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Fibre optique VS satellite : les plus et les moins

samedi 19 janvier 2013

Pour Jean-Marie Blanchard, expert TIC & Développement, fibre optique et satellite sont deux technologies complémentaires et le continent africain représente, pour l’une et l’autre, un important potentiel de développement.

Pour développer la pénétration des TIC en Afrique, on pense naturellement à la fibre optique pour les villes et au satellite pour les campagnes... La réalité est-elle aussi binaire ?

Jean-Marie Blanchard : La formule me semble en effet quelque peu simplificatrice, mais elle a le mérite de considérer la problématique avec le meilleur angle d’analyse, à savoir celui du contexte de construction et d’utilisation. En effet, la technologie satellite était jusque là la plus couramment utilisée dans les zones rurales, du fait de grandes distances entre les utilisateurs et de la faible densité de consommateurs. Cependant, l’accès aux services basés sur ce type de technologie se traduit par des coûts de communication élevés et donc difficilement soutenables pour une population à faible pouvoir d’achat. Ainsi, l’usage du satellite a tendance à rester relativement « élitiste » !

Du côté de la fibre optique, la forte densité des utilisateurs potentiels dans les quartiers d’affaires justifie pleinement l’investissement dans des réseaux à fibre optique, à condition que leur coût de construction – génie civil, notamment – ne devienne pas prohibitif ; en effet, bien que les contraintes environnementales ne soient pas encore trop pesantes en Afrique, la construction d’un réseau en centre-ville est très coûteuse avec un prix au kilomètre nettement supérieur à celui pratiqué dans les zones périurbaines et a fortiori rurales.

Quelles sont, à ce jour, les différences de coût entre ces deux technologies, en investissement et en exploitation en Afrique ?

JMB : Plutôt que de parler de « coût d’une technologie », il me semble plus approprié de parler de « coût d’un réseau », basé sur telle ou telle technologie... Ainsi est prise en compte une contrainte incontournable en la matière du poids des contextes de construction et d’utilisation : le contexte de construction induira le coût d’investissement et le contexte d’utilisation le coût d’exploitation du réseau, selon la (les) technologie(s) employée(s).

Le coût d’un réseau à fibre optique est caractérisé par un coût d’investissement (« one shot ») très élevé, fonction de la capacité de transmission de celui-ci (débit maximum disponible à partager entre les utilisateurs) et par un coût d’exploitation relativement faible, généré par les activités de gestion du réseau et du parc d’abonnés. A titre indicatif, le coût moyen de construction d’un tel réseau régional terrestre en Afrique se situe à environ 20 000 € par kilomètre, dont 10% seulement pour la partie équipements télécoms et câble, un réseau offrant des capacités de plusieurs dizaines de Gbit/s.

La situation est tout à fait différente pour un réseau faisant appel à la technologie satellite dont le coût d’investissement est relativement limité, correspondant, en première approche, au prix total des stations VSAT qui peuvent être installées progressivement au rythme de la demande des utilisateurs ; ceci uniquement dans le cas d’un réseau de grande taille, à savoir plusieurs dizaines de stations terminales, dont le prix unitaire se situe aujourd’hui à moins de 5000 €. Quant au coût d’exploitation qui est le poste déterminant du budget, il sera estimé avec un coût d’accès de location mensuel de l’ordre de 2000 € par Mbit/s (à titre indicatif, l’ambitieux projet O3B[1] prévoit un accès à moins de 1000 $).

L’une est-elle plus fiable que l’autre, notamment au niveau des risques de rupture de connexion ?

JMB : La fibre optique est hautement fiable, intrinsèquement parlant, mais le principal risque, qui se révèle fatal, est la rupture du câble ou son endommagement, suite à une agression extérieure (accident, malveillance). Bien qu’il existe des solutions pour « protéger » la fibre optique, ces dernières ne dispensent pas de sécuriser systématiquement les réseaux à fibre optique, prévoyant des architectures de réseaux maillés, offrant des possibilités de routages alternatifs ; en Afrique, pour des raisons d’économie et d’échéancier de déploiement, le plus souvent, il arrive que les réseaux ne soient pas encore sécurisés... et cela se traduit par des interruptions de services à lourdes conséquences, comme cela a été le cas cette année à plusieurs reprises, notamment au Bénin et en Tanzanie avec des conséquences (coupure d’Internet et de l’interconnexion de certains réseaux GSM) qui ont également affecté les pays de l’hinterland. Quant à la technologie satellite, elle est surtout sensible aux aléas climatiques qui limitent drastiquement la disponibilité des liaisons. Ce type d’aléas est fréquent en Afrique (orages, fortes précipitations) et les opérateurs se doivent de sécuriser leurs liaisons les plus stratégiques. Cependant, la technologie bénéficie à juste titre d’une bonne réputation en matière de disponibilité... et c’est pourquoi la technologie satellite apparaît comme un support intéressant pour secourir les réseaux à fibre optique non maillés !

