Contrôle des appels entrants : Contours d’un contrat obscur qui n’existe pas d’après la loi
jeudi 31 mai 2012
L’irrégularité de la procédure du contrat liant l’Artp à Global Voice Group (GVG) pour le contrôle du trafic international entrant a été établie par l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). Face aux soupçons qui pèsent sur le contrat et les indemnisations réclamées par Global Voice, Moustapha Nguirassy et Ndongo Diao respectivement ex-ministre de la Communication et des Télécommunications et ex-directeur de l’Artp livrent leurs commentaires et dégagent toute responsabilité. Enquête sur un contrat juteux et opaque qui n’a jamais eu lieu.
Officiellement un contrat a été signé le 1er juin 2010. En réalité, il n y a jamais eu de contrat du point de vue de la loi. Pour être valides, les contrats signés par l’Artp doivent, en effet, être approuvés par le ministère de l’Economie et des Finances. Le Directeur général de l’Artp, Ndongo Diao confirme que le ministre des Finances n’a jamais approuvé le contrat. « J’avais envoyé une lettre au Premier ministre pour qu’il approuve le contrat, il m’avait fait savoir que les règles ont changé en me disant que désormais c’est le ministre des finances qui doit l’approuver ». A ce jour le contrat n’a jamais été approuvé. A la question de savoir y a-t-il eu contrat entre les deux parties, Diao se refuse à répondre par oui ou non. Pourtant par lettre n°005 ARTP/DG du 12 août 2011 à l’adresse du DG de l’Armp Ndongo Diao écrit : « je vous informe qu’à ce stade, aucun contrat n’est signé entre les deux parties ».
Face aux soupçons légitimes d’avoir voulu enrichir sans cause Global Voice, M. Diao se démarque d’aucune intention dans ce sens. Du 12 janvier au 11 mars, l’Artp n’a eu de cesse d’échanger des courriers avec la Direction centrale des marchés publics (Dcmp). Et pour cause, l’Artp a jugé qu’il faille insister inlassablement malgré les rejets répétitifs de la Dcmp pour décrocher le fameux contrat. Sans doute, une manière de mettre la pression sur l’incontournable arbitre logé au ministère de l’Economie et des Finances. Selon Ndongo Diao, cette insistance s’explique par son souci de se conformer aux procédures en vigueur. « Je suis très procédurier », se défend-il. Il affirme que l’initiative du contrat vient de Global Voice. « Ce sont des gens de Global Voice qui nous ont contactés », renseigne-t-il sans vouloir identifier nommément les personnes concernées. Il dit aussi avoir hérité du dossier des appels entrants lorsqu’il a pris la Direction de l’Artp. « C’est un dossier que j’ai trouvé sur la table lorsque j’ai été nommé ». Interrogé sur la provenance exacte de l’institution ou la personne au sein de l’Etat qui a envoyé ce dossier, Ndongo Diao avoue ne pas en savoir davantage. « Je ne connais pas l’origine », dit-il. Le Directeur de la Sonatel, Cheikh Tidiane Mbaye joint au téléphone confirme qu’il n y a jamais eu de contrat.
Il s’est passé plus de 4 mois environ avant que la question des appels internationaux entrants ne surgisse dans l’espace public alors que les procédures étaient déjà entamées pour passer un contrat par entente directe avec Global Voice pour qu’il supervise le système de tarification et de contrôle de ces appels.
Comment expliquer après coup alors l’urgence et/ou l’exclusivité qui doivent justifier une telle transaction 4 mois plus tard ? Selon l’ancien directeur de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) Ndongo Diao, cela ne pose aucun problème. « Il n’y a pas de problème, c’est aux risques et périls de Global Voice ». D’après Diao, il y’avait bel et bien urgence. Il explique : « l’urgence est d’engranger de l’argent. Le temps devient de l’argent. Il fallait aussi protéger la destination Sénégal et contrôler la fraude ». Pourquoi cette générosité débordante de l’Artp à l’endroit de Global Voice avant même que le décret instituant le système de contrôle sur le trafic international entrant ? La question est d’autant plus légitime que le décret instituant le système de contrôle du trafic international donne à l’Artp les pleines attributions confiées à Global Voice. Le décret stipule, en effet : « l’ARTP est habilitée à procéder, par ses agents assermentés, conformément à la législation en vigueur, à des enquêtes y compris celles qui nécessitent des interventions directes ou des branchements d’équipements externes aux réseaux ». L’ex-directeur justifie ce recours à l’Artp par l’absence d’expertise en la matière au sein de l’institution. « Il faut un temps de formation de trois ans pour maîtriser la technologie », lance-t-il. Ce que réfute entièrement le Directeur général de la Sonatel. Cheikh Tidiane Mbaye explique que le travail effectué par GVG n’est en rien compliqué. « Ce n’est pas compliqué. C’est absolument rien du tout », indique-t-il.
