De leurs champs, ils négocient leurs récoltes : Le Wap révolutionne la vie d’agriculteurs sénégalais
lundi 5 août 2002
Une centaine d’agriculteurs sénégalais ont découvert, grâce à la plate-forme Manobi, les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic). Premiers utilisateurs du Wap au Sénégal, ils surfent tous les jours sur cette plate-forme, depuis leurs champs, pour connaître les prix de leurs produits sur les marchés dakarois. Ainsi peuvent-ils vendre au meilleur prix leur production aux intermédiaires (bana-banas) qui viennent s’approvisionner chez eux. La société Manobi qui a développé ce système et le teste depuis septembre 2001 en partenariat avec la Sonatel, s’achemine, après la phase pilote, vers celle de commercialisation élargie des services. Les agriculteurs rencontrés sur le terrain ne cache pas leur bonheur après plusieurs mois d’utilisation.
Tous les matins, à la première heure, Serigne Cheikh Awa Balla Mbacké, agriculteur à Pout, surfe virtuellement. Il se connecte sur le système Xammarsé (la version Wap de Time to Market, voir encadré) développé par Manobi. Il y est abonné via son téléphone portable qui dispose d’un navigateur Wap. Avec cet outil, il connaît en temps réel le prix de vente en gros du kilogramme de choux ou de tomates sur le marché de Thiaroye. Cette source d’informations lui est très utile pour vendre sa production au meilleur prix. A la tête d’une exploitation de 160 hectares qui emploie près de 1000 personnes, il sait que, plus il s’approche du prix auquel l’intermédiaire va vendre sa production au marché de gros de Dakar, plus il pourra augmenter sa marge. « Le prix que je consulte sur Xammarsé est une référence sur laquelle je vais fonder mes décisions, explique-t-il. Cela représente une base me permettant de négocier d’égal à égal avec les bana-banas qui viennent acheter la production ».
Tout comme les autres producteurs qui utilisent ce système, Cheikh Mbacké ne peut plus s’en passer. Terminée l’asymétrie de l’information au profit des intermédiaires, dorénavant la visibilité des prix ouvre de nouveaux horizons aux producteurs qui peuvent commercialiser leur production de façon plus juste et plus équitable. Les gains occasionnés ne sont pas négligeables et les producteurs ne sont plus, comme avant, en position de faiblesse.
David Boggio, directeur technique de Manobi, avoue que les premiers producteurs ont été quelque peu surpris de voir les nouvelles technologies débarquer dans leurs champs. L’an dernier, une organisation de producteurs dynamique de Sébikotane a voulu tenter l’expérience (voir Le Soleil du 3 novembre 2001). L’enthousiasme de ces premiers utilisateurs a occasionné un effet boule-de-neige et ce sont près de 100 agriculteurs qui l’utilisent maintenant quasi-quotidiennement. « Nous allons incessamment lancer la phase de déploiement national, explique M. Boggio. Nous sommes persuadés que 100% des testeurs vont se réabonner au système, ils ne peuvent déjà plus s’en passer ! Notre objectif est de toucher à terme plusieurs milliers de ruraux ».
Mamadou Lamine Sané, petit exploitant agricole de Keur Ndiaye Lô, dans les Niayes, produit des choux, des tomates, des oignons et des asperges. Il ne se sépare jamais de son téléphone portable qui lui ouvre l’accès à la plate-forme Manobi, et qu’il appelle affectueusement « le Mano ». Le principal avantage qu’il en retire est le temps qu’il lui fait gagner. Et, pour un paysan, le temps c’est de l’argent. Avant d’être équipé, il se rendait tous les jours sur les marchés pour vérifier que sa production était vendue au bon prix. Maintenant, il peut consacrer sa journée de travail à son exploitation. L’utilisation est familiale. Sa femme qui vend les tomates en gros sur le marché de Castors s’en sert également tous les soirs pour fixer son prix du lendemain matin. « Ca a complètement changé ma façon de travailler, remarque-t-il. Je ne vends plus en bord champ et je ne vais plus moi-même sur les marchés. Directement depuis mon exploitation, je connais exactement le prix auquel je vais vendre mon produit à Thiaroye ». Sur la difficulté de manipulation du téléphone portable Wap, explique qu’il a appris, en quelques jours, avec l’aide d’un formateur.
A quelques kilomètres de là, à Ndoyenne, M. Cheikh Ba dirige une exploitation d’arbres fruitiers. Le téléphone portable dans une main, il explique qu’il consulte les prix deux fois par semaine au moment des transactions. « Le bana-bana arrive et me donne son prix qui est bien en dessous de la réalité, décrit-il. Je consulte alors discrètement mon portable et je me renseigne sur le prix réel de vente sur le marché de Thiaroye. La discussion peut alors commencer. Si je n’avais pas eu le système de Manobi, j’aurais sûrement accepté son prix au rabais, de peur qu’il ne s’en aille et me laisse seul avec ma production sur les bras ». M. Ba avoue que ses gains sont conséquents. Alors qu’il bradait son kilo de pamplemousse à 350 Fcfa l’an dernier, il le vend à 500 Fcfa cette année. Rapporté à la taille de son exploitation, ce gain de 150 Fcfa par kilo est considérable. « Maintenant je ne pourrais plus m’en passer car sans ce système, je serai complètement aveugle », ajoute-t-il.
Avec de tels résultats, Manobi montre que l’investissement d’une entreprise privée dans les Ntic, soucieuse de satisfaire les besoins des populations rurales, a toute sa place dans le développement d’un pays principalement agricole. Cet exemple s’intègre parfaitement dans les valeurs véhiculées par le Nepad en étant en phase avec le thème consacré aux nouvelles technologies, dont la coordination a été dévolue au Sénégal.
En permettant aux agriculteurs sénégalais d’améliorer leurs revenus, le système développé par Manobi contribue directement au développement économique du monde rural. Au moment où l’on s’interroge sur l’avenir de ce dernier, de telles initiatives ne peuvent que renforcer ses capacités à se moderniser et à s’intégrer de manière compétitive dans les grands marchés mondiaux.
(Source : Le Soleil 05 Août 2002)