Comment se répartit le marché africain, aujourd’hui, entre ces deux technologies ?

JMB : Depuis le début des années 2000, les réseaux à fibre optique, jusque là marginaux, se sont fortement développés en Afrique, à commencer par les câbles sous-marins (le premier en date étant le câble SAT3/WASC/SAFE desservant les côtes ouest-africaines jusqu’en Afrique du Sud depuis 2002). Depuis lors, de nombreux autres projets ont été engagés sur les mêmes parcours (GLO-1, ACE, Main One, WASC) et également au bénéfice des côtes est-africaines (EASSy, Seacom). L’élément le plus marquant de ces dernières années réside dans le déploiement de plusieurs réseaux à fibre optique à l’intérieur des pays afin de desservir les capitales régionales en traversant bien évidemment les zones rurales, ceci du fait d’une forte demande de la part des opérateurs mobiles (interconnexion des sites radios) et des fournisseurs d’accès à Internet (dessertes à haut débit au-delà des capitales économiques des pays). A noter que plusieurs réseaux de ce type sont actuellement en cours de déploiement sous l’impulsion de la Banque mondiale, tels que, par exemple, le projet CAB en Afrique centrale et le projet BBS en Afrique de l’Est.

Par ailleurs, la technologie satellite fait l’objet d’une forte demande (pour preuve la pénurie de segments satellite dont souffrent actuellement les grands opérateurs) et le marché va continuer à se développer, avec toutefois une croissance plus faible que du côté des réseaux à fibre optique. Une telle situation de marché confirme, s’il en était besoin, que les deux technologies ne sont pas concurrentes mais bien complémentaires ... et que pendant plusieurs années encore chacune saura trouver sa place !

En quoi l’arrivée de la télévision numérique en Afrique va-t-elle changer ce rapport ?

JMB : La migration des réseaux vers la télévision numérique va susciter une forte demande en matière de bande passante qui devrait surtout bénéficier aux nouveaux réseaux à fibre optique pour la distribution des programmes mais également, dans une moindre mesure, aux réseaux satellite pour les échanges d’hub à hub, et là où les liaisons à fibre optique ne seront pas disponibles. A noter qu’une importante réunion s’est tenue mi-2012 à Libreville sous l’égide de l’UIT[2], en présence de la majorité des régulateurs de télécommunications africains, qui a confirmé l’objectif de voir disparaitre du continent africain la TV analogique d’ici juin 2015 !

Si les coûts de la fibre optique semblent difficilement compressibles du fait de leur composante BTP, ceux du satellite pourraient-ils baisser significativement dans les prochaines années ?

JMB : Certes, les coûts de construction des réseaux à fibre optique sont peu compressibles, mais il faut malgré tout s’attendre à une baisse non négligeable des prix de détail suite à la probable réduction de la marge des opérateurs, sous l’effet de la pression concurrentielle, d’une part, et du fait des économies d’échelle retirées de la forte augmentation de la base des utilisateurs, d’autre part. A ce jour, il est aisé de constater que l’écart des prix de vente du Mb/s peut encore varier dans un rapport 1 à 10 entre deux capitales, pourtant connectées au même câble.

Côté satellite, il ne faut pas s’attendre à une révolution des prix (les marchés étant très diversifiés et relativement atomisés) ; l’évolution pourrait venir de grands projets intégrés comme O3B Networks, mais l’expérience montre qu’ils sont très difficiles à concrétiser, comme en témoignent les échecs cuisants des projets IRIDIUM et RASCOM. Concernant le projet RASCOM, initié au début des années 80, le premier satellite opérationnel a commencé à être exploité en 2010 mais, à ce jour, aucun réseau terrestre de distribution n’a été réalisé, alors que l’un des objectifs politiques essentiels était, depuis l’origine du projet, de « connecter tous les villages africains ».

