Les technologies de l’information et de la communication ont bouleversé l’ensemble des pratiques sociales à telle enseigne qu’il n’est plus pensable d’imaginer un monde sans internet. Ainsi, les réseaux sociaux sont devenus incontournables face aux exigences du troisième millinéaire.
Aujourd’hui, un individu qui n’a pas de culture numérique est exclu ou s’auto exclut de la société. Faccebook, whats App, imo etc. sont désormais devenus une partie intégrante de l’environnement culturel des adolescents. La connexion à outrance sur les réseaux sociaux est un problème qui agite à la fois les parents et les éducateurs. Ces derniers sont de plus en plus préoccupés par l’avenir des adolescents qui plongent dans un « univers plus virtuel que réel » . Cette situation installe, chez eux, une dépendance accrue aux écrans ayant des répercussions graves au plan comportemental, affectif, émotionnel et psychologique.
Comment s’opère la dépendance aux réseaux sociaux ?
Parler du surinvestissement des réseaux revient à l’intégrer dans un cadre beaucoup plus vaste qui est celui des addictions. Toutefois, nous employons ici ce terme avec beaucoup de précaution parce qu’il est souvent étudié dans le cadre des approches cliniques et thérapeutiques en rapport avec l’utilisation de substances psychoactives comme l’alcool, le tabac et les drogues. Sous ce rapport, on peut en s’inspirant des travaux de Laqueille et Liot considéré « l’addiction comme une impossibilité répétée de contrôler un comportement qui est poursuivi en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives ». C’est donc un comportement qui vise à produire du plaisir ou écarter une sensation de malaise interne.
Il y a addiction quand l’homme qui devant l’anticipation d’une tâche pénible préfère visionner des vidéos porno et se masturber en ne réussissant pas à s’arrêter. Il y a addiction quand la femme en rentrant chez elle la tête remplie de toutes les contrariétés de la journée s’enferme dans la cuisine et se soulage en mangeant le maximum d’aliments plaisants et en n’écoutant pas sa petite voix qui lui dit de ne pas craquer… Toutes les addictions commencent et se maintiennent par le refus des états affectifs désagréables. Elles proviennent d’une défaillance de la régulation émotionnelle. Les addicts sont des hommes et des femmes qui n’acceptent pas, qui luttent ou qui fuient leurs émotions négatives en adoptant un comportement qui leur procure du plaisir anesthésiant leur douleur.
S’incrivant dans la même dynamique, l’usage excessif d’internet semble être une forme d’addiction due à l’usage sans limites des réseaux sociaux. Ce qui fait qu’il existe beaucoup de termes pour désigner cette problématique : la forte dépendance à internet, l’utilisation problématique d’internet, le trouble de l’addiction à internet etc. Ici, l’idée est de montrer une forme d’utilisation prolongée plus longtemps que prévue avec l’idée d’un besoin de rester encore en ligne alors que d’autres activités sont prévues. Avec les réseaux sociaux, Internet est moins utilisé comme un outil de ressources et de communication professionnelle qu’un espace où « les interdits sociaux » s’expriment, se dévoilent.
Facteurs associés à la dépendance aux réseaux sociaux
Il est important de noter que l’addiction aux réseaux sociaux ne s’installe pas de manière spontanée. Elle est le résultat d’un processus en rapport avec la personnalité des sujets. L’un des éléments les plus importants qui explique cette dépendance est l’accessibilité et la démocratisation de l’internet. Il suffit juste d’avoir un téléphone Android à côté d’un wifi ou d’acheter « un pass internet » pour surfer à volonté. Si la personne n’exerce pas une violence sur elle-même, elle peut être amenée à se plier au dictat de la connexion.
Toujours, est-il que la phobie sociale, la timidité, la solitude ou l’isolement poussent certains individus à s’surinvestir l’espace virtuel. C’est une manière pour eux de trouver un refuge et d’échapper à une crainte de la vie en société avec ses interdits. Par exemple, la communication à travers les réseaux sociaux évite d’avoir à assumer le regard de l’autre concernant par exemple ses anomalies et ses déformations physiques. C’est une manière de garder soigneusement certains aspects de soi et de dévoiler ce que la personne aimerait être. Du coup, se construit un espace de relations virtuelles en réponse à une inadaptation dans les relations sociales.
D’autres, par contre trouvent dans les réseaux sociaux un exutoire à des pulsions qui, dans le monde réel, sont perçues comme dangereuses à la limite même criminelles. Les sites de rencontre, la pornographie, le cybersexe, les espaces de massage en ligne en sont révélateurs. Les réseaux sociaux offrent un cadre où certains usagers se lâchent, se déchaînent, s’exhibent. Les besoins sociaux non satisfaits dans la vie réelle sont pris en charge. C’est pourquoi nous assistons souvent à des cas de scandales sexuels qui vont jusqu’à secouer la vie de couple.
