Abou Abel Thiam, Président du Collège de l’ARTP : « le rapport de la Cour des comptes révèle un braquage de l’ARTP »
vendredi 18 avril 2014
Abou Abel est le Président du Collège de régulation de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes dans. Dans cet entretien, il livre quelques secrets du rapport produit par la Cour des comptes dans la gestion de l’ARTP de 2008 à 2011. Aussi annonce-t-il les projets de la structure et se prononce sur l’actualité politique du Sénégal.
Vous venez de boucler votre troisième mois à la tête du Collège de régulation de l’ARTP. Est-ce qu’il est possible de revenir sur la situation trouvée sur place ?
Nous sommes sept personnes, venues d’horizons divers, avec des profils divers. Le Président Macky Sall nous a demandé, en synergie avec la direction générale, de diriger le Collège de l’ARTP pour nous occuper de la régulation du secteur des télécommunications et des postes. Nous avons trouvé à l’ARTP une autorité indépendante qui a souvent été au centre du débat médiatique occupant souvent les pages de faits divers des journaux. Notre tâche est de recentrer la structure dans son coeur de métier. Nous sommes les organes de décision, de validation,d’approbation et d’impulsion de toute l’activité de régulation. L’ARTP n’est cependant pas une agence, c’est une autorité administrative indépendante. Le collège de l’ARTP n’est pas d’un conseil d’administration, il a des prérogatives autrement plus importante. Les lois communautaires qui ont inspiré les lois nationales nous permettent de mener à bien notre tâche indépendamment des autres organes étatiques. Nous avons trouvé une structure qui marche, l’activité bat son plein. Mais je dois dire aussi que depuis mon arrivée, j’ai fortement été marqué par les conclusions de la Cour des comptes précisément sur les exercices qu’ils vont de 2008 à 2011.
Que disent ces solutions ?
La Cour des comptes a épluché la gestion de l’ARTP pour épier le comportement de la direction générale d’alors. Sans déflorer le caractère confidentiel d’un tel document, il renferme des choses inouïes. C’est-à-dire des comportements qui sont aux antipodes de la bonne pratique, de la transparence, de la légalité. J’ai personnellement été effaré par ce que j’ai découvert dans ce rapport. Il y a aujourd’hui beaucoup de personnes qui s’agitent dans la rue et qui devaient se taire. Plus que du vol ce que la Cour des comptes à indexer relève d’un braquage. L’institution a été braquée par des individus qui ont pignon sur rue.
Est-ce que vous pouvez donner des exemples ?
Il y en a à foison. L’ARTP a financé des activités qui n’ont rien à voir avec les activités qui sont concentrés sur la régulation les télécommunications et les postes. Elle a eu à verser des centaines de millions a des secteurs comme la lutte. Avec tout le respect que j’ai pour les personnes qui sont dans la lutte, celle-ci n’a aucun lien avec les télécommunications. L’Artp a aussi noué des contacts dont la Cour des comptes dit qu’ils ont été scellés en violation manifeste des intérêts du Sénégal, des contrats léonins ,diront les juristes.Sur instruction, le président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade, l’ARTP a sponsorisé des activités qui ne sont pas les siennes. Au regard du rapport de la Cour des comptes, des personnes inculpées dans ses malversations passeraient 500 ans en prison qu’elles ne finiraient pas de payer leurs dettes vis-à-vis des Sénégalais, tellement les méfaits qu’elles ont commis sont d’une extrême gravité.
Vous faites allusion à Ndongo Diaw ?
C’est vous qui le citez. Je sais seulement que l’avis exprimé par les juges sur la gestion de la chose publique les mets à l’index et montre qu’ils n’ont jamais mis en avant l’intérêt du Sénégal dans leurs activités.
Ndongo Diaw a été la seule personne arrêté dans ce dossier, doit-il être le seul à payer ?
Je ne prononce pas une sentence judiciaire, j’exprime mon avis que je tire du rapport de la Cour des comptes. Par exemple l’ancien président de la République a eu a survolé la ville de Dakar et a dit qu’il allait créer la radio télévision africaine. Résultats des courses : instruction fut donné à la direction générale de l’Artp d’alors pour financer la construction d’une telle structure. D’abord, l’ex-chef de l’Etat n’avais pas à donner cette instruction, c’est illégal. Ensuite l’ARTP n’a pas à financer ce genre d’activité. Enfin, c’est l’ex Président qui a désigné lui-même l’architecte de son choix Pierre Goudiaby Atepa, qui devait être payé hauteur de 400 millions de francs Cfa. Cela sans appel d’offres D’avenant en avenant ce prix est montée de 400 millions à 1 milliard 400 millions francs CFA.
Est-ce que l’argent a été versé ?
Je ne sais pas. Mais je sais que cela a été dénoncé par la Cour des comptes.
Et maintenant quelle suite allez-vous donner à ce document ?
