Emmanuel Adjovi, Responsable de projets- : « C’est une erreur de priver les radios communautaires de ressources publicitaires »
mardi 2 novembre 2004
Au Sénégal, les promoteurs de radios communautaires avaient récemment émis le vœu de voir les autorités leur permettre d’assurer 25 % de leurs chiffres d’affaires par des rentrées publicitaires. Pour Emmanuel Adjovi, responsable de projets à l’Agence internationale de la francophonie (Aif) chargé de la section « Radio locale », il est possible de permettre aux radios communautaires de faire de la publicité à condition d’en limiter le volume.
Wal Fadjri : La loi interdit aux radios communautaires de faire de la publicité. Une telle mesure ne peut-elle pas nuire à la viabilité de ces supports ?
Emmanuel Adjovi : Personnellement, je ne suis pas favorable à l’interdiction de la publicité au niveau des radios communautaires. C’est une erreur de penser qu’on peut les priver de toutes ressources publicitaires. Mais je comprends qu’on veuille limiter le volume de leurs publicités. Parce que ces radios ne paient pas autant de redevances que les radios commerciales. La vocation de ces dernières est de faire des profits, alors que les radios communautaires, leur vocation n’est pas forcément de faire des profits mais plutôt de faire des bénéfices. Il est possible de faire des bénéfices sans faire de profits. La nuance est que les bénéfices ne sont pas répartis, mais ils sont réinvestis dans l’entreprise.
Wal Fadjri :Existe-t-il une relation de complémentarité entre les radios communautaires comme supports de communication de masse et les communautés ?
Emmanuel Adjovi : Le drame dans les pays francophones du Sud, c’est que les radios communautaires ne sont pas suffisamment soutenues par la communauté. Parce qu’ailleurs, le modèle de radio communautaire est un modèle où les dons et le bénévolat de la communauté, sont deux éléments qui constituent des réalités tangibles. Ce n’est pas le cas en Afrique pour de multiples raisons, dont la pauvreté des populations de base. En prenant compte de ces éléments, nous devrions normalement aider les radios communautaires à pouvoir bénéficier de la publicité, tout en limitant le volume de cette publicité. Malheureusement, ce n’est pas une pratique partagée. Il y a une tendance à dire que nous les privons de publicité. Et ce n’est pas une bonne chose. Mais cela dit, il faudrait aussi qu’au niveau des radios communautaires, les gens sortent du fatalisme et de l’esprit d’assistanat.
Wal Fadjri :Autrement dit...
Emmanuel Adjovi : Une radio communautaire est aussi une entreprise, mais une entreprise de type particulier. Une entreprise pour une collectivité et où le profit n’est pas le maître mot. Cela suppose que les responsables des radios communautaires organisent leur structuration. C’est-à-dire avoir des instruments juridiques qui puissent leur permettre de s’organiser efficacement. Mais aussi avoir un Conseil d’administration, un chef de station bien formé capable de monter par exemple des projets viables. Il doit également être capable d’assurer le marketing de la radio. Il ne faudrait pas que les gens s’asseyent sur leurs céans et dire que les gens vont nous aider et l’argent va arriver.
Wal Fadjri :Et comment devront-ils s’y prendre pour faire financer leurs projets ?
Emmanuel Adjovi : Les responsables des radios doivent être plus agressifs. Il faut qu’ils fassent leur marketing en allant vers les personnes, les institutions qui ont les moyens. Il ne s’agira pas de demander de l’aide, mais de faire du service pour service, de proposer des partenariats. Lorsqu’une radio rurale ou locale estime qu’elle peut apporter un service et que ce service est demandé par une institution donnée, la radio peut mener un travail approfondi sur des sujets précis. Par exemple, quand on parle aujourd’hui du droit des enfants, c’est une réalité, une préoccupation dans plusieurs pays africains. Une radio communautaire peut réaliser un certain nombre d’émissions, de microprogrammes sur le droit des enfants. Pourquoi ne pas monter des projets sur le droit des enfants et aller en discuter avec le bureau local de l’Unicef. (...) La stratégie sera de faire comprendre à l’institution que nous voulons contribuer à la réalisation de ses objectifs. Et pour ce faire, il faut des moyens qui devront être mis à notre disposition. La démarche pourrait être la même avec un homme politique ou un commerçant préoccupé par des questions d’alphabétisation, d’hygiène, de sa localité. C’est dire qu’il faut être pro réactif et aller sur le terrain pour trouver des fonds.
Wal Fadjri :Que vous inspire la réflexion devant mener les radios communautaires à s’approprier les nouvelles technologies ?
Emmanuel Adjovi : C’est une préoccupation pour l’agence. Mais il faut se résoudre à l’évidence. Dans la plupart des pays africains, il y a un problème d’infrastructures des télécommunications qui se pose. Lorsqu’une radio locale ou communautaire se trouve dans une zone complètement enclavée, où il n’y a ni électricité, ni téléphone, comment voulez-vous encourager le développement des nouvelles technologies. Nous sommes forcément limités. Au niveau de l’Agence internationale de la francophonie, nous travaillons sur deux volets. Notamment, au niveau des outils que les gens utilisent. Nous encourageons les hommes de radio à utiliser les mini-disques et autres Compact disques (Cd) à la place des cassettes et des bandes magnétiques. Aussi, nous encourageons les radios à travailler sur l’archivage par le système de gravage des émissions sur Cd. Nous les encourageons également à travailler sur le montage numérique.
Wal Fadjri :Quelles sont les actions majeures du département des médias de l’Aif ?
Emmanuel Adjovi : Nous nous investissons principalement dans trois programmes. Il s’agit du programme d’installation et d’implantation de radios locales dans les pays francophones du Sud. Ce programme a démarré depuis 1991 de façon opérationnelle au Vietnam. Son but est de contribuer à la libéralisation des ondes en Afrique. (...) Le bilan établi par l’Aif après quelques années de mise en œuvre a permis de constater qu’il y a une sorte de dynamique d’installation de radios par des promoteurs privés. C’est pourquoi, au niveau de l’agence, nous avons estimé qu’il fallait réorienter ce programme. Nous avons décidé de passer d’une fonction d’« installateur » à une fonction de « développeur » de réseaux. L’ambition nourrie à travers cette nouvelle approche est de « communautariser » les moyens des radios et de leur permettre d’échanger des programmes. Bref, d’assurer une solidarité entre les radios qui pratiquent une communication pour le développement. L’Aif développe, par ailleurs, des programmes d’autorégulation et de régulation. Face aux dérives de la presse, notre objectif est de soutenir les observatoires de régulation. Il s’agit de voir comment mobiliser les moyens non étatiques pour assurer la responsabilité sociale des journalistes et des médias. Ces programmes se proposent de soutenir les instances de régulation, notamment le Réseau des instances africaines de la communication.
Propos recueillis par Mbagnick NGOM
(Source : Wal Fadjri, 2 novembre 2004)