Allocution de SEM Abdoulaye Wade au SMSI (Genève, 10-12 décembre 2003)
samedi 13 décembre 2003
Excellence Monsieur le Président de la Confédération Suisse,
Excellence, Monsieur le Président de la République du Canton de Genève,
Excellence, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Monsieur le Secrétaire Général de l’ONU,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président du Comité Préparatoire,
Distingués Invités,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d’abord remercier le Président Couchepin pour cette hospitalité dont seuls les Suisses ont le secret et féliciter, en même temps, l’UIT, son Secrétaire Général M. Utsumi ainsi que tous les
organisateurs pour nous avoir mis dans de si excellentes conditions pour ce sommet mondial de la société de l’information. Mais, avant d’aller plus loin, je voudrais féliciter très chaleureusement le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi Annan, qui a eu l’heureuse idée de mettre l’humanité devant ses responsabilités et l’inviter à trouver une solution
au gap numérique qui divise de plus en plus la communauté mondiale en deux.
S’il est vrai que Adam et Eve ont commencé d’abord par communiquer il faut reconnaître que leurs enfants, peut être parce qu’ils sont devenus inégalement riches, communiquent de moins en moins et s’écartent de plus en plus les uns des autres, par une différentiation qui s’accélère avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
En effet, aujourd’hui, il y a un monde qui communique intensément, rapidement par le numérique grâce au transport instantané de la connaissance et qui ouvre devant lui les portes du savoir illimité, alors que d’autres sont privés de cette accessibilité.
L’Afrique, qui se trouve dans une situation toute particulière est venue, à Genève, apporter sa voix, car même si le numérique en soi est un problème mondial, par l’un de ses aspects le plus particulier, le gap
numérique, il est principalement africain.
C’est donc au nom du Comité de Mise en Œuvre du NEPAD et de son Président, le Président Obasanjo, Président de la République Fédérale du Nigeria, au nom du Président Chissano, Président du Mozambique et Président de l’Union Africaine que je vais vous présenter le point de vue de l’Afrique. Ce point de vue a été développé dans un document élaboré par les Ministres Africains chargés des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication convoquée à Dakar le 28 novembre 200 par M. Alpha Oumar Konaré, Président de la Commission
de l’Union Africaine.
Le NEPAD, je le rappelle, est l’acronyme anglais de New Partinership for Africa’s Development, en français Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique. Il résulte d’un fusion entre le plan OMEGA Sénégalais, sa composante économique dont l’objectif est de combler le retard qui nous sépare des pays développés et le MAP, Millenium African Plan, élaboré par les Présidents MBeki d’Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Bouteflika d’Algérie, noyau de base vite complété par le Président Moubarak de l’Egypte. Les deux plans ont été fusionnés
en un seul qui a été adopté par le Sommet de Lusaka en 2001 pour devenir la vision de l’Afrique et sa stratégie pour accéder au niveau mondial par la mobilisation des ressources intérieures et extérieures, en partenariat avec le monde développé.
Laissez-moi vous rappeler en effet que le NEPAD repose sur trois options fondamentales que sont, la Bonne Gouvernance, publique et privée, l’appel massif au Secteur Privé plutôt que l’économie d’Etat, la
Région plutôt que l’Etat national. A l’intérieur de ces trois options, le NEPAD a choisi 8 super priorités dont l’interaction doit générer le développement :
– les infrastructures,
– l’éducation,
– la santé,
– l’agriculture,
– l’environnement,
– les nouvelles technologies de l’Information et de la communication,
– l’énergie
– l’accès aux marchés des pays développés.
Comme vous le constatez, les nouvelles technologies sont un des huit secteurs prioritaires du NEPAD. Sur ce plan, il y a un développement inégal en Afrique. Des pays
comme la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Sénégal et quelques autres, disposent déjà dans les capitales de bonnes infrastructures. Dakar et Johannesburg sont les deux points africains d’attache de la fibre optique
qui permet au Sénégal d’avoir une bande passante de 310
mégabytes/seconde. Cependant, le gap subsiste entre les villes et les campagnes. Pour vous donner des exemples, au Sénégal, nos deux Universités sont connectées aux bibliothèques des grandes universités du monde et bénéficient en même temps du téléenseignement.
