L’avènement de l’Internet, et le développement des réseaux sociaux, a favorisé au Senegal la prolifération d’une espèce de virus d’une rare virulence : les anonymes du web. C’est une espèce de microbes dont la nature et les conditions d’éclosion méritent une attention toute particulière en raison de leur nuisance sur les esprits non vaccinés.
Essayons d’abord de caractériser l’anonyme du web type. Tout d’abord, c’est un lâche : il masque son identité en se créant un « pseudo » qui lui permet des outrances dont il n’aurait eu jamais le courage d’assumer la paternité à visage découvert. Fort de cette impunité, garantie à peu de frais, notre virus colporte, sans retenue, les rumeurs et les médisances et s’autorise à émettre un avis( souvent pas éclairé) sur tout, tous et toutes. Il n’est donc pas intelligent, l’anonyme du web. Son exercice favori est la réplique. Souvent hors sujet, son but n’est pas de contribuer au débat mais de le polluer. Ignorant qui s’ignore, et ce n’est que justice, l’insulte est son seul argument. Étant l’acteur d’une tragédie dont il est, à la fois le seul acteur et le seul spectateur, l’anonyme du web est le seul à se...reconnaître. Il n’existe donc que par et pour lui-même. Il est, ainsi, l’unique au monde à se satisfaire de la jouissance morbide de ses...ébats.
Il est, et reste, seul face à son clavier, se défoulant sur des personnes qui ignorent jusqu’à son existence. Tragique condition qui fait de lui, quant au fond, la victime ultime de ses outrances.
Le paroxysme de cette déraison est atteint lorsque l’anonyme du web se dote de plusieurs « pseudos »... Il n’est plus seul ! Il est plusieurs. Cette démultiplication de la personnalité, ajoutée au chaos de ce que l’on ne peut appeler que sa « pensée », conforte un univers mental où il se joue plusieurs rôles à la fois. Parfois il est le héros et l’anti-héros en même temps ! Lorsqu’au bout d’une longue journée de sévices sur le web il croule de sommeil, il est hanté par la vacuité de son existence face à la réussite de ceux qu’il s’épuise à vouloir nuire à partir de son cyber crasseux ou via son smartphone inintelligent...
Comble du ridicule, l’anonyme du web est parfois un piteux employé de commanditaires qui ne peuvent, ni ne veulent, se salir les mains à ces sales besognes. Ils lui financent l’achat de crédit téléphonique pour les « wakh sa khalatt »et des pass internet pour les forums avec, comme seule mission, de dire le plus de mal possible sur leurs ennemis supposés. L’anonyme du web est donc aussi un pauvre type : Il se peut en effet qu’il soit de l’un de ceux qui vous sourient ou broutent dans vos pâturages. Il tend l’oreille dans vos cercles intimes et se démasque devant son clavier pour être le vrai lui-même : bête et méchant !
Bref, une prophylaxie rigoureuse s’impose pour ériger un code de conduite sur les différents foras du web, espaces pollués par des esprits indigents qui leur donnent l’allure d’asiles mentaux à ciel ouvert. Il est impératif, pour les doués d’intelligence, d’aller à la reconquête de ces aires du Savoir et d’échanges de civilités.
Haro donc sur les anonymes, lâches et malfaisants, qui encombrent les réseaux sociaux bien dignes d’un meilleur usage !
Heureusement que les anonymes du web n’existent, au fond, que dans leur propre imagination : Qui reconnaîtrait un anonyme, misérable virus des temps modernes ? Pas moi !
Amadou Tidiane Wone
(Source : Le Soleil, 7 novembre 2016)