Au Sénégal, ce ne sont pas les réformes qui manquent. Ce sont souvent les volontés exprimées, parfois avec emphase, mais trop rarement suivies d’effets, qui plombent la marche de notre administration. Les chantiers sont ouverts, les discours sont bons, mais l’exécution manque de constance, de pilotage, de responsabilité. Résultat : un État qui promet la modernité tout en continuant à fonctionner, trop souvent, comme au siècle dernier.
C’est pourquoi l’instruction ferme du Premier Ministre, à l’issue du Conseil des ministres du 16 juillet 2025, mérite d’être saluée et relayée avec force. Il a été demandé au Ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique de mettre en œuvre, dans un délai de trois mois, la digitalisation intégrale du courrier administratif. Une réforme ambitieuse, mais surtout nécessaire. Car à l’ère de la blockchain, de l’IA générative et des smart contracts, continuer à faire transiter des parapheurs en papier dans des couloirs interminables relève non plus du folklore administratif, mais d’un non-sens stratégique.
Le Premier Ministre a déjà été clair, dans une précédente communication : tout blocage aura un responsable. Cette rigueur nouvelle, qui s’inscrit dans la mise en œuvre de l’Agenda 2050, doit inspirer l’ensemble de l’appareil d’État. Nous ne pouvons plus tolérer que la digitalisation soit réduite à une série d’effets d’annonce, de plateformes inachevées ou de projets pilotes sans lendemain. Ce qu’il faut désormais, ce sont des digitalisations de bout en bout, pas des versions “semi-numériques” où l’on scanne des documents pour mieux les imprimer.
Le vrai défi, ce n’est pas la technologie : elle existe, elle est disponible, en plus d’être maîtrisable. Le vrai défi, c’est la volonté. Et quand celle-ci devient prioritaire, rien n’est impossible. Ousmane Sonko a montré la voie : y aller par étapes, mais avec exigence ; fixer des priorités, mais veiller à leur exécution stricte. Encore faut-il que les gouvernants soient exigeants, qu’ils évaluent régulièrement leurs instructions, et qu’ils fassent de chaque étape une marche vers la rupture avec des processus devenus lourds, classiques, et plus que pesants.
Ce sont ces lourdeurs qui se traduisent, chaque matin, par des files interminables devant les services publics. Pour un simple extrait de naissance, une demande administrative ordinaire, nos concitoyens perdent des heures. Cela me touche, et cela me choque profondément. Ce n’est pas digne d’un pays qui se dit engagé dans la transformation numérique.
Engager ce chantier du “paperless” n’est pas un luxe, c’est une urgence économique. Le coût du papier, de l’archivage physique, de la lenteur administrative pèse lourdement sur nos finances publiques. Il est temps de dématérialiser, oui, mais surtout de transformer en profondeur les esprits, de rompre avec la culture du cachet et du silence administratif, d’introduire une traçabilité systématique dans les échanges internes et externes. C’est une question d’efficacité, mais aussi de redevabilité.
Le chantier est vaste, mais nous y sommes presque si nous savons maintenir la tendance. Les plateformes de gestion électronique des documents existent, les compétences sont là, les solutions locales émergent. Il ne manque plus qu’un mot d’ordre clair : on applique, on suit, on évalue.
Ce moment peut devenir un tournant dans la transformation de l’État sénégalais, si – et seulement si – la parole politique est désormais accompagnée de moyens, de sanctions, de courage.
Ce n’est plus une question de choix. C’est une obligation de souveraineté, de dignité et d’efficacité publique.
Ousmane Guèye
(Source : Le Techobservateur, 17 juillet 2025)