Ipres/Vente des actions Sonatel : Spéculation heureuse ou faute grave ?
lundi 28 juillet 2008
L’Institut de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) a cédé le 9 juin dernier, 75.000 parts des 150.000 actions « Sonatel » qu’il détient à 180.000 Fcfa l’unité, engrangeant au passage, déduction faite des frais de courtage, 13.351.500.000 Fcfa. Une spéculation heureuse au moment où la tendance boursière de la Sonatel semble « baissière » ou faute grave de gestion ? Si d’aucuns parmi les administrateurs applaudissent le « coup », d’autres questionnent les procédures et les motivations au moment où, affirment-ils, « les caisses de la structure sont suffisamment liquides ».
L’institution de prévoyance retraite (Ipres) que préside Racine Sy et que dirige, Alassane Robert Diallo a donné suite favorable à la requête en date du 4 février 2008 de sa Direction financière qui suggérait une cession au moins partielle des actions Sonatel de la boîte. Il a cédé 50% de ces actions, soit 75.000 parts des 150.000 actions au cours en bourse le 9 juin dernier à 180.000 Fcfa l’action. Au motif que le cours de la bourse « avait atteint un niveau record. La tendance haussière de l’action avait amené ainsi la Bici bourse (le courtier Ndlr) à proposer un prix de cession du titre. Le produit engrangé servirait à réaliser des projets immobiliers rentables en souffrance de l’institution ». Il engrange, déduction faite des frais de courtage, 13. 351.500.000 Fcfa.
Ce que Elimane Diouf, Secrétaire général du Bureau du Conseil d’administration, interrogé au téléphone hier dimanche 27 juillet, confirme. « Déjà en 2007 quand nous avons appris que l’Etat lui-même envisageait de vendre ses actions Sonatel et qu’un troisième opérateur entrait en lice, s’y ajoute que nous avions plusieurs projets, notamment immobiliers, le débat de la cession de tout ou partie de nos actions Sonatel s’était déjà posé à cette occasion. Nous avons dit à l’époque qu’il nous fallait attendre de connaître l’évolution boursière et de percevoir d’abord nos dividendes avant toute spéculation à ce propos. C’est ce que nous avons fait en 2008. Je précise que tout c’est passé dans le respect strict des procédures et avec l’aval du Conseil d’administration qui a approuvé à la majorité les propositions de son bureau », assure-t-il. Simples justifications d’un Secrétaire général intéressé et mis en cause ?
Que nenni. Mody Guiro, Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts), 1er vice président du Conseil d’administration dit la même chose. « Quand l’Ipres achetait les actions, personne n’en a entendu parler. Pourquoi autant de bruit aujourd’hui ? Il revient, que je sache, au Conseil d’administration, à son bureau et à la direction générale de prendre les décisions de gestion. De rentabiliser l’argent de la société. Ayant appris que l’Etat allait vendre ses actions, qu’un troisième opérateur arrivait, le Conseil d’administration a décidé de vendre après débat où certains ont demandé de minimiser les risques et de ne céder que la moitié des actions. C’est une décision commune, à la majorité en tous les cas. Cela s’est fait dans la transparence. Je ne peux, en ce qui me concerne, entrer dans d’autres considérations ».
Coup de génie ou aliénation abusive ?
En vendant la moitié de ses actions Sonatel, la Direction générale de l’Ipres a réussi ainsi une bonne spéculation affirment certains de ses membres. Argumentant, ils avancent : « dans l’optique de maximaliser nos profits, nous avons attendu d’encaisser nos dividendes pour un montant de 1.485.000.000 Fcfa avant de procéder à la cession ». Charles Faye membre du Conseil d’administration, un des administrateurs du Conseil national du patronat (Cnp) d’ajouter, « contrairement à un administrateur qui pollue le pays avec ses déclarations les unes plus farfelues que les autres, il ne s’agit dans cette affaire, que d’une simple décision de gestion que n’importe quel Conseil d’administration prend à longueur de journée sans que cela n’entraîne autant de bruit inutilement. L’année dernière au mois d’août, si ma mémoire ne me trahit pas, nous avons discuté sur l’invitation du Directeur financier de l’opportunité ou non de la vente de tout ou partie des actions. Une décision que le Conseil d’administration du 14 février 2008 sur proposition du bureau a entérinée.
