Green IT : des contraintes qui poussent l’Afrique vers les solutions d’avenir
jeudi 22 octobre 2009
Aucun expert ou analyste n’avait anticipé le développement exponentiel des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique. Avec une population jeune, qui va doubler à l’horizon 2050, les majors des télécoms peuvent encore s’attendre à des croissances à deux chiffres, quel que soit le contexte économique.
Loin d’avoir atteint son apogée, le business des TIC présente encore des opportunités considérables en Afrique. Paradoxalement, c’est dans les contraintes (manque d’infrastructures, problèmes énergétiques, élimination des déchets, etc.) du continent qu’on trouve les niches.
Eco-conception des produits
Pour maîtriser les coûts et réduire l’impact environnemental, la démarche d’éco-conception va consister à réduire la quantité de matière utilisée dans le process de fabrication d’un produit et la limitation du recours aux produits polluants. Ainsi, la réduction de la taille des unités centrales est une aubaine économique et écologique pour les fabricants. De la même manière, le passage des écrans cathodiques aux écrans plats permet des gains similaires.
E-formation, télémédecine, virtualisation, télétravail, e-banking, e-commerce, green data centers, dématérialisation, prévision des catastrophes climatiques, calls centers... les opportunités de business dans le domaine des IT en Afrique sont nombreuses.
Dans une démarche globale, les recharges téléphoniques peuvent être complètement dématérialisées. A court terme, la réduction de la taille des cartes de recharge des téléphones est envisageable. L’opérateur français SFR vient de lancer une carte à puce incorporée dans un support en plastique deux fois plus petit que ce qui était couramment utilisé. On peut également repenser la conception globale du produit. C’est le cas de l’une des machines de DELL, dont la coque extérieure est en bambou. Cet ordinateur prototype, conçu à partir de matériaux recyclés, mise également sur une consommation d’énergie de 70% inférieure à celle des ordinateurs classiques.
L’Afrique, championne du low cost
En intégrant les spécificités du marché africain (réduction de la facture numérique et faiblesse du budget des consommateurs), les sociétés d’IT peuvent non seulement réduire les coûts de production, mais aussi prospérer sur des niches et protéger l’environnement. L’entreprise Aleutia propose du matériel très léger, compact et modulable selon les besoins. En réduisant la taille des produits et en limitant les processeurs au strict minimum, le fabricant propose en Afrique des ordinateurs à bas prix, consommant peu d’électricité et pouvant être alimentés à l’énergie solaire. Pour les établissements scolaires et certaines administrations qui ont uniquement besoin des machines pour le traitement de texte et surfer sur Internet, il n’est pas nécessaire de proposer des ordinateurs avec les logiciels de photo, vidéo, etc. Il est toujours possible, en fonction du budget et des besoins, d’avoir toutes les options, avec une mention spéciale pour les logiciels libres qui permettent de réduire les coûts.
Téléphones solaires
Il n’y a pas que les ordinateurs qui cèdent à la mode green. Samsung Blue Earth est un téléphone mobile, fabriqué à partir de plastique recyclé, qui fonctionne à l’énergie solaire. Son principal concurrent n’a pas tardé à lancer des téléphones de même nature sous la marque LG Solar Mobile. En cours de lancement sur le marché européen, le téléphone solaire est déjà opérationnel en Afrique. Simu ya Solar, qui signifie téléphone solaire au Kenya, a été mis sur le marché cet été dans le pays. En partenariat avec la firme chinoise ZTE, l’opérateur de téléphonie Safaricom commercialise ce téléphone à 2999 shillings (environ 30 euros). Fabriqué à partir de matériaux recyclés, le combiné possède un panneau solaire qui permet l’alimentation en énergie. Un adaptateur au réseau électrique est néanmoins fourni. Cette innovation, qui est une première mondiale, est une preuve supplémentaire de l’existence de plusieurs niches de green business en Afrique.
Consommation d’énergie et alimentation en énergie solaire ou éolienne
Le Professeur Gerhard Fettweis, de l’Université Technologique de Dresde en Allemagne, estime que, d’ici 25 ans, Internet représentera près de 50% de la consommation énergétique mondiale. Comme pour tous les produits électriques, l’analyse du cycle de vie des produits informatiques ou de télécommunication démontrent qu’ils consomment le plus d’énergie pendant leur phase d’utilisation. Il existe sur le marché des ordinateurs qui ont une puissance d’à peine 8 W. Ces machines contribuent ainsi aux économies d’énergies, contrairement aux ordinateurs classiques.
