de la responsabilité de chaque Etat et de chaque gouvernement local. Chacun de ces acteurs est libre de fixer ses propres prix, ce qui rend le processus d’obtention particulièrement complexe.
Pour les fournisseurs qui souhaitent déployer la fibre optique dans le pays, les droits de passage sont un véritable casse-tête. Par exemple, en 2023, pour installer la fibre dans l’État d’Ebonyi, il fallait payer 69 fois plus que dans les États où les droits de passage sont les plus bas dans le pays. Ces disparités se traduisent par un surcoût dans le déploiement de la fibre optique. Ce surcoût peut varier de 1 % à 70 % selon les États. Cette situation affecte désormais la consommation de données mobiles des citoyens. En effet, d’ici 2022, une étude a montré que seul un homme sur quatre et une femme sur dix utilisaient régulièrement l’internet mobile.
Les autorités sont particulièrement conscientes du problème. En 2020, les gouverneurs du Nigeria se sont mis d’accord sur un droit de passage standard de 145 nairas par mètre de fibre déployée. Dans la pratique, cependant, peu d’États appliquent ce tarif et le problème persiste.
Le ministre des télécommunications, le Dr Bosun Tijani, a récemment révélé que 3 000 kilomètres de fibre optique avaient été déployés dans le pays, mais que 500 kilomètres supplémentaires auraient pu être déployés pour le même prix si les États avaient appliqué le tarif standard de 145 nairas par mètre de fibre. On estime que le coût total du déploiement de la fibre optique pourrait être réduit de 15 % si les autorités jouaient le jeu.
Au-delà du prix, un autre goulet d’étranglement est le temps nécessaire à l’octroi des droits de passage. La procédure d’obtention de ces autorisations est longue et complexe. Elle peut durer jusqu’à deux ans. Ce délai a notamment une incidence sur le coût et le temps de déploiement du réseau de fibres optiques.
Compte tenu de l’importance de la question pour le pays, des mesures énergiques doivent être prises pour traiter le problème sous ses différents aspects. Les autorités doivent commencer par s’assurer que le tarif standard de 145 nairas par mètre de fibre déployée est appliqué uniformément dans tous les États. Une réduction des délais d’octroi des droits de passage est également souhaitable. Idéalement, la procédure ne devrait pas dépasser un mois. Enfin, les autorités devraient envisager la mise en place d’un guichet unique pour la procédure de soumission des droits de passage. La numérisation de cette procédure permettrait de gagner du temps.
Aujourd’hui, le Nigeria est l’une des principales économies du continent africain et le pays le plus peuplé d’Afrique. L’âge médian dans le pays est de 18 ans. La jeunesse de la population devrait inciter les autorités à faire des choix éclairés pour l’avenir. La fracture numérique est un facteur critique, car elle prive les jeunes des opportunités offertes par la technologie numérique. La réduction de cette fracture doit être une priorité, avant les intérêts locaux et les gains à court terme. En s’attaquant à la question du coût et du délai des droits de passage, l’État favorise l’inclusion, la création d’emplois et, surtout, l’augmentation des recettes fiscales liées à l’utilisation des services offerts par le déploiement de la fibre optique.
Angela Wamola, Directrice Afrique subsaharienne chez GSMA
(Source : Agence Ecofin, 5 septembre 2024)