En vendant le 9 juin dernier la moitié des actions, nous avons réalisé des bénéfices importants, d’autant plus que Bici bourse a obtenu pour la cession des 75.000 actions, 180.000 Cfa l’unité. Dois-je rappeler que la tendance reste baissière. Il y a quinze jours le cours était à 178.000 Fcfa et reste sujet à des fluctuations. Je soutiens que le Conseil d’administration de la Caisse de sécurité nationale a marqué son accord formel pour un prix de vente de 175.000 Fcfa par action depuis le 25 octobre 2007. Nous, nous avons obtenu 180.000 Fcfa l’unité ce qui a généré pour l’institut la somme de 13. 351.500.000 Fcfa déduction faite des frais de courtage ».
Pour Charles Faye, l’Ipres a « par conséquent tiré de cette opération deux avantages particuliers : une plus value de 11 milliards de Fcfa qui, jusqu’ici n’était que latente. Deuxièmement, les placements actuels du produit de la vente sont à un taux d’intérêt moyen de 6,36% net d’impôt contre un taux de rendement offert cette année par la Sonatel de 5, 5% ».
N’empêche, cette vente éveille interrogations et entraîne suspicions de la part d’un administrateur en l’occurrence, un des administrateurs de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes). Il considère en effet qu’il s’agit plutôt d’une faute de gestion grave. « A quel moment ont-ils pris cette décision ? Par quelle instance ? En tout cas pas par une instance à laquelle, nous avons assisté.
Or pour aliéner les avoirs de l’institution seul le Conseil d’administration est habilité. Le Président dit avoir obtenu l’aval du Conseil d’administration. A quelle réunion », s’interroge-t-il. Il est conforté dans sa position, déclare-t-il, par le fait que son recours adressé au Directeur du travail et de la sécurité sociale, lui donne toutes les raisons de s’inquiéter.
Car, « c’est même le Directeur du travail qui affirme dans sa réponse en date du 12 juin dernier qu’aucun Conseil d’administration ne s’est tenu depuis que le bureau a décidé de vendre, c’est-à-dire au mois de février dernier ». Alors qu’en est-il du Conseil d’administration du 14 février ? « Je vous laisse le soin de vous interroger », répond-il laissant ainsi entendre qu’il pourrait s’agir là d’un « faux fabriqué pour les besoins de la cause ».
La curiosité, affirme le représentant du Cnes réside également, dans le fait que « le Directeur du travail dont c’est la prérogative, nous demande de prouver que la vente a eu effectivement lieu. Il oublie certainement qu’il lui revient d’entériner parce que la tutelle, tout acte à ce sujet et que rien ne peut se faire sans qu’il en soit informé. Qu’à cela ne tienne, la presse lui a démontré que la vente a eu effectivement lieu. Qu’attend-il donc pour sévir ? »
Rivalités patronales ?
Un contentieux semble ainsi ouvert au sujet de cette vente entre des administrateurs défendant des couleurs différentes du patronat au sein de l’instance. L’administrateur de la Cnes relève dans son recours que c’est le 30 avril 2008, (le 28 avril précisément si on en croit la date mentionnée dans le Pv sanctionnant les travaux et dont Sud détient copie) en « questions diverses », que le président du Conseil d’administration a informé de la décision prise le ...13 février 2008 de vendre 50 % des actions détenues par l’Ipres. Une décision qui aurait été consignée dans un Pv signé par le Secrétaire général et le Pca lui-même.
Pour le représentant de la Cnes, cette décision viole totalement les statuts de l’Ipres. Ne lui parlez pas du Conseil d’administration du 14 février. « Qui parmi les membres du Conseil se souvient de cette question ce jour là ? Ce n’est pas en tout cas, ni Mamadou Diop Castro de l’Uden, Alioune Maïga, Malamine Ndiaye, ni les représentants de la Cnes. L’ordre du jour de ce Conseil d’administration n’avait qu’un seul point. Il n’était nullement question de la vente des actions Sonatel, ce qui aurait sans contestation possible attiré l’attention de tout le monde et l’aurait amené à débattre de la question ».
En fait, le représentant de la Cnes accuse certains administrateurs « d’aliéner une des plus importantes valeurs mobilières de l’institution sans débat de fond sur l’utilité et l’intérêt pour l’institution d’une telle mesure et surtout approbation préalable du Conseil d’administration de l’Ipres ». Il ajoute « le viol de l’article 23 des statuts sur la durée du mandat du Pca ».
