Pour beaucoup de journaux occidentaux, le sommet de Genève n’a pas vraiment tenu ses promesses. C’est le constat que l’on peut faire à travers quelques titres d’articles et commentaires. « Sommet de l’Information : la grand-messe de l’internet accouche d’une souris », « L’internet mondial se réunit pour accoucher d’une souris », « Internet et liberté d’expression, un consensus impossible à trouver à Genève », etc., sont quelques-uns de ces articles sur le sommet, tandis qu’une radio internationale annonçait dès le premier jour du SMSI et sans doute un peu précipitamment, le 12 décembre, que « la proposition [du Sénégal sur la solidarité numérique] a été rejetée », décrétant déjà le « refus net de la communauté internationale » par rapport à cette proposition.
Du côté du Sénégal par contre, l’on semble totalement satisfait - peut-être un peu trop même - des résultats de Genève 2003. Le gouvernement estime, en effet, que le SMSI a été un plein succès, se fondant certainement sur l’acceptation du principe de la solidarité numérique, l’un des thèmes phares de la rencontre, et sur la participation plutôt remarquée du Sénégal qui défendait, avec l’Afrique et « les trois quarts de l’humanité », son fonds de solidarité numérique.
Le bilan du SMSI devra probablement être considéré comme mitigé, loin du négativisme d’une certaine presse qui conclut sans mesure à un échec, mais aussi du triomphalisme d’une autre (notamment la télé sénégalaise, RTS) qui parle sans mesure d’un succès (sénégalais) tous azimuts.
Il convient de rappeler ici que c’était bien la première fois que les Nations unies organisaient une rencontre tripartite réunissant à la fois les gouvernements, le secteur privé et la société civile. Cela, bien sûr, n’a pas été facile dans la mise en œuvre.
La fameuse Déclaration de principe, fièrement brandie à l’issue du sommet par les organisateurs, a une « petite sœur ». En effet, la Société civile, à travers le Groupe de coordination de la société civile (GCSC), a publié sa propre déclaration de principe, différente de l’officielle. Cette initiative, peu unitaire, dépare alors même que le GSCS participait au sommet au même titre que le secteur privé et les gouvernements. Le consensus, quoiqu’on dise, n’est donc pas vraiment complet comme on veut nous le faire croire. Et l’une des raisons de cette absence de consensus, on la trouve dans certains passages de la Déclaration de principe officielle, relatifs aux droits de l’homme qui, selon la Société civile, pouvaient être interprétés de façon divergente selon les contextes et les gouvernements, avec toutes les dérives auxquels on peut s’attendre dans certains pays pas forcément très « droits de l’homme ».
Ceux qui mettent l’accent sur les côtés négatifs du sommet insistent aussi sur le « malaise tunisien », amené par la situation des libertés en Tunisie, en relation avec le fait que la phase 2 du SMSI est prévue en 2005 à Tunis et par rapport à l’homme chargé de piloter cette phase, M. Habib Ammar, ex-ministre de l’Intérieur considéré par certaines organisations des droits de l’homme comme un ancien ordonnateur de tortures dans son pays. A Genève, même la liberté de presse en a pris un coup, puisque, rapporte la correspondante du média internet ZDNet., « il n’était pas permis d’en dire trop sur la Tunisie dans l’enceinte du SMSI ». Elle donne l’exemple du premier numéro du quotidien d’informations de l’agence IPS, spécialement édité pour le sommet, « Terra Viva », qui a été censuré tandis que les numéros suivants « disparaissaient au fur et à mesure qu’ils étaient distribués en salle de presse, embarqués, selon des témoins, par des Tunisiens zélés ». Autres supports portés disparus durant la grand messe de l’information : une affichette « Wanted Habib Ammar » qui n’a tenu que très peu de temps.
Côté protestations démonstratives, la presse a déploré « la répression brutale et immédiate d’une manifestation à l’appel du Collectif de résistance au SMSI », le 12 décembre, dont le slogan était « l’information ne se vend pas, elle se partage ». Le SMSI a ainsi eu, en quelque sorte, ses altermondialistes. Quant à la radio pirate de Reporters sans frontières (organisation elle-même interdite de SMSI), « Radio Non Grata », ses émissions diffusées depuis la France ne dureront que la journée du 12 décembre, leur émetteur ayant été saisi par les autorités françaises. Tous comptes faits, ce n’est pas qu’en Afrique et dans les pays du Sud que l’on constate des entraves à la liberté d’informer…
Autre chose que les tenants du verre à demi-vide n’ont pas omis de signaler : le niveau de la participation des délégations. Il y a eu certes une cinquantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement. Mais beaucoup de pays du Nord pour lesquels on s’attendait à une participation au plus haut niveau se sont faits représenter par de simples fonctionnaires tandis que manquaient aussi à l’appel une bonne partie des dirigeants des grandes sociétés informatiques. Le quotidien « International Herald Tribune » résume en écrivant que « le sommet n’a attiré principalement que les délégués du côté défavorisé de la fracture numérique ».
Et pourtant lorsqu’on entend le président Wade et son ministre chargé des NTIC, M. Mamadou Diop Decroix, faire le bilan du sommet, on dirait qu’ils ne parlent pas de la même chose que la presse jugée pessimiste. Ici, c’est le terme « succès » qui sous-tend tous les constats.
Une partie de la communauté internationale (essentiellement l’Afrique, soutenue par les pays du Sud) a décidé - et la Déclaration de principe lui a reconnu ce droit - de créer le Fonds de solidarité numérique tandis que les pays du Nord préfèrent, au préalable, faire des études pour diagnostiquer la valeur des mécanismes actuels de financement et l’opportunité de créer un fonds spécifique. L’objectif idéal du Fonds de solidarité numérique était certes que tous les pays l’acceptent dès le départ, mais le Sénégal et l’Afrique se disent satisfaits qu’il ait été créé avec le soutien du Groupe Arabe, du Groupe des pays d’Amérique latine, de l’Organisation de conférence islamique, de la Francophonie, du Brésil, de l’Inde, de la Chine, du Vietnam… Les autorités sénégalaises demeurent d’ailleurs convaincues que les pays du Nord rejoindront à l’avenir le fonds, parce qu’il a des spécificités par rapport à tous les mécanismes qui existent actuellement. Ces mécanismes de financement, explique en substance M. Mamadou Diop Decroix dans une interview au « Soleil » (mercredi 17 décembre), sont fondés sur les Etats, qui dépendent de parlements et de budgets fluctuants, alors que le Fonds de solidarité numérique est essentiellement fondé sur les dons des citoyens l’alimentent par leurs contributions volontaires.
Alors, Genève 2003, verre à demi-vide à demi-plein, échec ou succès ? C’est selon…
Cheikh Alioune JAW
(Source : « Nouvel Horizon », 19 décembre 2003)