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Panos Info n° 13 : Nouvelles technologie et pluralisme de l’information. La vogue des cybercafés (Sénégal)

vendredi 1er novembre 2002

Les internautes jubilent, les investisseurs peinent. L’Internet a fini de faire sa révolution au Sénégal. Les cybercafés jalonnent les artères de la capitale et les avenues des villes de l’intérieur, et l’affluence y est quasi permanente. Il reste que les promoteurs jugent les conditions d’exploitation prohibitives.

Quand le Metissacana, premier cybercafé de l’Afrique de l’Ouest, investit la "toile" en 1996, c’est le désert. Six ans après, certaines statistiques font état de quelque deux cent cinquante cybercafés éparpillés à travers le Sénégal. Et le marché ne fait que progresser. Timorés il y a une demi-douzaine d’années du fait sans doute de la nouveauté, les utilisateurs d’Internet investissent les points de connexion à longueur de journée.

Toutes catégories socioprofessionnelles, toutes classes d’âge confondues, les cybercafés sont devenus des points de passage habituels ou occasionnels. Chacun selon les usages qu’il fait des possibilités de contact ainsi offertes. A travers le Web, se font et se défont des rencontres amoureuses, prennent forme des partenariats avec de potentiels investisseurs, se nouent des liens d’amitié, si ce n’est des étudiants à la recherche de documents pour compléter des cours ou préparer des exposés. Les étrangers établis au Sénégal en font aussi un moyen pour garder un contact permanent avec leur pays d’origine. Par la lecture des journaux en ligne, mais aussi à travers le courrier électronique qui s’offre comme une sorte de cordon ombilical reliant les diasporas éparpillées aux quatre coins du globe à leurs familles. Ainsi les cybercafés grouillent de monde, avec des pointes d’affluence qui imposent parfois des attentes plus ou moins longues.

"J’ai une boîte emails. Je viens voir les nouvelles des parents qui sont restés au pays", confie M. Julien, d’origine béninoise, occupé à lire son courrier dans un cybercafé dakarois. A la retraite depuis 1987, l’ancien employé de la Manufacture de tabac de l’Ouest-Africaine (Mtoa) à Dakar se réjouit de l’installation de ce cybercafé à quelques mètres de son domicile de Khar Yalla, un quartier populaire de Dakar. Nouvel adepte de l’Internet, il a "découvert les lieux il y a juste trois mois". Aujourd’hui, ses incursions y sont hebdomadaires "pour (se) faire une idée sur les nouvelles du pays. C’est fou ce qu’on économise avec le message électronique et combien c’est rapide", lance-t-il en souvenir de ce que lui coûtait le courrier postal et le téléphone. A 500 F Cfa l’heure de connexion, son budget de communication avec le pays se retrouve sans doute divisé par dix.

Dans l’édition du Financial Times du 15 juillet 1999, on peut lire : "Il faut cinq jours et 75 dollars (45 000 F Cfa) pour envoyer par poste un document de quarante pages de Madagascar en Côte d’Ivoire. Le même envoi revient à 45 dollars (27 000 F Cfa) en une heure et demie par fax et à 20 cents (120 F Cfa) en deux minutes par courrier électronique." Et les tarifs continuent de baisser dans les pays africains, au fur et à mesure que la concurrence s’impose avec la généralisation des cybercafés. Ce Béninois qui s’est définitivement installé à Dakar n’en finit plus de savourer le gain de temps et d’argent, et a adopté une formule qui commence à faire recette dans la capitale sénégalaise, celle du forfait. "J’achète un ticket d’une durée de six heures qui me revient à 2 500 F Cfa pour ma consommation mensuelle", explique-t-il. Muni d’un numéro de code délivré par les gérants du cybercafé, il peut ainsi surfer à sa guise.

