Quatre journalistes interpellés en un mois, c’était assez assommant pour rassembler toutes les énergies contre les dérives liberticides. Mais il y avait bien, derrière tout cela, un fait assez inédit pour poser un débat de fond aux journalistes. C’est le rapport de la presse à l’Internet.
Un nouveau rédacteur en chef trône dans les rédactions. Il n’a que 10 ans (son histoire est plus ancienne et beaucoup de « www » la racontent). Il y a cinq ans, la majorité des journalistes devait à peine le connaître. Ceux qui commençaient à se familiariser avec lui l’utilisaient juste comme « coursier ». On le chargeait de « fichier attaché » pour déposer des articles via e mail. Voilà qu’en 2007 il envoie un de ses « subordonné » derrière les barreaux. Dans la routine des interpellations de journalistes au Sénégal, c’était une première. L’alerte devait pousser à réfléchir, au-delà de la mobilisation pour la défense des libertés. Mais, dans le domaine des médias, les choses semblent aller trop vite pour qu’on ait le temps de la réflexion. Le tourbillon des révolutions technologiques est tel qu’on cherche à s’adapter plutôt qu’à questionner les enjeux.
Aujourd’hui, ce « red-chef » tout juste « adolescent » qu’est l’Internet a tissé sa toile dans le crâne des journalistes. Comme une araignée qui laisse ses traces au plafond. Naguère, les « pisteurs » étaient dans la rue à humer le vent, à sentir l’information et à chercher le bon filon. Aujourd’hui, ils fonctionnent à coups de clics, se promenant dans la jungle du web avec ses impasses et ses chausse-trappes. On ne les connaît pas tous. Parfois on ne sent tout simplement pas le danger venir.
Dans un premier cas, la logique répressive du pouvoir (quatre journalistes interpellés entre octobre et novembre) a ainsi conduit à l’arrestation, le 7 novembre, de El Malick Seck, animateur du site Rewmi.com. D’une information reprise de L’Observateur (une limousine acquise pour le chef de l’Etat), il lui a fallu payer pour des commentaires (indignés) d’internautes (anonymes) postés dans le forum de discussions ouvert en ligne.
Dans un deuxième cas, un internaute a profité de l’espace de dialogue ouvert sur un autre site portail sénégalais pour se lancer dans une entreprise de destruction d’un avocat de la place. Histoire de régler des comptes dans une affaire l’impliquant et qu’il estime mal jugée. La police a fait son enquête, le fautif arrêté et les faits rétablis, cependant le mal est là.
La presse avance, mais on n’a pas encore assez réfléchi sur l’autorégulation de l’Internet - pas plus que sur la régulation d’ailleurs, à propos de laquelle des lois sont dans le circuit. C’est peut-être un moindre mal. Car, il y a quelques années, certains esprits prédisaient la mort des médias traditionnels, en particulier les journaux, étouffés par la toile. Il n’y a pas eu le clic fatal. Mais il y a bien la fatalité du clic. Voire la facilité.
Beaucoup de choses changent dans l’univers rédactionnel. Le « journalisme assis » prospère de plus en plus. Les temps finissants du reporter approchent. On ratisse le web, on assaisonne la collecte de quelques commentaires (le plus souvent c’est du copier-coller) et on farcit les pages.
L’Internet aurait dû être un début, il devient une fin en soi. Dans beaucoup de cas, on ne fait plus la différence entre l’agence de presse, professionnelle, crédible, et le tout venant du Net qui est devenu un espace de contrebande de l’information. Par exemple, Wikipédia, la fameuse encyclopédie en ligne qui a tendance à tuer le traditionnel Universalis, est truffée d’erreurs. Des enquêteurs ont établi que certaines données ont été falsifiées par la Cia, notamment celles concernant des personnalités de l’« Axe du mal », comme le Président iranien Ahmadinejad (Courrier International n° 749). D’autres sites informent, commentent à partir d’un prisme réducteur dont on ne se soucie même plus, dans les rédactions, de déceler les subtilités.
L’instinct professionnel change de nature. La sensation d’exclusivité, on l’a maintenant à se retrouver « seul à seul » avec son ordinateur et à tomber sur un site qu’on croit avoir été le seul à visiter. C’est le règne du transfert des responsabilités éditoriales (vérification, recoupement) vers la source, pour une information à peu de frais. C’est le temps de la démission chez nombre de journalistes, pour autant qu’on ait déjà assumé un sacerdoce.
Espace public
La presse commence à perdre son essence dans l’Internet, mais cette dernière a induit une révolution positive dans le domaine médiatique. Le pouvoir de dire, de monter, d’écrire n’est plus entre les seules mains des journalistes. Les sites portail sont devenus des espaces où l’opinion publique informe, débat et enrichit ce que les médias diffusent. La tour d’ivoire dans laquelle se retranchait la profession a volé en éclats ; les articles sont commentés et on nous renvoie à nos propres turpitudes et limites : articles mal structurés, expression écrite boîteuse, etc.
Ce n’est pas le tribunal des pairs où règne « l’expertocratie », mais à la barre de l’opinion publique les « plaidoiries » du citoyen ne sont pas toujours vaseuses, même si les avis tombent parfois dans l’anathème, l’invective, voire l’insulte. Et on ne compte plus les journalistes qui ont pour réflexe premier, tous les jours, de surfer sur certains sites pour apprécier les commentaires publics éventuellement portés à leur « article phare ». En attendant que prospère au Sénégal le phénomène des blogs par lequel l’information se fait en dehors des circuits médiatiques traditionnels (quoi qu’on dise ce n’est pas du journalisme, mais de la narration), les professionnels de la presse ont commencé à descendre de leur piédestal.
Dans l’environnement actuel, il faut réfléchir à (ou plutôt agir pour) un journalisme qui sorte des sentiers battus par l’ancienne génération. Mais, aussi une pratique qui rompt d’avec la facilité actuelle. Il faut arriver à poser le débat sur « quel journaliste pour quel journalisme - comment s’adapter aux mutations actuelles ».
La rumeur, la désinformation, la manipulation ont toujours été les poisons de la vérité. Aujourd’hui, l’espace multimédiatique leur offre les supports plus efficaces, parmi lesquels l’Internet. C’est un malus parmi d’autres. Quand Penda Kébé s’est transformée en torche humaine à Rome, c’est le Net qui a donné la mesure de l’insoutenabilité du drame, avec la vidéo mise en ligne sur Seneweb. Quand une telle image passe au Journal télévisé (aucune pensée vers la Rts) c’est pour en disparaître, chassée par la nouvelle qui suit. Ici, l’internaute peut se servir son information en replay à volonté. C’est un bonus du Net, entre autres. Il faut réfléchir à la synthèse.
Tidiane Kassé
(Source : Le Quotidien, 2 janvier 2008)
Bande passante internationale : 172 Gbps
4 FAI (Orange, Arc Télécom, Waw Télécom et Africa Access)
19 266 179 abonnés Internet
Liaisons louées : 3971
Taux de pénétration des services Internet : 106,84%
3 opérateurs : Sonatel, Expresso et Saga Africa Holdings Limited
382 721 abonnés
336 817 résidentiels (88,01%)
45 904 professionnels (11,99%)
Taux de pénétration : 1,67%
3 opérateurs (Orange, Free et Expresso)
21 889 688 abonnés
Taux de pénétration : 123,34%
3 050 000 utilisateurs
Taux de pénétration : 17,4%
Facebook : 2 600 000
Facebook Messenger : 675 200
Instagram : 931 500
LinkedIn : 930 000
Twitter : 300 000