Au finish, l’Artp a obtenu gain de cause et a « conclu un contrat officiellement le 1er juin 2010 », trois jours seulement après le décret présidentiel. Un « contrat » finalement « cassé » par l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) en septembre 2010. La décision rendue par l’Armp écarte l’argument d’ « extrême urgence » et d’exclusivité.
Responsabilité de l’Artp
L’Artp peut par exemple être poursuivie d’avoir voulu enrichir sans cause Global Voice ? Un magistrat interrogé confirme que c’est une piste que le juge peut valablement explorer. L’article 95 stipule que « la responsabilité de l’Administration peut être engagée sans faute de sa part dès lors qu’elle a causé un dommage à son co-contractant en exerçant les pouvoirs, qui lui sont reconnus, d’intervenir par des mesures unilatérales dans l’exécution du contrat ». L’ex-ministre de la Communication, des Télécommunications et des Tics Moustapha Guirassy joint au téléphone ne veut pas s’avancer sur une telle hypothèse. Il rappelle que l’Artp est une autorité distincte qui ne dépend pas du ministère de la Communication et des télécommunications mais de la présidence de la République. Il regrette d’ailleurs que ce ne soit pas le cas. « Malheureusement, c’est dommage que le ministère n’ait pas cette autorité ». Le 10 octobre 2011, dans une lettre réponse à une sollicitation de GVG pour une indemnisation, le ministre Guirassy écrivait : « j’ai bien reçu votre lettre en date du 16 septembre 2011, relative au différend qui vous oppose à l’Etat du Sénégal. Et je salue votre désir d’œuvrer en vue d’une solution heureuse et définitive. L’Etat du Sénégal, à travers le ministre de la Communication et des télécommunications et l’Artp, est également animé de la même volonté ». Il ajoute : « d’ailleurs, M. le Directeur général de l’Artp et moi-même avons reçu toutes les instructions nécessaires de Monsieur le président de la République pour fixer avec vous les modalités de règlement de l’indemnisation dont le montant sera arrêté d’accord parties en tenant compte du préjudice subi par votre entité suite à la suspension du décret n°2010-632 du 28 mai 2010… ». L’Etat, par la voix de son ministre de la Communication était donc d’accord sur le principe d’indemnisation. Il justifie aujourd’hui cette position par le fait qu’il est concevable qu’une société privée qui estime avoir subi un préjudice demande réparation. « Sur le principe je peux comprendre que GVG qui est une entité privée ayant conclu un contrat avec l’Artp dans le respect des procédures demande réparation, après l’annulation du contrat ». Il poursuit : « Lorsque l’Etat signe un contrat, l’entreprise a tout à fait le droit de demander réparation lorsque qu’elle prétend avoir subi un préjudice ».
Guirassy favorable à l’indemnisation de GVG
Mais le ministre affirme qu’il n’était pas d’accord sur le montant. D’ailleurs le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye lui avait même demandé, dit-il, de « se rapprocher » de la Sonatel pour étudier les modalités de l’indemnisation. « Nous avions adressé un courrier à la Sonatel qui m’avait demandé qu’on rabaisse le montant ». Depuis lors M. Guirassy affirme n’avoir entrepris aucune autre action dans ce sens. Toutefois, le Directeur général de Sonatel Cheikh Tidiane Mbaye dément. « Pas du tout », lance-t-il. Il poursuit : « notre position a toujours été que Global Voice ne doit pas être indemnisé parce qu’il n’y a jamais eu de contrat ». Dans une lettre datée du adressée au premier ministre, M. Mbaye relève, à juste titre, que l’Armp dans sa décision ne parle pas d’annulation de contrat mais « d’annulation de la procédure relative à la conclusion du contrat »
Interpelé sur l’indemnisation, Diao s’en remet à l’Etat. « C’est un sujet qui nous dépasse, ils ont envoyé le dossier à l’Etat ». Il explique tout de même qu’il convient de différencier l’indemnisation du dédommagement en ce que le dernier terme est décidé devant les tribunaux alors que le premier terme est « une option à l’amiable ».
L’article 96 du code des obligations de l’administration relève que le préjudice doit être clairement identifié et évalué. « La responsabilité d’une partie n’est engagée que si l’autre partie prouve qu’elle a subi un préjudice. Le préjudice doit être réel, certain et spécial », indique-t-on. Cheikh Tidiane Diongue, ingénieur électronicien, et ancien Directeur des études, de la règlementation des postes et des télécommunications interrogé par La Gazette (dans le cadre d’un autre article sur les possibles frais que Global Voice peut engager pour contrôler le trafic international entrant) estimait ce coût à 5 milliards au plus sur 5 ans. « En choisissant la solution la plus compliquée, les investissements et les frais de fonctionnement de Gvg ne peuvent en aucun cas dépasser 5 milliards de Fcfa sur les cinq ans que dure le contrat », avait-il expliqué.