Le principal constat qu’on fait à Dakar, c’est la jeunesse des internautes. Mais aussi le fait que les filles sont les plus "accro". Elève en classe de terminale dans un lycée, Maïmouna Doucouré est tombée sous le charme des discussions en ligne, plus connues sous l’appellation de "chat". "On peut se faire des amis, des correspondants partout à travers le monde", relève-t-elle. Mais le phénomène de ces jeunes qui convergent vers les cybercafés soulève un débat dont la presse sénégalaise se fait les échos. En effet, quand ces derniers naviguent, c’est souvent pour dériver vers les sites pornographiques. Mais tous n’ont pas cette préoccupation jugée déviationniste. Codou Touré, la vingtaine entamée, se réjouit de la gentillesse de sa nouvelle amie... belge de 13 ans. "Cela fait cinq mois qu’on s’est connu à travers le Net, mais on entretient de très bons rapports. Je la considère comme ma petite sœur, on s’offre souvent des cadeaux", confie-t-elle. Les relations qui sont nouées entre les deux filles ne sont pas seulement épistolaires. "On s’appelle souvent, et je suis en contact avec sa mère", explique Codou, qui envisage de se rendre en Belgique durant les fêtes de Noël. A défaut, elle attendra sa "sœur" pour les grandes vacances qu’elle pourrait passer à Dakar. Pour le reste, Codou Touré passe une partie de son temps à chercher des "opportunités de travail en envoyant (son) Cv" un peu partout. Cette jeune fille spécialisée en Secrétariat et Bureautique n’a pas encore reçu de réponses favorables à ses requêtes, mais elle ne désespère pas pour autant. "J’insiste beaucoup", confie-t-elle. Autant que Pathé Cissé et Idrissa Sarr qui travaillent dans le secteur de l’éducation préscolaire. "Nous gérons des garderies d’enfants communautaires à Taïba et à Darou Salam, à Grand-Yoff", expliquent-ils en chœur. Respectivement directeur et trésorier de ce centre établi dans un des quartiers populeux de Dakar, ils prospectent des sites en vue de nouer des partenariats avec des institutions évoluant dans leur domaine d’activité. "Nous avons relevé quelques sites, lâche M. Cissé. En fait, nous cherchons à établir un jumelage avec des organismes étrangers qui s’intéressent à l’éducation préscolaire pour les couches indigentes".

Des promoteurs à la peine

Boubacar Sow, instituteur de son état, a réalisé son rêve de doter ses élèves de dictionnaires. Et il le doit beaucoup à l’Internet. C’est sur la "toile" qu’il a pu rencontrer un généreux bienfaiteur qui lui a fait un don de dictionnaires pour enfants, destinés à son école de Thiangaye située dans la Communauté rurale de Ngoundiane, dans la région de Thiès (à 70 km de Dakar).

