Après les adresses internet se terminant par « .com », « .org », « .net », place aux « .Bmw », « .Apple », « .Losangeles »... Et au « .Africa ». Réuni à Singapour le 20 juin dernier, le conseil d’administration de l’Icann, l’organisme californien non profit chargé de la régulation d’Internet, a approuvé la réforme de la libéralisation des noms de domaine. Cette « révolution historique » qui présage un « nouvel âge de l’Internet », dixit les dirigeants de l’Icann, va notamment permettre aux organismes publics et privés d’avoir leurs propres extensions personnalisées.
Un changement qui a un coût. Près de 500 000 dollars par nom de domaine. Les candidats devront déposer entre janvier et avril 2012 un dossier administratif complexe et parfaitement ficelé pour démontrer la capacité financière à « faire vivre » son extension une demi-décennie à 25 000 dollars les frais de gestion annuels. Soumis à l’appréciation de l’Icann, les dossiers retenus se verront attribués leurs nouvelles extensions fin 2012. Une myriade de multinationales y songent pour leurs marques mais aussi des municipalités, des organisations internationales...Parmi les dossiers en préparation : le « .Africa ». Après tout, l’Union Européenne a obtenu son nom de domaine de premier niveau « .eu » en 2005 et l’Asie a aussi son extension « .Asia » depuis 2007.
« Une identité numérique africaine »
C’est un organisme privé, l’ARC qui porte le projet et s’apprête à postuler pour l’achat de l’extension « .Africa » avec l’espoir de porter sur internet un panafricanisme numérique pour les entreprises et les organisations publiques.
L’ARC est en fait un consortium, créé en 2010 par des entrepreneurs sud-africains, qui compte à son capital des actionnaires de tout le continent et des représentants au Sénégal, au Kenya et au Bénin. Le projet de l’ARC a d’ores et déjà reçu l’aval indirect de la majorité des 55 pays africains à travers la commission de l’Union Africaine qui appuie ce dossier. Et le consortium privé ambitionne de fédérer toutes les institutions de la gouvernance internet africaine telles qu’Afrinic, Afnog, Aftld... Objectif : structurer et promouvoir un internet africain soudé et renforcé pour que les grands acteurs du net puissent rapidement parler d’une seule voix sur les sujets de gouvernance.
« L’ARC ne va pas gérer cette extension seul. Tous les acteurs de l’Internet africain sont les bienvenus. Car c’est d’abord un projet africain au service du continent », avance Koffi Fabrice Djossou, porte-parole de l’ARC qui tient à préciser : « pour l’ARC ce n’est pas du business car nous reverserons les bénéfices aux organisations panafricaines qui œuvrent à développer l’Internet en Afrique et l’Afrique grâce à Internet mais aussi à des associations de lutte contre la pauvreté... ». Cet ingénieur béninois de 36 ans suit le dossier de très près et pratique un lobbying actif afin de promouvoir la vision de l’ARC pour le « .Africa ». Il était à Singapour en juin dernier au sommet de l’Icann avant de se rendre le 17 août à Kigali au Rwanda pour le Forum de la gouvernance Internet d’Afrique de l’est. Et il sera au 42ème sommet de l’Icann en octobre prochain à Dakar. « Nous voulons mettre en place un agenda pour ce projet qui est une opportunité idéale pour l’Afrique », s’enthousiasme M.Djossou qui parle de « révolution africaine » et de fondation d’une « véritable identité numérique africaine ».
Bien que très soutenu par les acteurs du net du continent, certains experts africains regrettent que ce projet soit entre les mains du secteur privé. « Il aurait été préférable que l’extension soit gérée par un consortium d’organisations panafricaines publiques du type universités, centre de recherches...A moyen terme, il serait souhaitable que ce nouveau nom de domaine soit géré par un organisme à but non lucratif », tranche l’un d’entre eux. Mais il est indéniable que l’innovation technologique et la consolidation d’un écosystème web en Afrique est très largement dynamisée par le secteur privé avec les géants américains en première ligne.
« Afficher son africanité sur le web »
Mais que va apporter au continent cette extension de domaine ? Pour le sénégalais Mouhamet Diop, ancien membre du conseil d’administration de l’Icann, « la libéralisation des noms de domaine était attendue depuis huit ans. En Afrique, cela va ouvrir le champ des possibilités pour les entrepreneurs mais aussi pour les organisations publiques. Et contribuer à l’expression sur un internet polyglotte de l’Afrique dans toute sa diversité. » Cette libéralisation des noms de domaine par l’Icann va donner naissance à des adresses Internet en langues locales et des extensions en amharique ou en wolof par exemple vont faire leur apparition sur le web.
« Ce nom de domaine permettra aux institutions publiques comme l’Union Africaine mais aussi aux associations et entreprises qui le souhaitent d’affirmer leur dimension africaine », analyse le spécialiste Olivier Sagna de l’OSIRIS. Et il ajoute : « les multinationales africaines pourront utiliser ce nom de domaine plutôt qu’un « .com » non parlant du point de vue la localisation géographique et leur évitera de réserver un nom de domaine dans chaque pays où elles sont présentes. Le « .Africa » devrait également représenter un atout pour les villes et les régions présentes sur le web tout en affichant leur africanité pour ne pas dire leur africanitude ! »
Pour Koffi Fabrice Djossou de l’ARC, « c’est une nécessité » pour l’Afrique qui a tout intérêt à « développer une stratégie globale pour faire face au reste du monde tout en conservant ses particularités locales ».
Au regard du tarif du ticket d’entrée à 500 000 dollars pour se voir attribué la gestion du nom de domaine par l’Icann, les adresses web en « .Africa » seront d’abord financièrement réservées aux grandes entreprises et aux organisations gouvernementales. « Mais après le rush qui ne manquera pas de se produire de la part de ces acteurs, la demande devrait faiblir et du coup les prix vont baisser et deviendront accessibles pour les PME, les ONG voire les individus », prédit Olivier Sagna de l’Osiris qui voit plus loin encore. A l’heure du « cloud computing », cet « informatique dans les nuages », l’Afrique saura affirmer « son identité numérique » sur des serveurs basés en Afrique avec une extension « .Africa ».
Joan Tilouine
(Source : Africa Tech, 24 août 2011)