La musique, dit-on, adoucit les mœurs. En Casamance, les rebelles du Mfdc, l’ont compris. Ils poussent l’audace à faire des dédicaces auprès des radios communautaires. Celles-ci, jouant à fond le jeu du journalisme de réconciliation, réussissent à les sensibiliser sur la paix.
‘Allô ! Kaïraba Fm ? Je voudrais faire une dédicace à mon ami Sana Diédhiou, à ma sœur Gnima Sané...’ Ce propos, s’il est d’une banalité pour de nombreuses radios Fm de Dakar, à Diouloulou, (75 km à l’ouest de Ziguinchor) dans le département de Bignona, cela ressemble beaucoup à de l’audace. Car, ce sont de ‘présumés rebelles’ du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) qui appellent les radios communautaires pour faire des dédicaces.
Kaïraba Fm, (la paix en Manding), est une radio communautaire établie à Diouloulou depuis un an. Elle émet en Diola, Manding, Manjaque, Peul et Balante. Elle est reçue jusqu’aux villages gambiens de Darsalam, Oumorgo et parfois à Banjul même, la capitale de la Gambie voisine.
Pourtant, c’est connu, Bignona passe pour être le centre nerveux du conflit entre l’armée sénégalaise et les éléments du Mfdc qui dure depuis bientôt un quart de siècle. C’est dans cette partie de la région de Ziguinchor (450 km au sud de Dakar) dans la forêt frontalière à la Gambie où sont retranchés les éléments du Mfdc jugés intransigeants, tel Salif Sadio.
N’empêche, à Kaïraba Fm, les rebelles téléphonent pour participer aux émissions récréatives. La musique, dit-t-on, adoucit les mœurs. ‘Eux-mêmes appellent pour faire des dédicaces’, témoigne Adama Thiam, le directeur de Kaïraba Fm. Parfois, ils poussent l’audace jusqu’à venir nous rendre visite. ‘Ils viennent jusqu’à la station nous dire bonjour’, révèle Adama. A Diouloulou même, ces rebelles viennent faire leurs emplettes ou partager les repas avec les populations avant de rebrousser chemin. Avant, c’était des appels anonymes pour faire des dédicaces. ‘A présent, explique un animateur de cette radio communautaire, il ne décline pas leur identité, mais le nom du destinataire de la dédicace est bien cité’. Une situation qui contraste beaucoup avec les débuts de Kaïraba Fm.
Pour Adama Thiam, il n’ y a point de doute, la ‘détente est le fruit de la magie de notre radio’. ‘Dans nos émissions, nous leur tenons un langage de vérité !’, affirme avec force Adama. Ce langage de vérité, précise le journaliste, porte sur des slogans tels : ‘Le Sénégal est un et indivisible’, ‘On est tous parents ! On est du même sang’ ou encore ‘Ne tirez pas sur moi, je suis ton frère’.
Ce type de discours heurte, a priori, certains combattants du Mfdc. Mais, aujourd’hui, nombre d’entre eux tiennent un langage modéré, différent, par exemple, des positions radicales de Mamadou Nkrumah Sané, un des chefs de l’aile extérieure du Mfdc, affirme Adama Thiam. ‘Sinon, dit-il avec un léger sourire en coin, on serait parti depuis !’. Et comme pour dire que le temps est à l’accalmie, Adama rappelle l’assassinat, d’il y a deux ans, de Gorgui Mbengue, sous-préfet de Diouloulou. ‘Ce jour là, nous sommes allés à la collecte de cette information comme tous les journalistes qui sont sur le terrain’, précise Adama qui aime dire qu’il vit à Diouloulou comme à Dakar ! En revanche à Fogny Fm, une autre radio communautaire, installée à Sindian, à une vingtaine de kilomètres de Bignona, le temps n’est pas encore aux dédicaces. Dans cet arrondissement, les combats entre factions rivales du Mfdc ont rendu la localité explosive. Et l’assassinat, il y a un an, du président du conseil régional de Ziguinchor, Omar Lamine Badji au cœur même du village continue d’en faire une zone particulièrement redoutée. Malgré tout, Fogny Fm, continue d’émettre, même si les animateurs semblent marcher sur des œufs. ‘Nous parlons de paix, sans jamais faire allusion au conflit et aux protagonistes. Notre démarche consiste à dire si tu veux la paix, tu dois travailler, te libérer de la dépendance. Nous faisons des jeux de rôles où nous mettons en scène des élèves en conflit. Dans ce genre de sketch, nous parvenons à montrer les raisons d’un conflit entre deux personnes et la manière de les réconcilier. L’objectif est d’amener les gens à se rendre compte de leurs erreurs et à modifier leur comportement’, explique longuement Diatou Cissé, la directrice de Fogny Fm.
Résultats : ces radios communautaires reçoivent de temps en temps des messages anonymes d’encouragement ou des félicitations de la part des présumés rebelles. ‘Dans la vie, on ne peut tout savoir. Mais avec les radios communautaires, on a beaucoup appris’, répétait, il n’y a pas longtemps, un des combattants à travers les ondes. De son côté, la patronne de Fogny Fm reconnaît n’avoir jamais brisé leur anonymat. ‘Nous supposons que ces messages viennent d’eux’, se convainc-t-elle avec vigilance.
La même vigilance prévaut cependant à la radio communautaire Kouma Fm de Samine, à une centaine de kilomètres de Kolda. ‘Samine a connu la guerre pour la première fois en 1967’, affirme Ciré Diop, le chargé des programmes à cette radio. Depuis, Samine, frontalier à la Guinée-Bissau, vit au cœur des exactions avec son lot de déplacés. L’occasion est alors rêvée pour sensibiliser les populations sur les méfaits des armes.
En Casamance, aujourd’hui les radios communautaires sont en train de jouer leur partition dans le processus de paix avec des émissions de divertissement et de sensibilisation. Un journalisme de réconciliation qui ramène petit à petit ces combattants à la vie normale.
Hamidou Sagna [1]
(Source : Wal Fadjri, 18 décembre 2007)
[1] Cet article est une coproduction du quotidien Wal Fadjri et de l’agence de presse Jade/Syfia Sénégal dans le cadre de leur partenariat.