Beaucoup d’écoles primaires de brousse ont des pools d’ordinateurs, permettant aux élèves de surfer sur le web. Les enfants de 2 à 4 ans de la Case des Tout Petit, concept soutenu par l’UNESCO, disposent de jouets éducatifs et en même temps sont initiés à l’ordinateur. Mais la question n’est pas tant que certains pays se détachent que de faire en sorte que l’ensemble du continent avance progressivement d’un même pas, par une connectivité à la fois verticale et horizontale. C’est dans ce sens que CISCO vient de lancer au Sénégal ce qu’il appelle des ’’académies’’ sur la base d’une approche communautaire.
La question qui se pose est celle-ci : comment faire pour que l’Afrique ou plus généralement les pays en développement puissent accéder honorablement à la société de l’information ? Nous avons défini la société de l’information par des critères quantitatifs,
par exemple :
– nombre d’ordinateurs par habitant,
– nombre de sites Web,
– nombre d’abonnements téléphoniques par 100 habitants, etc..
Sur papier, on s’aperçoit qu’il y a une concentration de la distribution vers le haut et que le bas est très dégarni : celui-ci est constitué par les pays non connectés qui, de ce fait, ne reçoivent plus les savoirs au fur et à mesure qu’ils sont générés et accusent donc de plus en plus un grand retard. Ces deux marges permettent de définir quantitativement la société de l’information.
Pour ne parler que du cas de l’Afrique, nous avons les ressources humaines constituées par les cadres formés sur place mais aussi par de nombreux autres qui ont été formés dans les grands pays et qui se déploient en Europe et aux Etats-Unis pour arriver au plus haut niveau de la hiérarchie dans les grandes compagnies privées. Mais, ce qui nous manque ce sont les équipements, c’est là tout l’objet de la Solidarité Numérique.
Je suis, comme vous le savez, un partisan de l’économie de marché, avocat du libéralisme en Afrique, mais il faut reconnaître que le marché ne règle pas tout. Parfois, il faut faire appel aussi au cœur. Sur ce plan,
je voudrais préciser que j’ai longtemps dénoncé le couple ’’aide/prêt’’ qui, au lendemain des indépendances, a été la base de la politique
internationale de développement mais force est de reconnaître qu’il n’a jamais pu développer aucun pays. Cette politique a conduit à l’impasse du côté de l’aide qui, fixée à 0,70 % dans les années 70, n’a pas encore
atteint la moitié de ce taux et, quant au crédit, il a engendré la dette, casse-tête insoluble. Il faut regretter cette erreur car les ressources sont,
malgré tout, des sacrifices des populations du Nord.
Voici pourquoi, nous avons tourné notre regard vers le partenariat qui suppose des avantages réciproques dans le court, le moyen et le long termes et qui, seul, fera de l’Afrique un continent partenaire et non ’’un
éternel assisté’’ comme le dit si bien Jacques Chirac.
Le retard actuel de l’Afrique s’explique parfaitement :
– trois siècles d’esclavage qui ont transféré nos ressources humaines outre Atlantique,
– la colonisation qui a transféré nos ressources matérielles outre Atlantique.
Depuis l’indépendance, le système d’échange asymétrique qui fait, comme l’a dit le Président Samassekou reprenant la plupart des auteurs en économie du développement, que l’Afrique s’appauvrit de jour en jour
et que parallèlement nos partenaires s’enrichissent.
L’Afrique ne demande pas des comptes pour ce qui est de l’esclavage.
C’est pour cela que nous avons récusé l’idée d’indemnisation. Notre continent, riche en matières premières et en ressources humaines, n’a pas besoin de vendre ses déportés et ses morts. L’esclavage ne peut
pas se traiter en termes financiers. Il faut le considérer comme un fléau de l’humanité dont tout le monde doit se souvenir, tout comme on se souviendra un jour du SIDA.
Ce que l’Afrique demande aujourd’hui, c’est que l’humanité garde en mémoire les grandes injustices qui lui ont été faites et invente des mécanismes pour lui permettre d’amorcer la pompe qui la replacera
dans le cours de l’économie mondiale où elle reçoit moins de 1% de l’investissement et où son niveau de participation au commerce international est inférieur à 1,4%. Nous acceptons la compétition, nous acceptons la globalisation mais à armes égales ; nous disons oui au
commerce libre, mais le commerce honnête. On ne doit pas nous imposer de respecter la liberté des échanges au même moment où, par les subventions, on empêche nos produits d’atteindre les marchés des pays développés, et même de se vendre dans nos propres marchés. Nous disons ’’free trade but fair trade’’.
Mesdames, Messieurs,
S’agissant du numérique, je suis heureux de constater que l’accord est total sur le principe de la Solidarité Numérique, et que le Sommet s’est proposé de conduire les études permettant la mise en œuvre du fonds.
