Bénédicte Chenuet, Directrice générale de Canal + Horizons Sénégal : « Nous faisons face à une concurrence déloyale »
samedi 26 septembre 2009
Canal + Horizons est au Sénégal depuis dix-huit ans. En 1991, au moment de son implantation, il n’y avait que la Télévision sénégalaise (publique) au niveau du paysage audiovisuel sénégalais. Près de deux décennies plus tard, cette chaîne à péage fait face à une rude concurrence. Dans cette interview, la directrice générale, Bénédicte Chenuet, nous parle des nouveaux défis et des perspectives.
Est-ce que la chaîne Canal + Horizons pourrait, un jour, couvrir la lutte traditionnelle sénégalaise qui connaît un développement fulgurant et qui attire de plus en plus de télévisions ?
La lutte est un sport traditionnel fortement ancré au Sénégal. Aujourd’hui, la réflexion existe, mais à court terme, ce n’est pas possible pour deux raisons : d’abord ce sport est proprement sénégalais, même s’il intéresse des téléspectateurs de la sous-région et des pays limitrophes. Ce qui serait souhaitable, c’est de diffuser ces images sur un certain nombre de pays africains sub-sahariens. Cependant, est-ce qu’il y a de l’appétence telle, au niveau de nos abonnés, pour que cela justifie un investissement ? Nous sommes spécialisés dans la retransmission d’événements internationaux pour amener le meilleur du sport au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, etc. Il faut laisser la primeur de la retransmission de la lutte à des chaînes sénégalaises. C’est avant tout un savoir-faire sénégalais que nous pourrions accompagner localement, mais il est trop tôt pour envisager une retransmission, d’autant plus que nous sommes panafricains, nous sommes dans une logique d’être dans le sport-phare, le football, qui concerne tout le monde, qui fait le moteur de notre chaîne, avant de passer à des sports un peu moins regardés, car cantonnés à certains pays, même si la lutte est en expansion. Peut-être un jour, pourquoi pas, nous ferons un documentaire ou un reportage sur la lutte. Tout cela est à l’état de réflexion, mais la couverture, c’est un autre niveau. Canal + Horizons, c’est la chaîne du foot, du sport en général, du cinéma. Il faut observer et comprendre comment la lutte se développe et regarder son ampleur dans les pays de la Cedeao et voir dans quelle mesure elle pourrait converger un jour avec l’intérêt d’une diffusion. Mais, aujourd’hui, nous nous concentrons sur les sports internationaux, mondialement connus, avec un niveau de couverture très fort comme la Coupe du monde, la Can, l’Euro...
Canal + Horizons multiplie les promotions. Cette politique ne cacherait-elle pas une baisse de la clientèle. Ou bien est-ce une réaction pour faire face à vos concurrents ?
Canal évolue aujourd’hui dans un contexte concurrentiel qui s’est renforcé. Ce contexte est d’autant plus fort qu’on est au Sénégal dans une transition. Il est nécessaire de faire avancer le cadre régulateur de l’audiovisuel parce que, en fait, les différents concurrents ne sont pas soumis aux mêmes règles. Aujourd’hui, Canal + Horizons a deux chevaux de bataille : la lutte contre la concurrence déloyale qui passe par la nécessité d’avancer avec les autorités sur la construction d’un cadre audiovisuel et avec les autres acteurs pour dire : voilà nos soucis, comment réguler les choses, comment gérer les droits d’auteur, les nouveaux modes de diffusion pour les images afin que toute le monde puisse s’y retrouver. Ensuite, il y a le problème du vol d’images pur et dur. Au Sénégal nous avons face à nous des concurrents informels que nous appelons des cablo-clandestins, c’est-à-dire des réseaux qui développent un abonnement à partir de Canal + Horizons, ou d’autres qui prennent des images satellites et qui les diffusent contre des sommes d’argent, mais ne reversent rien à personne, ni à Canal, ni à Delta net, ni à Excaf. C’est un vrai problème. Vous me dites que Canal + Horizons fait des promotions. Forcément, nous voulons gagner de nouveaux abonnés. Forcément, nous faisons des campagnes de promotion de nos produits. Nous sommes plus offensifs du fait de la concurrence déloyale de la part de certains opérateurs qui ne respectent pas les règles du jeu et qui pratiquent des prix beaucoup plus bas. Cela crée forcément une entrave au développement commercial. Aujourd’hui, Canal+ Horizons investit très cher dans les droits sportifs pour retransmettre et couvrir des compétitions. En Afrique comme dans le monde entier, ces droits ont connu une inflation importante. Aujourd’hui, il y a un problème de règlementation de l’audiovisuel et une nécessité de réguler la concurrence.
