De la libération audiovisuelle
lundi 7 août 2006
Les questions liées à la libéralisation de l’espace audiovisuel m’intéressent au plus haut point depuis le temps où, dans les années 80, j’étais le conseiller juridique de l’Union des radiodiffusions et télévisions nationales d’Afrique (Urtna), Président du groupe des juristes du Conseil international des radios et télévisions d’expression française (Cirtef) et membre associé de la Commission juridique de l’Union européenne de radiodiffusion (Uer).
Maintenant que mes collègues du continent m’ont porté à la présidence de l’Association privée des producteurs et télévisions d’Afrique (Appta), j’ai un regain d’intérêt pour ces questions liées à la libéralisation audiovisuelle en Afrique et dans le monde. Par conséquent, je m’intéresse bien évidemment à ce qui se passe dans ce domaine au Sénégal, d’autant plus que j’ai manifesté mon intérêt pour l’exploitation de chaînes privées dans mon pays, en écrivant au chef de l’Etat le 10 octobre 2005 pour le lui annoncer et m’enquérir des conditions et formalités à remplir conformément aux lois et règlements nationaux.
En attendant de savoir la suite qui sera réservée à ce courrier, je voudrais, m’inviter à une réaction par rapport aux annonces de libéralisation et d’autorisations récentes, m’inscrire dans une logique impersonnelle et réagir sur la base d’une analyse globale, de règles, principes et propositions, comme j’ai eu à le faire dans le cadre de la rencontre organisée par la Commission Economique Africaine et l’Institut Panos sur le thème « Renforcer les médias africains » (Dakar 27 et 28 Juillet 2006).
ANALYSE GLOBALE ET PROBLEMATIQUE
L’Afrique n’échappe pas aux tendances marquantes de l’environnement médiatique international caractérisé notamment par :
– le passage du monopole à la libéralisation organisée ou « de facto » ;
– le passage de l’unicité à la multiplicité des supports ainsi qu’à leur convergence ;
– le passage du national au transnational ;
Ces tendances marquantes se sont traduites concrètement par :
– l’émergence de nouveaux acteurs et supports, issus ou non de la profession confirmant par leur existence même cette lapalissade que « le monopole a volé en éclat » et que « plus aucune police des frontières ne saurait s’exercer » ;
– la dualité des situations institutionnelles avec, d’un point de vue schématique, le groupe de pays ayant organisé juridiquement l’espace médiatique libéralisé et celui qui subit les effets de la libéralisation imposée pour ensuite essayer de la canaliser et de légiférer.
En tout état de cause, l’impréparation à une situation nouvelle semble être, à quelques exceptions près, le dénominateur commun.
Les raisons qui président à un tel constat sont multiples, mais essentiellement liées à la place qu’occupent les médias, notamment audiovisuels, fortement centralisés, dans les relations de pouvoir en Afrique, notamment la pesanteur tutélaire sur les médias de service public, véritable enjeu et outil dans la conservation du pouvoir.
Si la presse écrite a connu des développements plus précoces et importants, la perception qu’il s’agit de moyens sélectifs, élitistes de dissémination de l’information, l’explique dans une large mesure dans un contexte où les taux d’analphabétisme restent encore élevés, où l’achat de journaux reste limité à un public circonscrit dans les centres urbains et cercles administratifs.
En dernière analyse, le degré d’ouverture démocratique d’un pays conditionne le niveau de libéralisation des médias qui n’échappent pas au contexte démocratique global d’un pays déterminé.
Tout cela a des incidences sur l’organisation des médias. C’est ainsi que force est de constater la multiplication des acteurs, organes et supports, la variété des situations et statuts juridiques et réglementaires qui ne sont pas forcément synonymes d’indépendance accrue, de viabilité, de professionnalisme.
Le droit à l’information plurielle, à la liberté d’expression sous ses diverses formes est garanti par les différentes Constitutions nationales, certaines déclarations et principes internationaux à caractère universel. Par conséquent, le régime de la presse est fixé par la loi qui instaure un régime de liberté.
