Au Sénégal, les fournisseurs d’accès Internet privés dénoncent les pratiques déloyales de l’opérateur téléphonique historique Sonatel. Et soupçonnent France Télécom, son principal actionnaire, d’y rebâtir le monopole qu’il a perdu en France.
L’histoire aurait pu passer inaperçue, tant les difficultés d’accès au réseau font partie du quotidien des internautes sénégalais. Mais cette fois-ci, la rupture des lignes de trois fournisseurs d’accès sénégalais a suscité une fronde contre l’opérateur historique, la Sonatel, et contre son actionnaire majoritaire (à 42,33 %), France Télécom. Retour en décembre 2000. Plusieurs fournisseurs d’accès privés - locataires de liaisons spécialisées auprès de la Sonatel - ne paient plus leurs factures. Les arriérés s’accumulent et la Sonatel décide de couper leurs lignes, avant de s’entendre avec eux sur un moratoire, et de rétablir les lignes début janvier 2001. « Nous avions un arriéré de 40 millions de francs CFA (400 000 francs français - NDLR), raconte ainsi Baba Diop, le directeur administratif de Point Net. Nous avons versé 20 % de cette somme pour obtenir la réouverture de notre ligne. La Sonatel devait ensuite nous adresser un protocole d’accord pour le paiement du solde. »
Punition collective
Mais, en fait de protocole, la Sonatel coupe à nouveau les lignes, le 26 février. La plupart des FAI sont contraints de suspendre leur service, au moins quelques minutes. Certains, à l’instar de Metissacana, subissent une interruption de deux semaines. D’autres, comme Point Net, n’ont à ce jour toujours pas récupéré leur ligne. « Compte tenu du rôle capital que joue aujourd’hui Internet pour un nombre croissant d’individus, d’entreprises, d’associations, d’ONG (...), on peut s’interroger sur la légitimité d’une telle mesure qui inflige une punition collective à des milliers d’utilisateurs », écrit Amadou Top, dans le bulletin mensuel de l’Osiris, un observatoire sur les nouvelles technologies au Sénégal. De fait, les internautes lésés - qui n’ont parfois pu accéder à leur messagerie électronique pendant trois semaines - font le siège de leur FAI. « Du coup, nous nous trouvons obligés de les envoyer chez Télécom Plus, la filiale Internet de la Sonatel », se lamente Baba Diop.
Politique de monopole
S’ils ne contestent pas la nécessité de payer les factures, les FAI sénégalais dénoncent les prix exorbitants fixés par France Télécom, via la Sonatel, pour la location de liaisons spécialisées. Une ligne de 128 kbits est ainsi facturée 996 000 CFA par mois (9 960 FF), trois fois le tarif français (3 540 FF) ! Et le rapport est de 1 à 5 pour une liaison de 2 048 kbits... « Rien ne justifie de tels prix, insiste Amadou Top de l’Osiris. Le réseau est installé depuis plusieurs années. Les investissements sont donc largement amortis. C’est typiquement une politique de monopole de la part de la Sonatel et de France Télécom. » Autre accusation, la Sonatel offrirait - gratuitement - l’accès au réseau à sa filiale Internet Telecom Plus, lui permettant ainsi de casser les prix avec des forfaits Internet exclusifs et, donc, d’écraser la concurrence.
Financer l’équipement des zones rurales
Enfin, les pratiques de la Sonatel constitueraient une forme de représailles au développement de la téléphonie sur Internet, proposé par de nombreux FAI privés. Cette pratique, très répandue au Sénégal, met à mal le monopole de la Sonatel sur le transport de la voix. Celui-ci, qui figure noir sur blanc dans le cahier des charges de la privatisation de la Sonatel, a été obtenu en 1997 par France Télécom, en contrepartie de son entrée au capital. Il doit être maintenu jusqu’en 2004. « Aujourd’hui, 70 % de nos recettes proviennent des télécommunications internationales, justifie Léon Charles Ciss, le directeur commercial de la Sonatel. Cette activité nous permet de financer l’équipement de la totalité des communes du pays, que nous impose l’...tat et qui nous coûte cher. Nous voulons bien remettre en cause notre monopole, mais alors tout le monde devra partager les charges. » Les opérateurs privés, de leur part, réclament que l’affaire soit tranchée par une autorité indépendante. Or, promise depuis 1996, elle ne devrait pas voir le jour avant l’été. Mais en haut lieu, on a déjà une opinion assez tranchée sur les relations entre la Sonatel et ses concurrents : « En laissant les réseaux aux mains de la Sonatel, on prolonge son monopole historique sur les nouveaux services et on bloque l’innovation. C’est inacceptable, prévient Cheikh T. Ndiongue, le directeur de la réglementation au ministère de la communication. Il appartient à l’ Etat de veiller à l’intérêt national, qui n’est ni l’intérêt particulier de France Télécom, ni celui d’aucune autre entreprise. »
Walter Bouvais
(Source : Transer.Net 16 mars 2001)