Mais il faut dire que la plupart des chaînes prisées par les Sénégalais sont dans vos bouquets les plus chers...
La question, c’est comment trouver un équilibre entre notre équilibre économique et le contexte actuel. C’est l’équation que nous devons résoudre. Nous réfléchissons à de nouveaux moyens de consommer la télé. Nous signons des accords de droits sportifs avec l’Uefa, la Ligue française de football, etc. Pour le cinéma, nous signons avec des majors américains. Ce qu’il faut, c’est comment adapter de mieux en mieux nos produits aux réalités du marché local. Peut-être que vous trouvez que nous y allons lentement, mais nous y travaillons et des solutions seront trouvées.
Combien d’abonnés avez-vous au Sénégal ?
Nous avons environ 30.000 abonnés. Les cablo-clandestins et la concurrence déloyale constituent un préjudice au développement. Il faut repenser le contexte audiovisuel. Si on n’avance pas sur la régulation audiovisuelle, il faudrait qu’on réfléchisse à une autre manière d’être ici. Nous ne pouvons pas investir des sommes colossales, payer des impôts et des salaires, travailler avec des distributeurs et avoir en face de nous des gens qui volent nos images et qui les rediffusent pour trois francs six sous. Nous n’allons pas être là et nous dire que nous allons casser les prix. Il faut réguler l’environnement audiovisuel pour que chacun puisse prendre sa part de marché.
Vous estimez que les différents concurrents de Canal + Horizons ne sont pas soumis aux mêmes règles. Où se trouve l’inégalité ?
Ah oui ! Par exemple nous sommes en contentieux avec Excaf Télécom et Delta Net concernant l’Euro 2008. Nous avions les droits exclusifs de retransmissions de ce championnat et avions obtenu en référé que ces deux opérateurs arrêtent de le diffuser. Aujourd’hui, d’autres championnats sont repris illégalement comme la Champions League. C’est de la concurrence déloyale. Notre chaîne investit dans des droits sportifs pour pouvoir les utiliser en télé payante pour le Sénégal, en langue francophone, et d’autres opérateurs reprennent des chaînes arabophones comme Al Jazeera ou Art pour les inclure dans leur système. C’est de la concurrence déloyale.
La Radio télévision sénégalaise (Rts, publique) est-elle concernée ?
Non, la Rts n’est pas concernée. Elle est en hertzienne et diffuse gratuitement. Nous sommes dans des droits payants par satellite et, sur ce plan, nous avons lancé des contentieux contre nos concurrents.
Quel est le chiffre d’affaires de Canal+ Horizons au Sénégal et le nombre de ses employés ?
Le chiffre d’affaires, je ne le dirai pas. En revanche, nous avons 56 salariés permanents et un réseau d’une cinquantaine de distributeurs. Nous sommes sur tout le Sénégal et essayons d’élargir notre couverture depuis deux ou trois ans pour la distribution. Nous travaillons beaucoup sur cela et espérons apporter plus de proximité pour les habitants des régions. C’est important d’être proche de nos abonnés et d’apporter plus de flexibilité de paiement, mais nous devons lutter contre le piratage, avoir des moyens de répression, travailler là-dessus avec les autorités (les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Communication), mais aussi avoir des offres alternatives.
Comparé aux autres pays africains, le Sénégal est-il un bon client ?
En termes de marché, de taille d’abonnés, le premier pays africain, c’est la Côte d’Ivoire, suivie du Gabon et du Sénégal. Nous sommes au Sénégal depuis 1991, ensuite entre 1991-92 en Côte d’Ivoire. Le Sénégal a perdu sa deuxième place, il y a quelque temps, peut-être à cause du pouvoir d’achat.
Techniquement, est-il possible de combattre le piratage ?
Le repérage du décodeur ? Nous sommes en train d’y travailler sur le plan technique et il y a des choses qui sont possible. Cela fait partie de la recherche au développement. Nous travaillons sur le système de cryptage, mais aussi pour savoir comment lutter contre la reprise d’images qui se fait de manière traditionnelle comme ici, ou d’une façon plus sophistiquée comme dans les pays du Maghreb.
A combien évaluez-vous le préjudice lié au piratage ?
Je m’exprimerai dans les prochaines semaines sur les chiffres du piratage. C’est un vrai préjudice. Nous sommes en train de finaliser les estimations.
Propos recueillis par Malick Ciss (avec la rédaction)
(Source : Le Soleil, 26 septembre 2009)