Dans la pratique, cette liberté relative s’applique surtout au niveau de la presse écrite qui, dans beaucoup de pays, n’est plus soumise à une autorisation préalable.
Une éclaircie certaine a pu aussi être observée ces dernières années au niveau de la radio et encore plus récemment de la télévision avec des tentatives, plus ou moins heureuses, d’organisation de l’espace médiatique.
DE LA NECESSITE DE REGLES DE TRANSPARENCE ET DE BONNE GOUVERNANCE
Il paraît important dans cette optique de veiller à établir des règles principielles et impersonnelles au nom de la démocratie, de la transparence, de la bonne gouvernance, du droit et du devoir d’informer.
Aujourd’hui, la libéralisation répond ainsi à des impératifs de développement, à des défis et demandes multiples d’ordre social, démocratique, ethnique, déontologique et économique conformément à l’esprit et à la lettre de toute Constitution consacrant les libertés publiques et de la personne humaine, les droits économiques et sociaux et les droits collectifs.
Tous pouvoirs publics, soucieux de veiller à l’effectivité de ces droits et conscients des multiples enjeux, du dynamisme et des effets structurants de la communication doivent marquer ainsi leur volonté de créer un cadre nouveau et réaménageant le monopole traditionnel de l’Etat, qui serait propice à la co-existence et au développement harmonieux du secteur public et du secteur privé avec des règles claires et applicables à tous les opérateurs. Ces règles qui marquent le souci d’une rationalisation de chaque paysage audiovisuel national se fondent sur des principes institutionnels et des objectifs fondamentaux que sont :
– la liberté comme principe directeur avec l’extension de la libéralisation du monopole d’Etat à la télévision ;
– l’accomplissement de formalités d’autorisation ou de déclaration des activités visées par la loi ;
– l’institution au niveau de chaque pays d’une autorité indépendante de régulation à compétences élargies ;
– le principe de concurrence saine et loyale afin de prévenir les concentrations et abus de position dominante ;
– L’égalité de traitement des opérateurs et des usagers et la non-discrimination ;
– la transparence ;
– l’application de sanctions réprimant tout manquement aux dispositions légales et réglementaires ;
– la nécessité d’une prise en charge accrue des problèmes culturels et des cibles sensibles ; enfance, handicapés, personnes âgées ;
– la ferme volonté de stimuler l’émergence d’une production audiovisuelle nationale et panafricaine suffisante et de qualité pouvant contribuer à l’essor des industries culturelles ;
– la mise en place d’un cadre juridique efficace, transparent, garantissant la liberté de la communication et favorisant une concurrence loyale entre les divers opérateurs audiovisuels au bénéfice du public ;
– l’émergence et le développement d’informations ; de programmes et services contribuant à l’éducation, à l’épanouissement culturel, scientifique, moral, social et économique du public ;
– la fourniture d’un service et d’une offre audiovisuelle de qualité à tout le public sur l’ensemble du territoire national, dans les langues principales ;
– l’offre de moyens performants de communication audiovisuelle africain et mondial ;
– la création d’emplois et de nouveaux métiers directement ou indirectement liés au secteur. De manière à limiter la concentration des pouvoirs économiques sur une même catégorie de services ou sur l’ensemble du système audiovisuel, les règles suivantes sont applicables :
– nul opérateur, personne physique ou morale, ne peut avoir qu’une autorisation / licence par type d’exploitation. Il ne peut, par conséquent, exploiter cumulativement plus d’une chaîne de radio et d’une chaîne de télévision à couverture nationale ;
– il est interdit à une même personne physique ou morale de prendre des participations financières de plus de 50% dans plus de deux sociétés ou entreprises titulaires d’autorisations différentes ;
– les étrangers ne peuvent détenir plus de 50% des actions d’une société ou entreprise titulaire d’une autorisation licence.
Matar SILLA
Dg de Spectrum TV
(Source : Le Quotidien, 7 août 2006)