Régulation et « marché de la presse »
samedi 19 avril 2008
Dans de nombreux pays en voie de développement, où les infrastructures sont entrain d’être mises en place, le besoin de capitaux se veut nécessaire et les investissements sont orientés vers ce secteur clé de l’économie. A la tentative de maitrise de l’information s’ajoute, aujourd’hui le concept de mondialisation avec toute sa pesanteur économique.
Ce monde du 21è siècle est essentiellement un monde de télécommunication et de nouvelles technologiques de l’information.
Le Sénégal n’échappe pas la règle avec un Etat qui annonce timidement sa volonté de lever le pied sur le secteur de l’audiovisuel. D’une télévision unique, on remarque l’arrivée sur le petit écran de programmes à « producteurs » divers. Cela, dans un contexte où il n’y a pas de véritable politique de l’audiovisuelle clairement déclinée. Néanmoins ces nouvelles « réformes » sont traduites par des responsabilités accrues conférées à certains organes qui se transforment en entreprises de presse avec de supra groupes qui emploient des dizaines de citoyens. De simples organes de presse on parle désormais d’entreprises de presse soumises aux mêmes principes d’une économie de marché : compétitivité, rentabilité, concurrence et recherche du profit. Les retombées financières sont en perpétuelle progression avec l’important rôle joué par la télévision. L’industrie, le commerce, le sport, la culture ont besoin de visibilité. Et la magie du petit écran offre une bonne opportunité grâce à la publicité qui génère d’importantes masses financières.
C’est pourquoi, les entreprises de presse se disputent le marché encore « sauvage » de la publicité où privés (bénéficiaires de l’aide à la presse) et publiques (subventionnés) se livrent une guerre sans merci parfois en faisant fi du respect des droits des consommateurs.
Ainsi, l’appétit monte, la pression sociale avec (car source de création d’emplois avec la diversité des métiers de la télévision) et les demandes d’autorisation de diffuser s’empilent dans les tiroirs des pouvoirs publics. Les conditions de la concurrence se créent sans encadrement juridique adapté.
Pourtant, cet état de fait n’est pas sans conséquences. Des employés sont contraints à chercher ailleurs parce que l’employeur ne parvient plus à survivre dans cette jungle. Où simplement, pour maitriser ses dépenses en sa faveur, l’employeur s’attache les services d’une main d’œuvre bon marché en proposant un traitement pas des meilleurs et ne garantissant pas une production journalistique de qualité. A mon humble avis, à côté des questions de déontologie et d’éthique qui relèveraient de l’organe de régulation, il faut également passer au crible les relations employés-employeurs puisse qu’il s’agit d’une entreprise. On me dira certainement que le syndicat est le cadre indiqué pour prendre en charge cette préoccupation. Mais tous les employés ne s’identifient pas aux syndicats et même s’ils l’étaient tous, il n’y a que la dénonciation comme moyen de lutte. C’est pourquoi je me pose la question de savoir si l’on peut réguler la presse sans prendre en compte l’aspect concurrence donc économique ?
Il est évident que le pouvoir de juger revient de droit à l’État. Le Pr Abdoulaye Sakho (FSPJ/UCAD) précise les contours de ce pouvoir en montrant clairement que « dans la quasi-totalité des pays du globe, la justice, c’est-à-dire la fonction de règlement des litiges de tous ordres, est confiée à l’État. Ce dernier fait exécuter cette fonction par une organisation judiciaire, comprenant les Cours et Tribunaux ; organisation dans laquelle les juges, appelés Magistrats, sont des fonctionnaires qui ont reçu une délégation officielle et permanente à cet effet. C’est la justice étatique.
Cependant dans le soucis d’assoir une politique cohérente, les pouvoirs publics, à côté de cette justice étatique, mettent en place un mécanisme de justice privée qui prennent en charge certains litiges à la place de la justice de l’État pour les soumettre à des arbitres investis, pour la circonstance, de la mission de juger. C’est l’arbitrage qui est la forme la plus connue de justice privée.
Dans cet ordre d’idée on peut inscrire la future autorité de régulation de la presse. Quel que soit le modèle (autorégulation ou corégulation), la question de la concurrence ne peut être occulté par la future autorité de régulation de la presse de peur d’être rattraper par l’histoire.
De toute façon, on pourrait faire agir simultanément une autorité de régulation sectorielle et une autorité de concurrence tout en définissant clairement les missions de chacune. Mieux, il semble pertinent de doter l’organe de régulation de la presse d’un pouvoir de décision et de sanction pour règlementer la concurrence de plus en plus accentuée et de plus en plus sauvage dans le secteur.
Mais avant, il faut reconnaître que l’autorité de concurrence agit comme une autorité de surveillance ex-post : elle vérifie si des entreprises se rendent coupables de pratiques anti concurrentielles. Comme exemple, citons les probables litiges liés aux droits de retransmission, aux droits à l’exclusivité sur des spectacles.
Aujourd’hui, un précédant est né dans le paysage médiatique sénégalais. Citons le contentieux Walf Tv - RTS1 pendant la Can 2008, le conflit RTS1- 2STV sur la finale de la coupe du Sénégal de football 2007, ou le différend Walf TV- RDV pour la diffusion d’un téléfilm. Il est difficile de statuer sur ces questions sans avoir une connaissance des droits TV et des mécanismes de financement des organes de presse (TV).
La structure en charge de la bonne marche de l’équilibre du secteur, peut se déclarer incompétent pour vider ce type contentieux, comme il a déjà été le cas. Or la surveillance du marché doit rester un domaine sous contrôle de l’organe de régulation. Ce qui figure d’ailleurs en bonne place dans l’article 7 de la loi portant attribution du CNRA : « veiller à la libre et saine concurrence entre les entreprises de communication audiovisuelle ».
Qu’à cela ne tienne, l’autorité de régulation et celle de concurrence ont le même but, à savoir la recherche de la performance dans le secteur. Au Sénégal, le champ d’application de l’autorité de régulation sectorielle de l’audiovisuel prend en compte l’ex-ante, en adoptant des mesures destinées à faire respecter la règlementation du secteur. Ceci nous amène à décliner les sept fonctions majeures qu’exerce un organe de régulation :
– la fonction de régulation
– la fonction de contrôle
– la fonction de protection
– la fonction de règlement des conflits
– la fonction de source de propositions et de modifications de la législation
– la fonction cognitive
– la fonction éducation
C’est donc clairement apparu, ces fonctions dictent au régulateur l’objectif de veiller à l’équilibre du marché. Et celui de l’État de mettre en avant l’intérêt public. Dans un environnement de concurrence où les conflits sont latents la prévention joue un grand rôle. Acteurs, politiques et régulateurs sont interpelés. Après les débats sur les « dérives » de la presse dans le traitement de l’information, la véritable problématique du marché de la presse se posera et de manière plus féroce car le secteur de la presse draine des milliards dans la plus grande discrétion.
En conclusion méditons la conception de Marie-Jeanne Campana qui résume la régulation comme étant l’appareillage « juridique » qui crée et maintien des équilibres dans des secteurs spécifiques qui ne peuvent pas les créer ou les maintenir par leurs propres forces. Cet équilibre s’établissant entre des principes de concurrence et des principes anti concurrentiels.
Viyé Dabo, journaliste
Auditeur du Master Droit de la Régulation (1ère Promotion 2007-2008), Faculté des sciences juridiques et politiques (UCAD)
vdabo@yahoo.fr
(Source : Sud Quotidien, 19 avril 2008)