Ici, vous me permettrez de remercier très chaleureusement tous ceux qui, dès le départ, ont soutenu la proposition africaine, notamment le
groupe arabe, l’Amérique Latine, l’OCI à laquelle appartient de grands pays asiatiques comme le Pakistan, l’Indonésie et la Malaisie auxquels s’ajoutent la Chine, l’Inde et le Vietnam.
Je voudrais également me féliciter de la grande compréhension des pays du Nord notamment du Japon, des Etats-Unis d’Amérique, du Canada et de l’Union Européenne. S’agissant de l’Union Européenne, je
ferai une mention particulière à la France dont le Premier Ministre s’est prononcé de manière claire hier après-midi. Cela ne nous surprend nullement de la part du Président Jacques Chirac.
C’est tout cela qui nous a permis d’obtenir un consensus salvateur sur le projet de déclaration de principe et le projet de plan d’actions qui nous sont soumis.
J’ajouterais à ce soutien massif, celui très appuyé du Sommet Mondial des Villes et Pouvoirs Locaux qui s’est tenu la semaine dernière à Lyon ainsi que celui de la société civile et des ONGs qui permettront à notre
appel d’atteindre directement les citoyens des pays développés.
Pour compléter le tableau des soutiens au Fonds de Solidarité Numérique, nous citerons celui de la Francophonie, de l’UNESCO et tout récemment de la Banque Mondiale.
En résumé, je suis heureux de constater aujourd’hui que, grâce à la compréhension des pays développés, l’objectif de l’Afrique au sujet de la Solidarité Numérique a été largement atteint. Nous avons noté les propositions européennes d’amélioration des mécanismes existants. D’ailleurs, ces mécanismes améliorés et mis en
adéquation avec les exigences de la Société de l’Information sont tout à fait complémentaires au Fonds de Solidarité Numérique. Les mécanismes européens mettent en jeu des Etats, alors que le Fonds de
la Solidarité Numérique fondé sur le volontariat, même s’il n’exclut pas les Etats, s’adresse principalement d’abord aux citoyens du monde développé, à leurs associations, aux ONGs, à la société civile, au
secteur privé. Il faut d’ailleurs remarquer qu’en Afrique, l’essentiel des infrastructures des nouvelles technologies provient du secteur privé et du
secteur public local et non de la coopération publique bilatérale. Au plan multilatéral, d’importants investissements ont été réalisés par la Banque
Mondiale, principalement dans le domaine de l’éducation, notamment dans les universités par l’enseignement à distance.
Mais soyons francs, l’opération que nous proposons fait de l’Afrique à terme un partenaire de plus de 800 millions de consommateurs. En même temps le numérique renforce la capacité des producteurs africains
de tout niveau et pousse donc l’Afrique vers une plus grande participation dans la production mondiale et dans le commerce mondial.
L’impact sur la lutte contre la pauvreté est important tant du point de vue de la croissance et de la création d’emplois que du point de vue de l’élévation des revenus.
Au total, si nous réunissons de l’argent, indiscutablement c’est pour acheter aux pays développés des équipements qui nous permettront de nous connecter à l’Internet. Ces pays retrouveront finalement l’argent à
travers leurs entreprises et leurs industries et nous, nous aurons les équipements, ce que les businessmen appellent l’approche ’’win win’’.
Je voudrais féliciter aussi le secteur privé international qui est le seul à avoir massivement répondu à la quête de nouveaux équipements de technologies dans la communication en Afrique.
Alors que le taux de croissance mondial de la téléphonie est de 33% sur la période 1999-2003, ce qui est tout à fait remarquable, au Sénégal, il a été de 300% dans la même période, ce qui traduit la soif de participation
des peuples africains à cette société de l’information.
Je voudrais terminer en félicitant les Ministres de l’Union Africaine chargés des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication qui, il y a quelques jours à Dakar, ont, avec compétence, relevé le défi et proposé un document pertinent sur la position de
l’Afrique que j’ai l’honneur de déposer entre les mains des organisateurs de cette conférence. Il prouve que l’Afrique unie autour de ses dirigeants et de ses Experts est capable d’innovation, de créativité et de
participation effective et pertinente à la solution des problèmes de l’humanité.
Mon dernier mot sera au Président Samassekou dont la présence permanente à la tête du Comité d’Organisation, en même temps que les Experts mondiaux, nous rassure. En effet, il a mené de main de maître tout le processus qui nous a amenés avec succès à cette présente phase du Sommet.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.