Mardi, deuxième jour de la semaine. Un abonné au téléphone, titulaire d’un compte dans la banque A de la place règle sa facture bimestrielle par chèque. La société de téléphone dépose ce paiement, le lendemain mercredi, dans son compte ouvert auprès de la banque B. Le même jour, la banque B reçoit un chèque d’un de ses clients, fournisseur de son état de la même compagnie de téléphone. Le montant de ce chèque est tiré sur son compte ouvert à la banque C. Quant à Modou, un commerçant, il donne un ordre de virement à la Banque C au profit d’un de ses fournisseurs. Le jeudi, les banques A, B et C se présentent à la séance de compensation à l’agence principale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), pour confronter leurs chèques respectifs. Une fois toutes les valeurs confrontées, un tableau récapitulatif est établi et le solde compensant déterminé en fonction des effets détenus par chaque banque. Pour cela, elles possèdent chacune un compte ordinaire ouvert dans les livres de la Banque centrale.
Magie d’Internet
Ainsi fonctionne, en gros, la compensation bancaire. Chaque banque prépare les effets déposés par ses clients et payables dans d’autres banques avant de se rendre à la séance de compensation où elle reçoit ceux détenus par les autres et qu’elle aura à payer. Du moins, jusqu’à jeudi dernier 19 janvier, depuis que ce rituel aussi vieux que les banques est entré dans une nouvelle ère.
Les séances quotidiennes de compensation des effets de paiement vont bientôt disparaître avec l’entrée en service de la mise en service de la télécompensation. Ce qui jusqu’à présent nécessitait la présence physique de représentants des banques et établissements de crédit tous les matins dans les locaux de l’Agence principale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), pour confronter leurs instruments de paiement respectifs, va se mettre au diapason des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Tout se passe désormais à distance grâce à la magie d’Internet.
Le Sénégal est ainsi le deuxième pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) à expérimenter le Système interbancaire de compensation automatisée (Sica) après le Mali qui a débuté le système depuis le 20 novembre dernier, les autres Etats devant s’y mettre dans le courant 2006.
« C’est plus simple que la séance de compensation traditionnelle. À terme, les échanges papiers vont disparaître », estime un responsable des Opérations d’une banque de la place qui ajoute que « cela représente aussi un allègement des tâches des employés ».
Vigilance
Instrument le plus répandu parmi les moyens de paiement, le chèque représente de loin le gros de la troupe des effets de paiement. Sur près de 6268 opérations enregistrées par la Bceao entre le jeudi, jour de lancement et lundi, pour un montant de 24 milliards de FCfa, 5831 sont constituées de chèques.
La monnaie scripturale qui permet de faire circuler quotidiennement près d’une dizaine de milliards de FCfa entre les banques va donc de plus en plus s’automatiser. Si le système a des avantages certains, il n’en demeure pas moins qu’il peut aussi présenter des risques, de fraude notamment. Si au Mali où le Sica est aussi entré en vigueur, le principe d’une réunion hebdomadaire a été retenu, au Sénégal, une séance quotidienne réunit des représentants des banques et de la Bceao pour accompagner le démarrage. Pour un mois, il en sera ainsi encore. « Cela permet de rectifier les couacs du système et d’améliorer les choses en attendant que le mécanisme soit bien huilé », commente-t-on du côté d’une banque de la place. Quant aux craintes de fraude, la fiabilité du système semble très grande. Toutefois, une commission sur la fraude a été mise en place pour parer à toute éventualité. « La place bancaire dakaroise a un taux de fraude assez faible, comparée à ce qui se passe à Abidjan », commente le patron d’une banque qui a pignon sur rue dans la capitale sénégalaise. Une précaution d’autant plus nécessaire que des instruments de paiement comme le billet à ordre et la lettre de change, n’étant pas encore normalisés, la vigilance devra continuer à être de mise.
Des dates de valeur plus avantageuses
C’est un avantage certain que tirent les clients des banques du nouveau système. D’abord avec l’accélération des opérations liées à la compensation, les dates de valeur -date à laquelle prend effet l’inscription au compte d’une opération et qui détermine donc le calcul des intérêts-, souvent pomme de discorde entre les banques et les associations consuméristes- vont se retrouver rapprochées. Avec l’ancien système de compensation, chaque banque se présentait à la séance quotidienne qui se tenait habituellement de 8h30 à 10 avec les effets tirés sur les concurrents et reçus la veille. Ce n’est que le lendemain, lors de la séance de compensation suivante, qu’elle recevait la réponse de la banque sur laquelle le chèque (ou la lettre de change ou encore l’ordre de virement), est tiré après que celle-ci a vérifié l’existence d’une provision suffisante. D’où un délai de 48 heures au moins. « Désormais, en 24 h, la date de valeur prend effet », explique un banquier. Pour les employés dont les salaires sont virés à la banque, le gain de temps se traduira par la possibilité de se présenter aux guichets avec moins des délais moins longs qu’auparavant entre l’ordre de virement et la perception effective.
Les avantages du nouveau système en termes de délais sont encore plus grands lorsqu’il s’agit des chèques déplacés, c’est-à-dire ceux tirés sur une banque hors Dakar. Le délai d’effectivité de la date de valeur passe de trois semaines à quatre jours. Les banques elles-mêmes profitent du nouveau système en simplifiant leurs opérations. « Une fois que nous recevons les chèques des autres banques via la plate-forme gérée par la Banque centrale, nous n’avons plus alors besoin de saisir les données dans le système comptable. On vérifie les images et immédiatement quand on met Ok, cela génère des écritures immédiatement dans nos livres », explique un directeur des Opérations d’une banque de la place.
La plate-forme d’accès gérée par la Bceao
Avec le nouveau système automatisé, les pays de l’Uemoa, dont le Mali et le Burkina Faso jouent les rôles de précurseurs, rejoignent les pratiques en vigueur dans les pays développés où la compensation manuelle appartient aux calendes grecques. Dans certains pays du Maghreb, en Tunisie notamment, la pratique est de mise depuis très longtemps. La Bceao, qui a initié et développé le système, en assure aussi la coordination avec la gestion du point d’accès à la compensation. Les images des effets à compenser (chèques, lettre de change, billets à ordre, ordres de virement...) sont scannées et transmises, via Internet, par la banque du client à une plate-forme électronique gérée par la Banque centrale et qui transmet à son tour à la banque destinataire de la compensation. Détentrice des comptes ordinaires des banques commerciales, mais aussi du Trésor public de chaque Etat membre et de la Poste, les données concentrées et validées par le point d’accès lui permettent de procéder aux compensations.
MALICK M. DIAW
(Source : Le Soleil, 25 janvier 2006)