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Modou Sall, expert en Mobile Money : “Il faut mettre en place une base de données des arnaqueurs au Sénégal”

dimanche 12 mai 2024

Spécialiste des questions de monnaie électronique aussi bien dans l’univers bancaire que dans le monde des fintech, Modou Sall a travaillé pour plusieurs acteurs du secteur dont Ecobank, FBN Bank, Kalispot et TransPay. Dans cette interview accordée au site d’information Le Tech Observateur, il analyse le phénomène de l’arnaque et dégage des pistes de solution, en partant de l’étude “Risques pour les consommateurs et services financiers numériques” et suite à la convention de partenariat que Wave vient de signer avec la Division spéciale de cybersécurité du Sénégal.

Le Tech Observateur : Comment lutter contre l’arnaque dans le secteur du Mobile Money au Sénégal ?

Modou Sall : Ma réponse à cette question se fera à trois niveaux. D’abord, les autorités. Elles doivent renforcer la réglementation et fixer des axes de sensibilisation que les autres parties prenantes doivent normalement respecter.

Ensuite, il y a les opérateurs qui doivent respecter les exigences que les autorités ont fixées en matière d’amélioration des processus opérationnels (la gestion des fraudes, la gestion de l’identification des clients et la sensibilisation). Il y a les campagnes de sensibilisation de masse que les opérateurs doivent mener sur le terrain au niveau de leurs clients. Mais aussi, avant cela, il y a une sensibilisation au moment de leur enrôlement même pour respecter, en fait, l’exigence d’informer les clients au moment de la signature d’un contrat d’utilisation.

Enfin, le troisième niveau concerne l’utilisateur même. Il doit exiger normalement cette information de la part de l’opérateur, mais aussi doit faire tout pour connaître tout ce qui est sur le plan réglementaire, ce que le régulateur ou l’autorité lui a accordé en termes de privilèges sur ses produits, surtout les produits financiers, et de surcroît les produits mobiles. Si chaque acteur s’acquitte de ses obligations, l’arnaque doit perdre du temps au Sénégal. Seulement, les mécanismes édictés par le régulateur ne sont pas toujours respectés par les opérateurs. Les mécanismes de suivi et de contrôle en matière de protection du consommateur doivent faire l’objet d’une stricte observance. L’un des problèmes majeurs dans ce secteur, c’est que la majorité des consommateurs ne peuvent pas, en fait, lire les textes réglementaires. L’autre point, c’est que, aussi, il y a sur ces textes-là des obligations d’informer. Donc, tout opérateur, mobile monnaie ou bancaire ou quoi, en tout cas, est concerné. Quelqu’un qui est agréé par exemple par les autorités et qui fournit des services de Mobile Money et qui est susceptible d’être arnaqué, il y a une obligation d’informer que le régulateur a fixée. Maintenant, est-ce que cette obligation est respectée ? Donc, là aussi, c’est le deuxième problème. Parce que je vois que les opérateurs respectent bien leur obligation de s’informer. Il ne faut pas oublier qu’il y a l’obligation d’informer et l’obligation de s’informer.

L’obligation d’informer, c’est moi, opérateur. Je dois informer mon client sur tous les risques qui sont autour de ce produit-là que je suis en train de commercialiser alors que pour l’obligation de s’informer, le régulateur dit à l’opérateur qu’il faut s’informer sur le client. Il faut lui demander son prénom, nom, adresse, son numéro de téléphone, ainsi de suite, sans oublier les justificatifs ainsi que les titres officiels. Donc, il règle bien cette obligation-là de s’informer. Mais il ne le fait pas nécessairement de l’autre côté en informant bien le client.

Le dernier point sur cette question, a trait aux utilisateurs qui sont les consommateurs des services financiers, comme le Mobile Money. Ils ont du mal à valider les conditions générales d’utilisation, qui est en fait le contrat qui les relie avec les opérateurs. Pour des raisons très simples, ce sont des analphabètes, alors que quand on est analphabète, en général, c’est 99% des utilisateurs. Ils ne savent pas lire, parce que même ceux qui sont scolarisés ne savent pas lire des contrats. Si on parvient à régler ces problèmes-là, on pourra mieux lutter contre les arnaques dans le secteur du Mobile Money.

Le Tech Observateur : Quelle éducation financière pour les couches les plus vulnérables ?

Modou Sall : Quand on parle de couches vulnérables et quand on parle de Mobile Money, en général, moi, je pense automatiquement aux gens, comme j’ai cité tout à l’heure, aux illettrés. Les gens qui n’ont pas une éducation académique poussée. En général, quand on parle de Mobile Money, par contre, beaucoup de chercheurs, mes amis chercheurs, pensent aux gens qui n’ont pas des revenus consistants. Moi, je pense plutôt à des gens qui n’ont pas de niveau d’éducation, alors que ces gens-là sont plus vulnérables aux arnaques. Donc, le mécanisme d’éducation financière qu’on doit leur servir doit prendre en compte leur vulnérabilité.

La première chose que je peux dire sur ce plan, c’est de faire des analogies sur ce que ces gens-là connaissent déjà, parce qu’ils ne connaissent pas peut-être les textes juridiques. Ils ne savent pas les lire d’une manière alphabétique pour comprendre et interpréter le droit. Et pourtant, ce sont des personnes qui sont très intelligentes, qui vivent dans la société et qui interprètent d’autres choses. Mais dans leur langue nationale ! Donc, il faut vraiment intégrer dans les mécanismes d’éducation financière des analogies, par exemple, pour qu’ils puissent mieux comprendre ce que le régulateur veut dire, ce que les opérateurs veulent dire en matière d’éducation financière, surtout ce qui touche à l’arnaque. Et l’arnaque la plus connue, c’est on vous appelle et qu’on vous dise Ousmane, vous avez gagné, il faut envoyer les frais pour qu’on puisse vous transférer l’argent.

