Le cahier des charges est fondamental pour ce qu’il canalise les obligations de l’opérateur dans son exploitation, vis-à-vis des usagers. Aussi, si on peut comprendre, sous ce rapport, que le gouvernement et l’autorité de régulation prennent tout leur temps pour « pondre » un document pertinent qui prend en charge les préoccupations nationales en matière de télécoms, il est tout de même difficile de croire que ce seul aspect est la seule raison d’un lancement sans cesse reporté aux calendes grecques. On se rappelle, lors de l’interview exclusive qu’il nous avait accordée lors du Sommet mondial sur la société de l’information(Smsi) à Tunis, le Conseiller spécial du Chef de l’Etat Pape Ousmane Sy tentait d’expliquer le retard accusé dans le lancement de l’appel d’offres pour l’octroi d’une troisième licence d’exploitation des télécoms,
Ce retard-là, disait-il, « est tout à fait relatif. En fait nous avons pris le temps de bien choisir nos conseillers et de bien stabiliser notre stratégie. Ce qu’il faut comprendre c’est que ce processus de placement de la licence n’est pas sur un coup de tête. Mais nous avons d’abord promulgué une loi sur les télécoms qui a permis de mettre en place l’Agence de régulation des télécommunications(Art). En général, lorsque vous mettez en place ce genre d’institution il vous faut cinq à dix ans pour que celle-ci atteigne sa vitesse de croisière. Nous ne pouvions pas attendre ce temps-là pour mettre sur le marché une nouvelle licence, alors nous avons fixé à l’Art des objectifs assez difficiles à atteindre et ensuite débrider au fur et à mesure. C’est pour ça, d’une part, que le calendrier a évolué de cette manière. D’autre part, nous avons pris le temps de recruter les meilleurs conseillers qui existent sur le marché aujourd’hui et, notre conseiller sectoriel, Mc Kinsey, est le leader mondial du conseil sectoriel, notre conseiller juridique, Clifford Chance, est leader mondial de même que Goldman Sachs qui est notre conseiller financier depuis 48 heures (lundi dernier). »
Par la même occasion, M. Sy ajoutait que « l’Art, en trois ans, a trouvé ses marques, recruté de manière massive et donc aujourd’hui nous sommes prêts. »
Seulement, il n’y a toujours pas de cahier des charges. Pourquoi alors annoncer des dates qui ne sont jamais respectées ?
Aussi, en l’absence de cahier des charges, pouvons-nous d’ores et déjà présumer, en tout cas, que le nouvel opérateur qui aura la possibilité d’exploiter les réseaux fixe et mobile, devra-t-il également contribuer à la réalisation des objectifs définis par la politique sectorielle de l’Etat, qui ambitionne de raccorder plus de 9.500 villages d’ici à 2008 et 14.200 villages en 2010. Pour autant, il convient en tout cas de prendre conscience, par un effet d’analyse, de certaines incertitudes afin de se donner au minimum les moyens d’établir un marché profitable au pays et à ses populations.
Réguler efficacement
Dans un contexte d’ouverture du marché sur tous ses segments, la concurrence qui n’attire souvent que des entreprises à la recherche de profits rapides ne s’intéressant qu’aux marchés de niches au détriment du service public n’est pas pour autant la solution. L’Etat, après avoir touché l’argent des privatisations, tout en étant bien inspiré de reprendre son rôle de régulateur, a encore fort à faire pour imposer la satisfaction des besoins de service public, et ne pas se contenter d’empocher d’éventuelles fortes pénalités que doit payer l’opérateur pour ne pas avoir respecté ses engagements.
Par ailleurs, de plus en plus, se développent de par le monde des réseaux à guichet unique, gérés par de gros opérateurs (British Télécom en est un des précurseurs) qui permette aux multinationales d’établir directement des communications par satellite avec l’ensemble de leurs filiales, moyennant l’installation sur chaque site d’une petite antenne VSAT, guère plus grande qu’une antenne parabolique. Les risques que peuvent entraîner ces systèmes ne se limitent malheureusement pas à des pertes directes de chiffres d’affaires. Il y a également de fortes menaces de détournement de trafic, les entreprises concernées pouvant servir, par le canal de leurs installations, de noeuds de transmission à des entreprises voisines. De la même manière, certaines entreprises étrangères installées font jouer les différences sur les tarifs internationaux par le biais de serveurs vocaux de rappel automatique. Ainsi, les communications sont toujours établies de manière unilatérale à partir du pays aux tarifs les moins élevés. Conséquence, l’ouverture du secteur peut constituer un facteur de fuite de trafic vers les gros opérateurs internationaux.
Il s’y ajoute que le marché des télécommunications, à l’instar de tous ceux qui s’appuient sur un réseau, a ceci de particulier qu’il n’est intéressant du point de vue de l’Etat, garant de l’intérêt général et de l’égalité de chances entre les citoyens, que si le maximum d’usagers peuvent accéder aux services offerts. Qu’en est-t-il réellement du Sénégal ? Les mécanismes régulateurs devront en tout cas être efficaces, et équilibrés entre les futurs opérateurs d’un marché ouvert, pour poursuivre les investissements non rentables jusqu’ici à la charge de l’opérateur national, faut-il le rappeler.
MALICK NDAW
(Source : Sud Quotidien, 27 mai 2006)