Selon lui, le mandat des administrateurs a expiré depuis le 31 décembre 2007 et « malgré l’injonction du ministre du Travail par courrier en date du 9 avril 2008, (...) le Pca s’obstine dans son refus de convoquer les instances pour le renouvellement des administrateurs et du collège des représentants. » On note cependant qu’à ce sujet, la tutelle lui a répondu que cette récrimination était sans objet. Le représentant de la Cnes souligne néanmoins que malgré la situation décrite, le Pca continue de commettre des actes de gestion ni votés ni autorisés par le Conseil d’administration.
Les contempteurs du Pca de l’Ipres, membre du Cnp, la structure rivale de la Cnes, s’inquiètent aussi des motivations d’une telle vente des actions Sonatel de l’Ipres. « Pourquoi vendre des titres qui apportent de l’argent ? Pour quels projets ? Qui a approuvé ces projets ? A quelle séance du conseil d’administration ? »
Mauvaises et fausses querelles, rétorque l’autre camp. Selon Lamine Fall membre du Bureau, « la décision de vendre a été prise à la majorité par les membres du Bureau du Conseil d’administration, vente que le Conseil lui-même a avalisée. De toute façon ceux là qui s’épanchent sur la place publique et qui font semblant de tout découvrir étaient bien représentés au niveau de ces deux instances où le sujet était débattu ».
Du côté de la direction générale comme de la présidence du Conseil, on soutient être tout à fait serein dans cette affaire. « La vente s’est déroulée dans les règles de l’art, en toute transparence comme toujours. Notre courtier en bourse qui nous avait trouvé ces actions à moins de 30.000 Fcfa l’unité en 1997 et qui assurait la garde des titres s’est chargé de nous les revendre à 180.000 Fcfa. Cette somme destinée à des placements immobiliers plus sécurisants et plus rentables est provisoirement affectée à des dépôts à termes dans des banques de la place.
Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté des retraités, ces ressources nouvelles pourraient être utilisées pour l’augmentation généralisée des pensions au-delà de l’indexation mécanique, à compter de 2009, des pensions sur l’inflation estimée à 2% ; pour le financement d’une pension minimale calculée sur la base du seuil de pauvreté en besoins essentiels. Pour appuyer la scolarisation des enfants de retraités.
Pour appuyer les retraités dans le cadre de l’accès aux logements sociaux, pour l’amélioration de l’état de santé et les conditions des retraités... », y répond-on.
Profession de foi assurément. Mais qui n’empêche nullement celui qui récuse leur gestion de s’interroger sur l’orthodoxie des procédures utilisées et sur l’opportunité d’une telle vente. Simple querelle de leadership et crypto personnelle, reviennent à la charge ceux qui épousent la thèse de la Direction générale. En attendant, l’Ipres s’est délesté de la moitié de ses actions Sonatel en renflouant ses caisses au passage de 13 milliards Fcfa. Seront-ils dépensés au seul profit des retraités ?
Des retraités regroupés au sein du Cnar/Pa disent dénoncer le manque de transparence du dossier. Le problème est qu’ils relèveraient en majorité du Fonds national de retraite (l’Ipres des fonctionnaires Ndlr). Ils disent néanmoins, qu’une « telle cession, même décidée par le Conseil d’administration de l’Ipres, devrait être rendue publique par procédure d’offres publiques de vente ».
Charles Faye s’inscrit en faux contre de telles allégations. « Notre courtier Bici bourse s’en est occupé en toute transparence. Ceux qui parlent ignorent totalement comment cela fonctionne sur les places financières. On fait de la diversion, de l’amalgame et de l’intoxication. Ceux qui parlent ne le font nullement au nom des retraités qui sont bien représentés au Conseil d’administration, mais en leurs noms propres pour leurs propres intérêts.
Ce que l’équipe actuelle a réalisé en si peu de temps, aucune autre équipe de l’Ipres ne l’a fait. Tout le monde peut en témoigner », plaide-t-il. Pour Charles Faye et son camp, « il ne s’agit ni plus, ni moins d’une tentative de « court-circuiter la présidence de Racine Sy à la Caisse de sécurité sociale. Mais c’est peine perdue ».
Madior Fall
(Source : Sud Quotidien, 28 juillet 2008)