Cet enthousiasme débordant qui prévaut au sein des internautes contraste avec la morosité des promoteurs de cybercafés. Le premier cybercafé de l’Afrique de l’Ouest est passé de vie à trépas, après six ans d’existence. C’est au mois de juillet 2002 que les gérants Oumou Sy et Michel Mavros ont décidé de geler les activités du Metissacana qui avait ouvert ses portes le 4 juillet 1996. Dans cette aventure avortée, la Société nationale de télécommunications du Sénégal (Sonatel) est mise à l’index par les promoteurs. Ces derniers "dénoncent le monopole de la Sonatel, filiale de France Télécom", et chargent le "laxisme de l’Etat". Gérant du cybercafé Toub@net, Pape Diagne souligne que "le secteur ne peut être porteur tant que la Sonatel continuera d’appliquer ses tarifs comme bon lui semble". Au Sénégal, la cession de l’heure de connexion par l’opérateur des télécommunications est de 1 800 F Cfa, alors que l’internaute débourse en moyenne 500 F pour l’heure de navigation. Une forte fréquentation peut permettre de s’en sortir, mais il se pose pour les promoteurs l’équation de la clientèle et de la diversification des prestations de services afin de rentabiliser l’investissement. "Beaucoup d’étudiants fréquentaient le cyber, tout particulièrement les Gabonais de l’Université Dakar-Bourguiba", se souvient M. Diagne. Mais c’était pendant l’année scolaire. Avec les vacances, il faut gérer une longue période de vaches maigres. Sans compter la forte concurrence née de l’ouverture d’autres cybercafés dans les environs. Dans de beaucoup de ces "points Internet", on a essayé de s’engager dans une diversification des activités pour accroître les gains. Que ce soit par des travaux de saisie de documents ou des travaux de mise en pages. Mais on soutient toujours s’en sortir difficilement. En effet, les charges restent lourdes. "La consommation d’électricité est de l’ordre de 90 000 F, le loyer revient à 50 000 F et la masse salariale pour les deux employés est de 150 000 F", révèle M. Diagne. Après un an d’existence, le cyber Toub@net qui a pignon sur rue dans le quartier de Castors a ainsi été mis en vente. "Le déficit mensuel de 200 000 F Cfa nous a poussés à vendre le matériel informatique composé de onze ordinateurs et d’un scanner", révèle Pape Diagne. Certains détenteurs de cybercafé n’hésitent plus à réduire les prix de connexion de moitié. C’est le cas du cyber L@mbidou niché dans le quartier de Dieuppeul, où les tarifs de connexion sont fixés à 250 F Cfa. Ce dumping semble faire son effet dans ce quartier populeux. "Nous sommes en train de procéder à une augmentation du débit du réseau de 64 à 128 kilobits", confie le gérant Mamadou Diouf. Une situation favorisée par des baisses intervenues au niveau de la Sonatel, faisant chuter les tarifs de location des lignes spécialisées (Ls) de 20 à 30 % depuis le mois de mai 2002. Une Ls de 64 kbits revient ainsi à 384 000 F Cfa, au lieu de 480 000 F. Pour les 128 kbits, il faut 597 600 F Cfa, alors que l’ancien tarif était de 796 800 F Cfa. Pour Mamadou Diouf, le secteur des cybercafés est rentable, mais à la condition de louer un débit assez puissant. Gilbert O’Connor, responsable technique à Net Communication Service (Ncs), situé sur la rue Joseph Gomis, dans le centre-ville de Dakar, considère que c’est plus avantageux de louer une Ls. "Au contraire du Rnis pour lequel la Sonatel exige une facture mensuelle en fonction de la consommation, la Ls se limite à une redevance par mois où l’on ne tient pas compte de la consommation. Mais les gens ont peur d’investir dans les Ls, alors que c’est le seul moyen de ne pas enrichir la Sonatel", souligne M. O’connor. Au niveau de Ncs, une Ls de 2 Mbits est disponible pour la clientèle. En échange, la société paie à la Sonatel une redevance mensuelle de 1 764 000 F Cfa, suite à la baisse de la tarification. Auparavant, le tarif était fixé à 2 520 000 F Cfa. Accusé de vouloir étouffer les prestataires de services dans un domaine où elle les concurrence, la Sonatel balaie tout d’un revers de la main. Si Sonatel Multimédia, filiale de la Sonatel, a investi ce secteur depuis quelques années, avec l’ouverture de trois Espaces Sentoo qui offrent des services, on y affirme que l’objectif de la société "ne s’inscrit pas dans une logique de concurrence". "Notre préoccupation est de répondre à la forte demande", souligne un de ses responsables, M. Bâ. Et "la Sonatel Multimédia paie au même titre que les investisseurs privés des factures à la Sonatel". Toujours est-il que la libéralisation de l’Internet, que réclament depuis des années les promoteurs du secteur, reste une revendication qui mettrait tout le monde sur un même pied d’égalité. Cela permettrait aussi de dynamiser le secteur avec l’instauration de la libre concurrence.

La qualité du service d’abord

"Il suffit d’un bon site d’installation, d’une clientèle avisée pour se faire de l’argent dans ce secteur", souligne un gérant de cybercafé à Dakar. Aussi les investisseurs ne manquent pas. Ces derniers, pour la plupart des "gros bras" à l’image de Silicon Valley ou de Sonatel Multimédia, mettent d’importants moyens pour fructifier leurs activités. A Silicon Valley, un agent confie, sous le couvert de l’anonymat, que la société logée dans la Zone franche industrielle dispose d’une vingtaine de cybercafés à travers Dakar. L’intérieur du pays sera bientôt investi par ces promoteurs qui dépensent 20 à 25 millions de francs pour installer et équiper un cyber. Adjoint au gérant du cybercafé Espace Derklé, Limamoulaye Ndione est convaincu, lui aussi, que le secteur de l’Internet est rentable, si en amont la gestion reste rigoureuse. "Le client se base sur la disponibilité des promoteurs", conseille-t-il. C’est ainsi que dans ce cyber, une équipe de quatre personnes se relaie pour mettre les internautes dans de bonnes conditions de navigation, "de 8 h 30 à 00 h". Sans compter un groupe électrogène pour pallier les coupures de courant. Ainsi les vingt-trois ordinateurs installés dans le local offrent une connexion continue, nonobstant les nombreux délestages qui surviennent à Dakar. "Le week-end, on a des pics de cent soixante clients", révèle M. Ndione. Dans beaucoup d’autres cybercafés, la pêche aux clients se complète aussi par des offres de formation à l’Internet.

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