Opérateurs télécoms en éclaireurs
Pour alimenter les antennes de téléphonies mobiles, les opérateurs, à l’instar d’Ericsson au Kenya, ont de plus en plus recours à l’énergie solaire. D’après le cabinet In-Stat, la croissance annuelle des antennes autonomes de téléphonie mobile est de 30% en Asie, Amérique latine et Asie. D’ici 2015, Orange ambitionne d’utiliser 25% d’énergie solaire pour l’alimentation électrique de ses réseaux. Vu le potentiel solaire de l’Afrique et l’accessibilité de cette technologie, les opérateurs télécoms pourraient développer une politique d’énergie renouvelable un peu plus ambitieuse. Les Etats africains devraient notamment les y contraindre, pour soulager leur facture énergétique, limiter les délestages et contribuer au développement des zones rurales. Cette contrainte serait d’ailleurs une opportunité pour les entreprises. Dans le quotidien La Tribune du 17/09/09, Alcatel-Lucent, qui a développé une station fonctionnant au vent et au soleil, estime que le surcoût d’investissement dans un équipement autonome par rapport à un générateur diesel peut être amorti en deux ans, compte tenu des économies réalisées. De plus, le surplus d’énergie, issu par exemple du surdimensionnement des panneaux solaires ou d’éoliennes, pourrait être utilisé pour électrifier les zones rurales isolées et enclavées. L’apport d’énergie est indispensable au fonctionnement normal des dispensaires et écoles des villages. Dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, Etats, collectivités territoriales et opérateurs télécoms peuvent tirer profit de la synergie TIC - énergie renouvelable - électrification et développement rural.
DEEE : de la contrainte environnementale au gisement de business
Chaque année, 20 à 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont générés dans le monde. Face à une législation européenne de plus en plus stricte en matière d’éco-conception et d’élimination des déchets, grâce notamment au principe du pollueur-payeur, la plupart des entreprises envoient leur DEEE dans les pays en voie de développement, malgré la réglementation internationale. Certaines administrations, collectivités et ONG occidentales, sous couvert d’aide humanitaire, expédient également leurs déchets informatiques vers l’Afrique.
16% des réserves mondiales d’or se trouvent dans nos décharges...
En 2008, l’association écologiste Greenpeace a mené une enquête au Ghana, où ces déchets sont traités sans protection, parfois par des enfants, avant d’être brûlés à l’air libre. En plus de la question sanitaire, les sols et les nappes souterraines sont ainsi pollués par les métaux lourds et autres produits toxiques.
La valorisation des déchets électroniques
Perçus comme une contrainte, les déchets d’équipements électriques et électroniques peuvent être une réelle opportunité de business pour les pays et les entrepreneurs. En effet, la faiblesse du coût de la main-d’œuvre et la proximité géographique avec l’Europe sont les principales forces de l’Afrique. En travaillant sur ces faiblesses (protection des salariés, limitation de la pollution, renforcement des contrôles et de la législation environnementale, structuration des filières d’élimination des déchets, etc.), les DEEE offrent une réelle opportunité économique au continent. C’est le cas pour l’entreprise les Ateliers du Bocage, qui valorise et recycle les déchets de TIC au Burkina Faso. Les ordinateurs en état de marche et certaines pièces détachées sont revendus à bas prix sur le marché local et le reste des composants aux industries. Si en Afrique les DEEE n’ont aucun intérêt pour les pouvoirs publics, après les Chinois, les Japonais ont compris l’intérêt économique et stratégique de la valorisation des déchets électroniques. D’après le directeur général de l’usine de recyclage Dowa Holdings, un Japonais jette en moyenne 19 kg de déchets électroniques par an. La valorisation des 5,3 kg de métaux contenu dans ces déchets permettrait de récupérer chaque année, entre autres, près de 41 tonnes d’or. En 2008, une étude du professeur Komei Harada, de l’Institut de la science des matériaux, citée par le quotidien Le Monde du 17/07/09, démontre que le Japon possède dans ses déchets trois fois plus d’or, d’argent et d’indium (pour les écrans à cristaux liquides) que le reste de la planète. Les chiffres évoqués, pour la richesse des décharges du pays, sont impressionnants : 6800 tonnes d’or (16% des réserves mondiales), 60 000 tonnes d’argent et 1700 tonnes d’indium.
Boucler la boucle...
De l’e-formation à la télémédecine en passant par la virtualisation, le télétravail, l’e-banking, l’e-commerce, les green data centers, la dématérialisation, la prévision des catastrophes climatiques et les calls centers, les opportunités de business dans le domaine des IT en Afrique sont nombreuses. Le déploiement progressif de la fibre optique et le développement de l’Internet haut débit permettront l’explosion de ce marché dans les années à venir. Avec une stratégie ambitieuse de valorisation des DEEE, l’Afrique pourrait récupérer une partie des métaux rares qui sont exportés chaque année et ainsi boucler la boucle du business des green IT.
Thierry Téné, directeur A2D Conseil
(Source : Les Afriques, 22 octobre 2009)