Les plateformes sociales sont également pour les internautes ayant un trait de personnalité narcissique une vitrine d’exposition dont le sujet principal n’est autre que « eux-même, » chaque « like » étanche leur soif de reconnaissance. C’est que (Nadeau et al., 2011) appellent « le sentiment de valorisation », « l’idéal de soi ». Une observation attentive sur les réseaux sociaux montre que les adolescents se renferment sur eux-mêmes, se comparent avec leurs pairs qui mettent en scène leur quotidien sur Facebook, whats App ou Instagram. Combien d’entre eux arriveraient-ils à se séparer de leurs smartphones ? certains chercheurs parlant de « nomophobia » – pour « no mobile phobia “. Un problème qui n’épargne pas les adultes, mais qui touche encore plus les jeunes ayant grandi avec un téléphone dans les mains.
Tous ces facteurs, s’ils s’installent à la longue une dépendance malgré un désir persistant et des efforts répétés pour contrôler, réduire ou arrêter l’utilisation des réseaux sociaux qui échappe à la personne. (Par exemple : ne pas arriver à diminuer son temps d’utilisation d’Internet, avoir des difficultés si on se sépare de son smartphone, ne pas réussir à mettre fin à une application particulière d’Internet, être incapable de désactiver les données mobile)
Les conséquences de l’addiction aux réseaux sociaux
L’utilisation excessive des réseaux sociaux a des répercussions à plusieurs niveaux. D’abord au niveau scolaire avec la catégorie des adolescents qui semble être la cible la plus active dans les plateformes interactives. Ils ont de réelles difficultés pour réaliser les devoirs, pour se préparer aux examens à cause du manque de sommeil impactant sur l’attention pendant le cours et qui se traduit par de mauvais résultats. Par exemple un adolescent qui reste connecté avec ses amis la veille des examens ne peut pas être productif au plan cognitif le jour j.
Au niveau relationnel, une utilisation à outrance des réseaux sociaux peut occasionner un dysfonctionnement dans la vie de couple avec des conflits autour des mensonges sur sa réelle utilisation, une méfiance entre conjoint et un désengagement dans le couple au profit de relations virtuelles. Il s’y ajoute la mise en écart ou la perte d’une relation affective des activités professionnelles, sociales, occupationnelles ou de loisirs. La personne commence à délaisser ses responsabilités, arrive souvent en retard perd ou abandonne des relations sociales.
Au niveau émotionnel, on note chez certaines personnes une agitation ou une irritabilité quand elles doivent passer du temps sans internet ou lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la connexion. Ce sont des personnes sérieusement perturbées par l’absence de la connexion ce qui fait qu’elles n’hésitent pas à payer les frais de connexion allant des « pass internet » de 100f à des forfaits mensuels proposés par les opérateurs. Cette attitude engendre corrélativement au plan physique une forme de sédentarité liée au manque d’exercices physiques (maux de dos, maux de tête, fatigue oculaire, vulnérabilité du système immunitaire.
Prise en charge de l’addiction aux réseaux sociaux
Quand la peur de manquer une nouvelle, un message, un appel, un mail, une occasion de réagir, une occasion d’exister en ligne l’emporte finalement sur toutes les autres tâches quotidiennes, c’est parce qu’on a une addiction comportementale. Cette compulsion, cette perte de contrôle, cette omniprésence dans la vie numérique qui est un monde qui ne s’arrête jamais va entraîner chez la personne comme changement ce qu’elle n’a pas désiré.
Dès lors, la Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC) des addictions commence par la compréhension de ces mécanismes. Évidemment, comme toujours, il est nécessaire de faire un travail sur le comportement et les environnements conditionnants, sur les pensées « facilitatrices » des passages à l’actes mais le plus important est de pouvoir apprendre à faire face à nos émotions négatives, à les accepter et à ne pas les combattre ou à ne pas les fuir à travers nos addictions. Accepter notre angoisse de la mort, la colère contre les injustices, le stress du manque de temps, la tristesse de la rupture, l’ennui de nos vies, accepter … De cette manière, j’intègre le sentiment. Il devient moins douloureux, moins intense et il se dissipe.
De la même manière, il s’agit d’accepter nos pulsions sans passer à l’acte. Au début, cette exposition avec inhibition de la réponse est stressante et très désagréable. Mais rapidement, on expérimente un plateau de l’intensité de la pulsion. Le ressenti se stabilise. Toujours en acceptant notre envie sans la juger, sans tenter de la supprimer, sans la fuir, à un moment, on ressent une diminution progressive de l’intensité de la pulsion puis sans savoir vraiment à quel moment on prend conscience que ce qui nous taraudait a disparu. A cet instant, nous avons appris à nous contrôler.
Abdoulaye Wade
Psychologue conseiller au (CAOSP) Centre Académique de l’Orientation Scolaire et Professionnelle de Kaolack
(Source : AZ Actu, 8 août 2018)