L’ancien secrétaire général du syndicat des travailleurs de la Sonatel Mamadou Aidara Diop abondait dans la même le même sens : « Global Voice ne fera ni d’investissements ni sur le réseau, ni sur les équipements ni sur les terminaux. Ils vont juste apposer un logiciel sur nos centraux ». Est-ce alors raisonnable de réclamer 14, 4 milliards ? L’ex-directeur de l’Artp ne semble pas avoir une idée arrêtée sur la question. Il renseigne tout de même que Global Voice a importé du matériel – composé de 131 articles environ– qui est passé par la douane même s’il reconnait en ignorer la valeur exacte. Au-delà du matériel, l’apport de Global Voice peut être évalué selon M. Diao en termes « d’ingénierie » qui a consisté, en l’occurrence, à avoir l’idée de créer des niches de rentrées d’argent à développer. Serigne Ben Niang, un des vice-présidents de Global Voice, évalue le coût du matériel à 11,4 milliards. Il ajoute que Global Voice a construit un Network operations center (Noc) entièrement équipé qui vaut 750 millions de Fcfa qui sert présentement de locaux à MTL (l’exploitant d’infrastructures de télécommunications). Les autres dépenses liées aux activités font que le montant global se chiffre à 14,4 milliards, d’après Niang. Ce que conteste le Dg de la Sonatel qui s’inscrit en faux contre cette prétention. Cheikh Tidiane Mbaye réaffirme que la Sonatel achète ce genre de matériel dont le coût n’est pas proche du milliard de Fcfa. « Les équipements ne coûtent pas plus d’un million de dollars [500 millions de FCFA », estime Mbaye. En tout et pour tout, l’argent rapporté par l’application du contrôle sur le trafic entrant est de « 16,5 milliards entièrement reversé au Trésor public », précise Ndongo Diao. Donc si l’Etat consent à indemniser Global Voice à hauteur de 14,4 milliards, il ne restera que 2 milliards.
Repères chronologiques sur le processus de mise en place du système de contrôle des appels entrants
– 12 Janvier 2010 : saisine de la Dcmp par l’Artp pour passer le marché avec Global Voice « Sollicite l’autorisation de souscrire à un contrat de prestation de services par entente directe avec la société Global Voice Group portant sur une assistance pour la mise en place d’un système de contrôle et de tarification des appels internationaux au Sénégal ».
– 15 janvier : la Dcmp rejette le marché Dans sa réponse la Dcmp récuse la qualification de marché public et estime qu’il s’agit d’un partenariat public privé.
– 2 février 2010 : L’Artp revient à la charge « Demande d’avis pour passer un contrat de partenariat par entente directe ». Il est annexé à la demande décision d’agrément (au profit de GVG) d’installateur d’équipements radioélectriques n° 070018/IN du 22 janvier2010 (la demande de passation de marché a précédé la décision d’agrément).
– 5 février 2010 : la Dcmp déboute de nouveau l’Artp. La Dcpm récuse les arguments de l’Artp basés sur le fait que GVC est la seule société à posséder les compétences requises.
– 18 février : L’Artp insiste L’Artp plaide de nouveau pour le compte de GVG en confirmant la supériorité technologique de GVC. Il réitère aussi que GVC est la seule société présente en Afrique grâce à des recherches sur des moteurs de recherche internet.
– 2 mars 2010 : approbation de la Dcmp sous réserve La Dcmp donne son accord sous réserve que l’Artp lui fournisse une attestation qui confirme de tels arguments (vérifier si GVG est la seule entreprise dans le domaine du contrôle)
– 4 mars 2010 : Artp envoie l’attestation Attestation signée par Ndongo Diao dit : « sur les 22 installateurs agréés au Sénégal, seule la société Global Voice présente une offre relative au contrôle du trafic téléphonique international. Tous les autres installateurs interviennent dans les domaines d’installation et de maintenance de réseaux et systèmes de télécommunication, radiodiffusion ou télévision ou en matière informatique ». Ndongo Diao envoie une copie de la correspondance de la Dcmp qui date du 2 mars 2010
– 11 mars : Avis de non objection de la Dcmp Sur la base des informations fournies par l’Artp, la Dcmp donne un avis de non-objection
– 28 mai 2010 : décret présidentiel instituant le système de contrôle des appels entrants internationaux Un communiqué daté du 26 juin 2010, dit : « l’Artp informe que le gouvernement du Sénégal vient d’adopter le décret n° 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal. »
– 1er Juin 2010 : « signature » du contrat Le contrat est signé entre l’Artp et GVG. Pour être valide le contrat doit être approuvé par le ministre de l’économie et des finances. Cela n’a pas été fait à ce jour.
– 9 août 2010 : il est dénoncé le marché Artp/Global Voice auprès de l’Armp
– 8 septembre 2010 : l’Armp ordonne la suspension de la procédure
– 15 septembre 2010 : annulation de la procédure relative à « la conclusion du contrat »
– 16 septembre 2011 : Gvg demande un règlement à l’amiable
– 10 octobre 2011 : Moustapha Guirassy est d’accord sur le principe d’indemnisation et l’exprime par lettre à Global Voice.
Aliou Niane
(Source : La Gazette, 31 mai 2011)