Affaires SENUM SA et Intech Group : deux détournements qui mettent à nu les failles des entreprises sénégalaises
jeudi 14 août 2025
Plus de 344 millions FCFA détournés en deux affaires distinctes secouent le monde des affaires au Sénégal. De Sénégal Numérique à Intech Group, ces scandales révèlent des défaillances structurelles inquiétantes dans la gouvernance d’entreprise et posent la question urgente de la prévention de la fraude interne.
Les deux affaires révèlent des techniques de détournement d’une redoutable efficacité. À Sénégal Numérique SA ex ADIE, Serigne Saliou Ndiaye exploite sa position de « social media manager » pour sauvegarder les données de carte bancaire professionnelle sur son ordinateur personnel. Cette appropriation technologique lui permet d’effectuer 46,4 millions FCFA de transactions frauduleuses sur 18 mois.
Chez Intech, Cheikh Mbacké Thiam tire parti de son statut de responsable cash-management pour orchestrer des détournements de 298,1 millions FCFA pendant quatre années. Son accès privilégié aux flux financiers lui offre une marge de manœuvre considérable pour dissimuler ses malversations.
Les profils des auteurs présentent des similitudes troublantes : postes à responsabilité financière, ancienneté suffisante pour inspirer confiance, accès technique aux systèmes de paiement. Ces « initiés » exploitent leur connaissance intime des processus pour contourner les contrôles existants.
Défaillances structurelles criantes dans la gouvernance
L’analyse des deux dossiers expose des lacunes de contrôle interne préoccupantes. À Sénégal Numérique SA, l’absence de séparation entre ordonnateur et payeur permet à un seul individu de gérer intégralement la ligne budgétaire « communication digitale ». Aucun contrôle a posteriori n’est mis en place pendant des mois.
Chez Intech, la concentration des pouvoirs financiers entre les mains du trésorier crée une zone d’impunité de quatre années. L’entreprise ne dispose manifestement d’aucun système d’audit périodique ni de double signature pour les opérations sensibles.
Ces déficits de supervision hiérarchique révèlent une culture d’entreprise où la confiance remplace les procédures. Une approche dangereuse dans un contexte où les outils numériques démultiplient les possibilités de fraude.
Conséquences systémiques sur la réputation économique
Les pertes directes pour les entreprises victimes dépassent l’aspect purement comptable. À Sénégal Numérique, société para-publique, le détournement de 46,4 millions représente plus de huit années de salaire du fraudeur. Chez Intech, les 298,1 millions volatilisés compromettent potentiellement la trésorerie et les investissements futurs.
L’effet domino sur l’emploi et les fournisseurs reste difficile à quantifier mais réel. Ces ponctions financières réduisent la capacité d’investissement, de recrutement et de développement des entreprises touchées.
Au niveau macroéconomique, ces affaires alimentent un climat de défiance préjudiciable à l’attractivité du Sénégal. Les investisseurs internationaux intègrent ces risques de gouvernance dans leurs évaluations, renchérissant potentiellement le coût du capital pour l’ensemble de l’économie sénégalaise.
Ces détournements fragilisent également la réputation « Doing Business » du Sénégal en exposant les insuffisances de son tissu entrepreneurial. La récurrence de telles affaires nourrit les perceptions négatives sur la gouvernance d’entreprise africaine.
La fuite des capitaux constitue un risque réel quand les fraudeurs tentent de quitter le territoire avec leurs gains illicites. La tentative d’évasion de Cheikh Mbacké Thiam illustre cette menace pour la stabilité financière nationale.
La précarisation des salariés victimes collatérales de ces détournements aggrave les tensions sociales. Les entreprises fragilisées peuvent être contraintes de réduire leurs effectifs ou de reporter des augmentations salariales pour compenser leurs pertes.
Analyse comportementale : anatomie du passage à l’acte
Les motivations invoquées par les fraudeurs révèlent un cocktail explosif de facteurs personnels et professionnels. Serigne Saliou Ndiaye évoque un salaire « insuffisant » de 440 000 FCFA, illustrant le décalage entre aspirations et rémunération.
Or, cette rationalisation masque souvent des pressions sociales spécifiques au contexte sénégalais : obligations familiales étendues, maintien du statut social, financement d’activités parallèles lucratives. L’utilisation de la carte Senum pour alimenter des sites e-commerce personnels témoigne de cette logique entrepreneuriale détournée.
Le manque de formation aux risques financiers aggrave ces dérives. Beaucoup d’employés ne mesurent pas les conséquences pénales de leurs actes ni l’impact sur leur carrière et leur environnement professionnel.
Face à ces défaillances, plusieurs bonnes pratiques s’imposent pour les entreprises sénégalaises. La séparation stricte des tâches constitue le premier rempart : aucun employé ne doit cumuler ordonnancement, paiement et contrôle d’une même opération.
L’audit périodique des comptes et transactions doit devenir systématique, même dans les PME. Des solutions technologiques adaptées permettent désormais de détecter automatiquement les anomalies de dépenses.
La formation des dirigeants aux risques de fraude interne reste cruciale. Beaucoup de chefs d’entreprise sénégalais privilégient encore les relations de confiance aux procédures formalisées, créant des vulnérabilités exploitables.
L’évolution du cadre légal sénégalais doit accompagner ces évolutions. Les sanctions actuelles semblent insuffisamment dissuasives au regard des montants en jeu et de la récurrence des affaires.
La coopération justice-secteur privé mérite d’être renforcée pour accélérer les procédures et faciliter la récupération des actifs détournés. L’exemple d’Intech, où le fraudeur tente de fuir le pays, souligne l’importance d’une réaction judiciaire rapide.
Les initiatives sectorielles portées par les organisations patronales pourraient mutualiser les bonnes pratiques et sensibiliser les dirigeants aux risques émergents.
(Source : Social Net Link, 14 août 2025)