Il y a des recommandations de la Cour des comptes. Nous allons voir. Je ne suis pas le décideur, mais je fais partie de ceux qui seront appelés à voir quelle est la faisabilité quant à application des recommandations de la Cour des comptes. Ce que je sais c’est que ce qui s’agitent aujourd’hui au nom des intérêts du Sénégal ont eu à violer ses intérêts allègrement pour en tirer leur profit personnel. Pour le moment nous sommes en train de réfléchir et voir quelle est l’attitude à adopter. Ce n’est pas notre seule tâche. Mais c’est un rapport de la Cour des comptes, un rapport public. Ce n’est pas notre opinion, notre idée. Il s’agit de l’expression de la conviction tirée d’un travail d’investigation et enquêtes que ces juges autonomes et indépendants ont menés. Ce rapport ne nous a pas été adressé pour être rangé dans les tiroirs. Nous sommes obligés d’essayer de voir comment rapporter les intérêts du Sénégal manifestement violés par une conspiration entre les anciens dignitaires politiques du pays.
Vous allez donc donner une suite judiciaire à ce problème...
Nous ferons ce que la loi nous oblige à faire.
Quels sont vos projets pour la boîte ?
Nous avons trouvé en place des chantiers importants. L’état du Sénégal, à la 4G. L’autre aspect c’est qu’entre les opérateurs que nous sommes appelés chantier, notamment le catalogue d’interconnexion, il y ait un coût entre les différents opérateurs. C’est le collège de l’ARTP qui valide le catalogue fixant les taches de l’interconnexion. J’espère que l’adoption d’un tel catalogue induira une baisse des coûts.
Est-ce que les opérateurs se sont entendus là-dessus ?
Ils n’ont pas à s’entendre. C’est nous qui adoptons un catalogue pour le leur présenter mais il y a une concertation à tous les niveaux. Nous n’allons pas décider ex-nihilo.
Dans la gestion du passage de l’analogie au numérique, il y avait une guerre silencieuse entre l’Artp et le Cnra ?
Non, il y a pas eu de guerre. Il y a eu juste quelques moments d’incompréhension avec des craintes venant de l’ARTP qui avait des appréhensions quant à ses prérogatives. Mais on a dépassé ce stade. Le Comité national de transition de l’analogie au numérique est une structure ad hoc instituée par le président de la République pour organiser le passage de l’analogique au numérique. Alors, étant une structure ad hoc, elle est appelée à disparaître une fois que le passage sera fait.
Il avait été annoncé un retour au contrôle des appels entrants...
Il n’y a rien de plus légitime et de plus normal pour un pays que l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes se dote de moyens pour contrôler le flux des appels entrants et sortants. C’est même banal. Il faut qu’il y ait un contrôle, il est nécessaire. Pas à la manière de l’ancien pouvoir c’est-à-dire profiter du prétexte d’un système de contrôle pour faire de la magouille en se faisant de l’argent sur le dos des Sénégalais et des consommateurs.
Est-ce que vous maintenez ce processus ?
Nous n’avons pas, pour le moment les moyens de le faire par nous-mêmes. Nous avons acquis du matériel et nous allons nous faire accompagner par ceux dont l’expertise relève de ce domaine.
Et si les opérateurs ruent dans les brancards ?
S’ils ruent dans les brancards , ils nous trouveront dans ses brancards en train de ruer contre eux. Je ne comprendrais pas que quelqu’un puisse faire le reproche à un pays à travers son organe de régulation de se doter des moyens qui lui permettent d’avoir une idée claire du volume des appels. Autrement , c’est l’opérateur lui-même qui détermine son volume d’appels entrants ou sortants. Il n’y a pas de contrôle dans ce cas. Nous serons dans une situation de réceptivité d’informations qui nous sont fournies sans avoir le minimum de contrôle. Dans ce cas l’ARTP n’aurait plus sa raison d’être.
Comment se présente le marché des télécommunications ?
Je pense que le marché de la téléphonie est très lucratif pour les opérateurs, si faramineux. C’est un marché extrêmement juteux pour les opérateurs. Les Sénégalais ont tendance à parler du panier de la ménagère en terme de riz, d’huile et de denrées alimentaires. Nous autres sénégalais dépenses sont beaucoup en téléphonie. Je me demande si les gens font attention un tout petit peu au chapitre téléphonie dans le budget des ménages. Le téléphone et l’Internet sont encore trop cher. Ce que les opérateurs captent au Sénégal comme bénéfice me semble démesuré par rapport à notre pouvoir d’achat ,par rapport à l’avancée de la technologie des téléphonie et par rapport à ceux qui se fait ailleurs.
Justement, vous reconnaissez que le téléphone coûte cher et tout ce qui est de la télécommunication. Qu’allez-vous faire pour baisser les prix ?
Nous y sommes et nous y travaillons. Mais il ne faut pas oublier que ces opérateurs ont acquis des licences sur la base d’un cahier des charges. C’est un contrat avec l’État. Nous ne sommes pas des brigands, mais un pouvoir légaliste. Nous ne pouvons pas nous lever et décider d’un trait de plume que ce que nos devanciers avaient signé n’est plus de mise.
Est-ce que vous travaillez sur le quatrième opérateur de téléphonie ?
Naturellement, il arrivera un moment où un quatrième opérateur sera sur le marché. Mais pour le moment, ce n’est pas d’actualité.
(...)
Ndiaga Ndiaye
(Source : L’Observateur,18 avril 2014)