La propriéré littéraire et artistique et l’Internet : Un combat difficile contre la piraterie
vendredi 30 juillet 2004
Les problèmes liés à piraterie et à la contrefaçon ne sont pas simples, comme on a pu le constater le 29 juin dernier, à la faveur d’une conférence, sous l’égide de l’Agence universitaire de la francophone, donnée par l’expert français, M. Philippe Chantepie, en poste au ministère français de la Culture, et Mme Abibatou Diabé Siby. Avec pour thème « la propriété littéraire et artistique et l’internet : droits applicables, mesures techniques, lutte contre la contrefaçon », cette rencontre a révélé diverses facettes de la piraterie et des droits de propriété intellectuelle mis en exergue, aussi bien par les conférenciers que lors des débats. Après avoir mis en exergue comment les droits d’auteurs se sont adaptés à l’ère numérique (cf. l’article du 9 juillet 2004 : « La propriété littéraire et les Nouvelles technologies - comment les droits d’auteur se sont adaptés au numérique »), nous abordons ici le difficile combat du Sénégal contre la piraterie et le contrefacteurs.
« Aujourd’hui, avait d’emblée dit la conférencière, Mme Diabé Siby, nous avons à débattre d’une question particulièrement préoccupante et cruciale à la fois, une question pleine d’émotion également ». La question de la piraterie et de la lutte contre ses effets au Sénégal. Comme tous les pays africains, le Sénégal se trouve confronté à l’existence d’une forte piraterie, notamment dans le domaine de la musique et des films (cassettes, CD, vidéos et DVD), et le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA) s’ingénie à déjouer les forfaits et méfaits des spécialistes de la contrefaçon. Il semble malheureusement aujourd’hui, ainsi que l’a suggéré le président du Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), M. Babacar Diop Buuba qui introduisait la conférence, que la lutte contre le phénomène, après des pics encourageants de succès, connaît « un courant assez fort disant que malgré tout on ne peut rien contre les pirates ».
Mais Mme Diabé Siby est persuadée que si beaucoup ont prédit la mort rapide de la gestion collective des droits, donc du droit d’auteur, avec l’arrivée d’Internet et des Nouvelles technologies et de toutes les possibilités de contrefaçon qu’ils charrient, il faut reconnaître aussi que, malgré les difficultés, la gestion collective des droits d’auteurs, inventée au XVIIIe siècle, est toujours d’actualité, et « l’expérience prouve que les auteurs ont intérêt à adhérer dans une société de gestion collective pour être plus forts face au même ennemi ».
ENVIRONNEMENT JURIDIQUE
Au Sénégal, la piraterie prospère essentiellement à cause de trois phénomènes : l’inadéquation du contexte juridique, les difficultés techniques et la perméabilité des frontières. L’une des choses auxquelles il faut s’attaquer, c’est la toilette de la loi qui régit les droits d’auteurs dans notre pays. Un projet de loi est en l’air, dans lequel est prévu des sanctions beaucoup plus contraignantes contre des contrefacteurs aujourd’hui presque indifférents aux pénalités prévues par la loi 72-52 qui date de plus de trente ans et qui n’épouse plus la réalité du terrain. Une telle toilette est d’abord nécessaire pour dissuader les fraudeurs, réels ou potentiels. Les peines prévues aujourd’hui par la loi sont, de l’avis de la directrice du BSDA, trop bénignes et les conditions de leur application quelque peu floues. Pour elle, les dispositions actuelles de la loi ne sont pas suffisamment intimidantes et répressives, avec des pénalités de l’ordre de 300.000 FCFA (alors qu’une opération de piraterie « peut rapporter 100 millions de francs » !) et des peines d’emprisonnement prononcées sur la base de textes qui donnent toute latitude d’interprétation aux juges. Voilà qui explique sans doute les récidives, comme celle de ce pirate notoire cité par Mme Sidy, qui, récemment interpellé par le BSDA, a contre-attaqué par le biais d’un avocat suffisamment ignorant de la loi pour demander à la responsable du BSDA : « Pouvez-vous vous expliquer sur les fondements juridiques de l’action que vous menez pour protéger les œuvres dont les titulaires ne sont pas des ressortissants sénégalais ? » En attendant, de nouvaux textes sont maintenant proposés au pouvoir législatif et Mme Siby a dit son espoir qu’ils seront adoptés à la prochaine session de l’Assemblée nationale.
C’est le lien à faire avec la volonté politique indispensable pour réussir la lutte contre la piraterie. Si Mme Siby reconnaît qu’à un moment donné il y a eu une forte incompréhension entre le BSDA et le ministère de la Culture et que cela a eu des incidences sur la poursuite de la campagne de lutte contre les atteintes aux droits, elle estime aussi que la tutelle actuelle a bien affirmé sa détermination à lutter contre la piraterie. Pourvu que ça dure. Mais ce n’est pas forcément évident dans un pays où on a parfois l’impression que l’impunité est un mode de vie. Ou, aussi, comme l’a martelé M. Babacar Diop Buuba, président du CONGAD, la « cohérence » manque parfois au niveau des décideurs.