De ce fait, chacun peut faire le constat avec regret qu’à ce jour, ni le satellite (chacun attend maintenant le projet O3 après l’échec d’Iridium ces dernières années), ni la fibre optique n’ont réussi à connecter les zones rurales ; cependant, des efforts conséquents sont engagés sur la base de cette dernière technologie qui devraient porter leurs fruits, à condition toutefois que des investisseurs se positionnent sur les réseaux de distribution de haut débit dans les zones périurbaines et rurales ; c’est là que réside le formidable défi à relever par l’Afrique de l’augmentation de la pénétration d’Internet en Afrique qui se limite aujourd’hui, chacun le sait, aux grandes villes : en effet, on trouve souvent moins d’un accès fixe pour 100 habitants et cela pénalise gravement le développement économique et social des pays.

SAT3/WASC/SAFE ont été financés par des consortiums d’opérateurs télécom. Ce type de financement est-il courant dans le satellite africain ?

JMB : Il est important de noter que le consortium SAT3 que vous citez est constitué d’opérateurs historiques qui étaient, à l’époque de l’engagement du projet, des opérateurs publics et qui, de ce fait, ont pu continuer jusqu’à ces dernières années à commercialiser leurs services de fourniture de bande passante en situation de monopole : dans une telle situation, la plupart d’entre eux ont suivi une stratégie commerciale dite « d’écrémage », à savoir, vendre à un prix très élevé et générer de fortes marges unitaires, au risque d’une limitation du nombre d’utilisateurs solvables. Une telle politique, on s’en doute, a eu des conséquences désastreuses pour le développement du marché haut débit en Afrique et qui resteront pesantes plusieurs années encore.

De même l’échec du projet RASCOM, sponsorisé par un consortium de 40 gouvernements africains, est en partie à imputer au principe organisationnel. Le projet n’a pas réussi à se donner les moyens de la réussite, pris entre lourdeurs décisionnelles, manque de leadership et difficultés d’accès au financement.

Pour éviter ce genre de situation, de nouveaux modes de gestion des projets de réseaux, plus transparents et ouverts à la fois, ont été mis en avant par la Banque mondiale. Cette dernière conditionne son financement aux respects de certaines règles de transparence et d’ouverture des marchés. En simplifiant, on peut dire que le montage des projets est de type PPP (partenariat public-privé), géré par un GIE dont les membres sont essentiellement des opérateurs privés et l’opérateur historique. Force est de constater que cette formule, bien que semblant prometteuse sur le papier, conduit à des conflits lors de la mise en œuvre, notamment du fait du réflexe « monopolistique » encore très marqué chez certains opérateurs historiques... En tout état de cause, il s’agit d’une bonne approche qu’il convient de continuer à promouvoir, tout en l’affinant.

La technologie africaine PWCS du Dr Victor Agbegnenou peut-elle changer la donne ?

JMB : La technologie PWCS[3] est une technologie de type « boucle locale radio » comme par exemple le WiMAX ; de telles technologies sont principalement utilisées, comme leur nom l’indique, sur de courtes distances (quelques dizaines de kilomètres), pour des débits relativement limités et un nombre réduit d’utilisateurs, et ne se positionnent donc pas a priori comme concurrentes des technologies utilisées dans les réseaux à grande distance, tels que la fibre optique ou le satellite ; bien au contraire, et on trouvera plutôt des technologies comme le PWCS ou le WIMAX dans des réseaux de distribution en prolongement des réseaux à grande distance pour réaliser des réseaux privés de données ou des déports de sites radios mobiles.

Cependant, il reste à la technologie PWCS à s’imposer au niveau du marché, c’est-à-dire à se faire reconnaître dans l’écosystème industriel, jusqu’à ce que les opérateurs de télécommunication décident d’en implanter en quantité dans leurs réseaux... Un grand défi pour le Dr Agbegnenou, auquel je renouvelle tous mes encouragements.

Propos recueillis par Dominique Flaux pour Réseau Télécom n° 58

(Source : Agence Ecofin, 19 janvier 2013)

Post-Scriptum

Jean-Marie Blanchard est consultant indépendant, expert TIC & Développement en Afrique subsaharienne, après avoir occupé le poste de Directeur Business Development dans le groupe Alcatel pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud. Il dispose de plusieurs années d’expérience de terrain acquise lors de missions d’assistance auprès des gouvernements, des régulateurs et des grands opérateurs (Bénin, Burundi, Cameroun, Côte d’Ivoire, RCA, Mali, Niger, RD Congo, Sénégal) pour l’élaboration de leur stratégie de développement, notamment à destination des populations rurales. Il a également « coaché » une dizaine de chefs d’entreprises du secteur TIC en Afrique subsaharienne (Bénin, Sénégal, Cameroun, RD Congo). Adresse blog : http://tic-developpement.com

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