Moi, je leur pose juste une question. Est-ce qu’une personne qui ne participe pas à un jeu peut gagner ? Prenons un jeu de foot. Est-ce que si vous ne jouez pas au foot, est-ce que vous pouvez gagner ? Comment on peut gagner de l’argent alors qu’on n’a pas joué ? Il faut qu’on transfère les mécanismes vers des questions aussi simples à l’intégrant dans la vie de tous les jours. Si vous entamez le débat de sensibilisation, d’éducation financière sur ces volets-là, moi, je pense qu’ils vont faire une prise de conscience. L’éducation financière doit être contextualisée. Même si le Mobile Money est africain, est purement africain, le téléphone mobile, le smartphone n’est pas africain. C’est une adoption massive qui a fait que nous, on l’a utilisé pour faire de la banque. En général, on me pose beaucoup de questions sur comment, par exemple, avoir un crédit. Et je réponds toujours : est-ce qu’un boutiquier qui vous voit pour la première fois peut vous accorder un crédit ? Ce sont des mécanismes qu’on pourra vraiment adopter pour éduquer financièrement ces couches vulnérables.

Le Tech Observateur : La répression judiciaire est-elle le meilleur moyen pour faire face au phénomène ?

Modou Sall : J’ai constaté des défis qui font que la répression reste toujours inefficace avant de réprimer. Il faut pouvoir mettre la main d’abord sur ces personnes-là, ce qui est encore très compliqué pour les raisons que je vais citer. Le premier défi est donc lié à l’identification des personnes découlant en général de l’absence de la centralisation de l’identité ou de la digitalisation de l’identité dans nos pays africains. Vraiment, cela entrave le bon fonctionnement de la justice. Si Ousmane peut s’appeler Ousmane aujourd’hui et Nouraïd demain, donc ça peut poser problème. On a un problème de fiabilité au niveau de nos pays. L’autre défi, c’est la difficulté de localisation des individus. Cela fait également que nous avons un réel problème d’adressage au niveau du Sénégal. Aujourd’hui, je suis à Pikine. Demain, je peux déménager à Keur Massar ou au Plateau sans pour autant que les autorités s’en rendent compte. Donc, ça, ça ne se passe pas comme ça dans les pays développés. Des individus-là, s’ils font des malfrats, ça sera très difficile de les localiser et de les traduire en justice.

Le dernier point que j’aimerais aborder sur ça, avant de vous donner ma solution, c’est en fait la tolérance excessive que nous appelons en Wolof, le Masla. C’est un obstacle majeur à la marche de la justice au Sénégal. Mais la médiation, par exemple, peut être une très bonne solution. Pour moi, la médiation sur le Mobile Money, sur les arnaques, sur un cas de conflit, doit être délocalisée. Et même pourquoi pas comme ce que les gens disent, mettre en place aussi un système d’alerte, de lanceurs d’alerte, tout ça, c’est possible avec le Mobile Money. Si quelqu’un t’a arnaqué, que tu affiches son numéro, son visage, etc., pour qu’on puisse avoir une base de données d’arnaqueurs au Sénégal que les opérateurs pourraient utiliser, pour qu’on puisse détecter en fait les arnaqueurs, parce qu’ils changent de numéro. Mais si on avait son Face ID ou son empreinte digitale, quelque chose comme ça, ce sera très difficile qu’il s’échappe, bien vrai qu’il est très mobile. Là où la médiation pourrait être importante, c’est quand on implique les chefs de quartier pour qu’ils ne signent plus à tort et à travers des titres de domicile. Et ainsi de suite. Un Chef de quartier normalement doit connaître le maximum de ses citoyens dans sa circonscription.

Le Tech Observateur : Faudrait-il privilégier nos langues nationales dans la lutte ?

Modou Sall : C’est une question que j’aime bien. Pour moi, avec le Mobile Money, normalement, toute la sensibilisation doit se faire dans nos langues. Parce que j’ai dit 99% ou même je dirais à part les étrangers qui vivent parmi nous, qui viennent juste d’arriver, je pourrais même dire 100% des utilisateurs Mobile Money au Sénégal parlent le Wolof presque ou bien comprennent au moins une publicité ou une sensibilisation en Wolof. Parce que si on fait ce genre de campagne, normalement, on doit le faire en Wolof, un Pulaar, en Serer et en Diola, en Mandingue… Les questions que j’ai posées, par exemple, est-ce qu’une personne qui n’a pas participé à un jeu peut gagner ? Ça même, pour le dire en Français, ça serait très compliqué à une personne, même pour une personne qui a fait les banques, ça serait très compliqué. Toutes ces choses-là doivent être décrites dans nos langues locales. L’autre chose, en dehors de la langue, ce sont les visuels qui doivent être adaptés à nos cultures, par exemple. Au lieu de porter un costume-cravate, mettre plutôt des habits traditionnels pour n’exclure personne. Et ça, je l’ai vécu lorsque j’étais à la banque. Il y a des gens qui ne voulaient pas entrer dans la banque pour ouvrir un compte parce qu’ils nous disaient que vous, vous portez des costumes. Donc, les costumes, c’est pour les riches et nous, nous ne sommes pas riches.

(Source : Le Techobservateur, 12 mai 2024)

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