L’autre nécessité d’une loi forte, c’est sa capacité à attirer les investissements dans les industries culturelles. Parce que les investisseurs sauront que leurs investissements seront sécurisés. Qui va mettre « ses billes dans un environnement où il sait que réaliser une production va impliquer un vol à grande échelle dans les vingt-quatre heures autour de sa production » ?
SECURISATION TECHNIQUE
Depuis quelques années, la lutte contre la piraterie a malgré tout fait un bond en avant avec l’introduction de la technologie des hologrammes qui permet une certaine sécurisation technique. Fini au moins le temps où le citoyen lambda ne pouvait pas distinguer une cassette légale d’une cassette piratée. Maintenant, grâce à un partenariat avec une entreprise allemande, les hologrammes, apposés sur toute la production musicale éditée au Sénégal, permettent de résoudre la question de la distinction entre produits licites et produits illicites. C’est grâce à la sécurisation holographique, dont le niveau de complexification rend difficile la contrefaçon, que les ventes de cassettes légales ont connu une hausse assez extraordinaire.
Si ces actions concernent essentiellement la musique, la piraterie s’exerce aussi dans d’autres domaines. Mme Siby cite le cas de cet auteur sénégalais édité sur support papier qui a découvert, un beau jour, en surfant sur Internet, son œuvre traduite en version italienne. Il n’avait jamais été consulté pour cela n’avait jamais donné une quelconque autorisation. Ses droits moraux et ses droits de traduction ont été violés. Il est vrai, reconnaît-on au BSDA, que ce genre de piraterie n’est pas encore développée, mais la directrice du BSDA estime qu’il y a de plus en plus de querelles et, l’internet étant le puissant média qu’on connaît, en appelle à une vigilance accrue.
Au dernier conseil d’administration du BSDA, le mois dernier, une information a retenu l’attention des participants : un site logé aux Etats-Unis diffuse des œuvres du répertoire musical sénégalais avec possibilité de téléchargement. Des investigations seraient en train d’être faites pour élucider cette affaire, même si le BSDA sait que c’est « très difficile (sic) de discuter avec les sociétés qui sont aux Etats-Unis ». Encore qu’ici, c’est la SACEM, société en charge des droits d’auteur en France, qui représente le Sénégal pour les œuvres du Sénégal diffusées aux Etats-Unis.
SOLUTION UNITAIRE
La disparité des législations des Etats africains ne favorise pas une lutte efficace contre la piraterie. La plupart des DVD illicites de films nous viennent du Nigéria, par exemple, « qui n’a pas de législation sur le droit d’auteur ». Le géant africain, c’est connu, abrite sur son territoire des industries fortement équipées qui fabriquent n’importe quel support, injectés ensuite dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest, y compris le Sénégal. Qu’elle soit exécutée de manière industrielle ou artisanale, la contrefaçon est facilitée par la perméabilité de nos frontières. Sur place, chez nous, ils sont nombreux, aussi, rappelle cependant Mme Siby, ceux qui gravent à foison des CD pour les revendre. Le BSDA essaye tant bien que mal à lutter contre eux, sachant qu’il ne bénéfice pas encore d’un environnement juridique adéquat. Constat quelque peu amer de sa directrice : « Le rapport de force n’est pas toujours équitable ».
Au cours de cette conférence, beaucoup ont suggéré que la solution du piratage en Afrique ne peut être que régionale, au sein de cadres tels que l’Union africaine ou tout au moins la CEDEAO, l’UEMOA ou la CEMAC. « Il est grand temps, affirme Mme Siby, appuyée en cela aussi bien par M. Alioune Badara Bèye, président de l’Association des écrivains du Sénégal (AES) et M. Babacar Diop Buuba, président du CONGAD, « que les pays africains se dotent d’une infrastructure qui leur permette de prendre en charge les questions de droits de propriété intellectuelle ». « Aucun Etat pris isolément ne peut venir à bout de la piraterie ni de la contrefaçon. Il faut internationaliser les méthodes de lutte et de plus en plus former des coalitions et aller vers l’institution d’observatoires pour voir quels sont les pays qui sont des pays de droit et ceux qui ne sont pas des pays de droit. Tout cela devrait se faire dans un cadre beaucoup plus élargi, un cadre régional ».
CHEIKH ALIOUNE JAW
(caj@pressemedia.info)
(Source : Nouvel Horizon, 30 juillet 2004)