Internet : l’Afrique, ses coupures endémiques et davantage coûteuses
vendredi 28 janvier 2022
Les coupures d’internet interviennent de plus en plus dans la gestion des crises que traversent plusieurs pays africains, au grand détriment de l’économie et des populations qui en paient le prix fort.
Ouagadougou, lundi 24 janvier 2022, les Burkinabè sont tirés de leur sommeil par des coups de fusils. Ces crépitements, qui s’achèveront dans la journée par le renversement du président Roch Marc Christian Kaboré, empêche la population de vaquer à ses occupations. La coupure d’internet constatée ce même jour n’est pas faite pour arranger les choses. Mais voilà, ce n’est pas un fait nouveau. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, les internautes ont maintes fois été privés de satisfaire leur désir humain de rester en contact via les réseaux sociaux. Fin novembre 2021, 10 janvier 2022, puis le 23 janvier 2022, à la veille de ce coup d’Etat fatidique.
Face au mécontentement des internautes, le gouvernement déchu n’avait pas trouvé nécessaire de se justifier, évoquant des raisons sécuritaires dans l’intérêt de la nation. La suite ? Une série de protestations manifestement sociales, politiques et économiques soldées par le basculement du pouvoir.
Des coupures “soudaines et injustifiées”
Selon un rapport de Cloudflare, une entreprise américaine de services de sécurité internet, les principaux fournisseurs d’accès internet (FAI) qui sont Orange et FasoNet ont constaté une baisse du trafic. tout comme chez Telecel Faso. Pis, d’autres supports de connexion ont été affectés, en dehors du mobile qui représente 70% du trafic internet.
L’ONG américaine Internet Society a, pour sa part, relevé une coupure d’internet “soudaine et injustifiée” pendant 92 heures à partir du 20 novembre 2021, représentant 70% du trafic national. Conséquences : des pertes économiques d’environ 34,8 millions de dollars (près de 17 milliards de FCFA), selon l’indice Netblocks.
En 2021, le coût total des restrictions d’internet au Burkina Faso s’élevait à plus de 35,9 millions de dollars, estime l’organisation internationale Top10Vpn. Dans son rapport sur les coûts des coupures enregistrées au cours de la même année, elle cite plusieurs pays africains affectés par des pannes dans des contextes de violation des droits de l’homme.
« Le Nigeria a été le pays le plus touché en Afrique (1,45 milliard de dollars) et le troisième au monde, mais l’Éthiopie (164,5 millions de dollars), le Soudan (157,4 millions de dollars) et l’Ouganda (109,7 millions de dollars) figurent également dans le top 6 des pays les plus touchés », rapporte à Cio Mag, la chargée de recherche et de communication chez Top10Vpn, Katherine Barnett. Concernant le Nigeria, elle tient à préciser que cette évaluation inclut le coût économique de l’interdiction de Twitter au Nigeria. « Une fois qu’elle a pris fin le 12 janvier, nous avons calculé qu’elle a coûté 1,54 milliard de dollars au pays », indique-t-elle.
VPN à la rescousse
Au total, le Nigeria a subi 5040 heures de coupure des médias sociaux. Ce qui a fait grimper de 1409% les recours aux VPN à la suite du blocage de Twitter ordonné par le gouvernement fédéral. L’interdiction de Twitter, précise le rapport de Top10Vpn, a finalement été levée après 222 jours, soit le 12 janvier 2022, occasionnant une perte d’un coût total de 1,54 milliard de dollars pour l’économie nigériane.
L’Ethiopie arrive en seconde position africaine dans ce classement peu glorieux avec une panne de 8760 heures, soit 104 heures de fermeture des réseaux sociaux pour une perte d’un coût total de 164,5 millions de dollars. « Le gouvernement a bloqué l’accès à Facebook, WhatsApp et Instagram dans tout le pays en mai. Un autre blocage des médias sociaux à la suite de la fuite de documents d’examen en ligne a entraîné une augmentation de 5 109 % de la demande de services VPN », indique le rapport.
Il ajoute que la panne d’internet en cours au Tigré en Ethiopie a été utilisée comme une arme de contrôle d’information et que malgré les diverses coupures, des preuves de viols massifs, des arrestations de journalistes et le massacre de dizaines de civils ont été révélés.
Au Soudan, 605 heures de panne d’internet avec 172 heures de fermeture des réseaux sociaux ont coûté plus de 157 millions de dollars dans l’atteinte au droit de rassemblement et la liberté de la presse. Le gouvernement soudanais a en effet imposé une série de pannes d’internet d’octobre à décembre, avant les manifestations pro-démocratie prévues à Khartoum et plus tôt dans l’année en juin 2021 lors des examens nationaux pour la deuxième année consécutive.
Plus de 573 heures de fermeture des réseaux sociaux et 118 heures de panne ont coûté plus de 109 millions de dollars à l’Ouganda en faisant bondir la demande de VPN à 1343%.
1,93 milliard de dollars perdu en Afrique subsaharienne
A en croire Top10Vpn, les pannes intempestives d’Internet visaient à cacher la répression sanglante du gouvernement contre les détracteurs des 35 ans de règne du président Yoweri Museveni. Au moins 54 personnes ont été tuées ; le chef de l’opposition Bobi Wine a été détenu à plusieurs reprises avant le jour du scrutin, sur fond d’accusations de fraudes.
Les pays qui se succèdent dans la liste sont l’Eswatini avec une panne de 126 heures ayant coûté près de 3 millions de dollars, la République du Congo avec 72 heures de panne et 2,5 millions de dollars de pertes, la Zambie pour 48 heures de panne d’une valeur de près de 2 millions de dollars et une augmentation de 16 341 % de la demande de VPN. Au Tchad, plus de 29 heures de panne d’internet ont coûté 1,6 million de dollars à l’économie nationale.
Au total, les coupures d’internet auront coûté 1,93 milliard de dollars à l’Afrique subsaharienne en 2021, près de 57 millions de dollars dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Ces chiffres marquent une nette augmentation par rapport à l’année 2020 où l’Afrique subsaharienne a perdu 237,4 millions de dollars, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord près de 290 millions de dollars.
Selon les experts, les gouvernements effectuent ces coupures sous forme de panne totale d’internet, de blocages des réseaux sociaux ou de limitation sévère des vitesses de connexion. Sur ordre des décideurs locaux, les FAI procèdent par des restrictions, des manipulations du protocole de passerelle frontalière, des blocages d’adresse IP. D’autres, filtrent le système de noms de domaines.
Pour la Collaboration sur la politique internationale des TIC en Afrique orientale et australe (CIPESA), ces perturbations sont devenues endémiques dans plusieurs pays africains et constituent l’un des obstacles à l’atteinte d’un meilleur accès à Internet malgré une croissance exponentielle de l’Internet mobile qui s’élevait à 28 % de pénétration en 2020.
Aurore Bonny
(Source : CIO Mag, 28 janvier 2022)