L’AgriTech peut contribuer à éradiquer la faim chez 282 millions d’Africains d’ici 2030
jeudi 16 janvier 2025
Pendant la révolution industrielle, la mécanisation a grandement contribué à accroître le rendement des systèmes de production agricole. L’Afrique n’en a pas pleinement profité. À l’heure de la numérisation, le continent a une nouvelle opportunité à saisir.
L’agriculture numérique, bien exploitée en Afrique, a le pouvoir de sortir de la faim 282 millions d’Africains qui en souffrent chaque jour. Elle peut contribuer à relever les défis liés à la production, mais surtout ceux liés au climat qui s’intensifient, notamment les sécheresses, les inondations et les températures extrêmes qui aggraveraient encore l’insécurité alimentaire d’ici 2030. Selon Brookings Institution, près de 118 millions de personnes en Afrique pourraient être confrontées à cette situation.
Dans son rapport « Foresight Africa : Top Priorities for the Continent 2025-2030 », le think tank américain souligne que malgré les défis de l’agriculture africaine, « la quatrième révolution industrielle (4IR) a le potentiel de transformer le secteur en soutenant les progrès du continent vers les Objectifs de développement durable (ODD) de 2030 en renforçant la sécurité alimentaire, la résilience et la durabilité. Des technologies telles que l’intelligence artificielle (IA), la blockchain et l’Internet des objets commencent à relever les défis séculaires de l’agriculture, tels que la faible productivité et les inefficacités du marché face au changement climatique ».
« Grâce à des perspectives fondées sur les données et à des outils automatisés, l’innovation numérique permet d’améliorer la prise de décision, le ciblage de précision et l’efficacité des ressources, ce qui est essentiel pour soutenir la productivité agricole de l’Afrique et assurer la sécurité alimentaire de sa population croissante », soutient Brookings Institution.
Cas d’usage
L’impact des technologies numériques sur l’agriculture africaine est évident, le CGIAR (Partenariat mondial pour la recherche agricole) jouant un rôle central dans cette transformation. Le CGIAR a été le premier à utiliser les outils numériques pour relever les défis agricoles, en introduisant des innovations telles que la cartographie numérique des sols et les systèmes de détection des maladies des cultures alimentés par l’Intelligence Artificielle (IA).
Ces technologies ont permis aux agriculteurs d’identifier et de traiter les maladies à un stade précoce, ce qui s’est traduit par des rendements plus élevés et une réduction des pertes de récoltes. Par exemple, la plateforme de surveillance des maladies du manioc de l’International Institute of Tropical Agriculture (IITA) au Nigeria, le Cassava Seed Tracker et l’application d’IA Plant Village Nuru aident les petits exploitants à diagnostiquer et à gérer rapidement les maladies du manioc.
Le CGIAR a également développé des outils d’agriculture de précision tels que l’irrigation intelligente et les prévisions climatiques, qui optimisent l’utilisation de l’eau et aident les agriculteurs à se préparer à des conditions météorologiques défavorables. Des outils agronomiques numériques tels que RiceAdvice et NextGen Agroadvisory fournissent des recommandations en matière d’engrais et de plantation en fonction du lieu, ce qui a permis d’augmenter de 25 % le rendement du blé et du riz et d’améliorer la rentabilité des petits exploitants agricoles en Éthiopie, au Nigeria et au Mali.
Niveau de préparation
Mais toutes les opportunités qu’offre le numérique dans l’agriculture se heurtent encore au faible intérêt qu’accordent les secteurs public et privé africains à cette transformation nécessaire. Sur le continent, très peu de pays disposent d’une stratégie d’agriculture numérique, indispensable pour identifier les objectifs spécifiques à atteindre et les actions à mettre en œuvre pour y parvenir.
Dans son rapport « AU Digital Agriculture Strategy (DAS) and Implementation Plan 2024 – 2030 », l’Union Africaine (UA) déplore le retard qu’accuse l’Afrique dans l’adoption de l’agriculture numérique bien qu’une stratégie continentale existe. Les pays devaient s’en inspirer pour développer leur propre stratégie nationale, mais très peu l’ont fait. Dans le Digital Agriculture Readiness Index 2022, sur une note de 100 qui évalue les pays sur un ensemble d’indicateurs (infrastructure numérique, accès aux technologies, compétences numériques, environnement d’affaires, règlementation, services d’e-paiement, portails nationaux de données agricoles), seuls neuf pays étaient au-dessus de 45 points. L’île Maurice et l’Afrique du Sud sont en tête avec un score respectif de 61,4 et 60,5.
Secteur privé
Même le secteur privé avance doucement en matière de développement de l’agriculture numérique, bien que de grands progrès aient été réalisés au cours des dix dernières années. Pendant les douze derniers mois, AgBase indique dans son rapport « State of AgTech Investment in Africa 2024 : From Burst Bubble to New Baseline » que 131 entreprises AgTech ont levé 215 millions de dollars d’investissements dans le cadre de 158 opérations. Cela représente 11 % du volume total de financement et 23 % du nombre d’opérations réalisées dans l’ensemble des secteurs numériques et technologiques en Afrique. Cependant, le nombre de financements provenant du continent a reculé de 59 %, tandis qu’à l’extérieur de l’Afrique, le recul a été de 2 %.
Des ajustements urgents
Secteur essentiel des économies africaines, car essentiel aussi bien à la sécurité alimentaire qu’à la création de richesses, l’agriculture ne peut plus continuer à se faire sans intégrer pleinement le numérique. Selon Brookings Institution, il est urgent que les gouvernements africains et les parties prenantes donnent la priorité aux politiques habilitantes, à l’utilisation éthique de la technologie et à l’accès équitable pour tous. Cela inclut la mise en place de politiques de gouvernance des données, la création de programmes d’alphabétisation numérique et la promotion de partenariats public-privé. Un grand intérêt doit également être porté à l’investissement dans les infrastructures numériques pour transformer l’agriculture africaine et garantir la sécurité alimentaire, le développement durable et la résilience des systèmes agroalimentaires.
Bien que confrontée à des défis importants, l’agriculture africaine peut être transformée et la sécurité alimentaire du continent assurée grâce à l’adoption des technologies numériques soutenues par des politiques favorables et des investissements stratégiques.
Muriel EDJO
(Source : Agence Ecofin, 16 janvier 2025)