Dakar, Kigali, Sharm el Sheikh, Abidjan, Casablanca, Paris... Le patron de Wari, Kabirou Mbodje, multiplie les conférences internationales et panafricaines pour présenter son groupe, mais surtout porter un plaidoyer délibérément optimiste sur la capacité de l’Afrique à développer ses propres modèles économiques.
« C’est sans doute ce qui me motive le plus : au-delà du succès de Wari, je veux démontrer que l’Afrique peut se développer par ses propres forces et ses propres talents », explique le fondateur de Wari.
Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en télécoms obtenu en France et d’un MBA aux États-Unis, cet ancien scout qui est resté attaché à l’idée de rendre service est revenu au Sénégal dans les années 1990 pour se lancer dans l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies. En 2003, il créé NetPay (qui deviendra plus tard CallMoney), une solution de paiement via un abonnement téléphonique. Constatant le manque de services au Sénégal, cinq ans plus tard, en 2008, il lance Wari, une plateforme digitale conçue pour être « au cœur de l’ubérisation des économies africaines ».
Paiements de toutes sortes, recharge de crédits téléphoniques, versements de pensions, bourses ou salaires... Les services de Wari répondent à des besoins du quotidien pour le plus grand nombre et à moindre coût. Le succès est fulgurant.
Wari opère 1 million de transactions par jour soit plus de 6 milliards de dollars de flux annuels, en croissance de 15 % en moyenne par an. Avec 500 000 points de service et 152 banques partenaires, Wari compte 212 millions d’utilisateurs et a généré 45 000 emplois directs, dont 18 000 au Sénégal. Acteur leader en Afrique de l’Ouest et accélérateur de l’inclusion financière sur le continent, la plateforme Wari se développe à présent à l’international (présence dans 60 pays) convaincue que le digital africain est porteur de croissance et de solutions globales.
On a beaucoup entendu parler également de Kabirou Mbodje depuis février 2017, lorsque son groupe a annoncé le rachat de Tigo, numéro deux de la téléphone mobile au Sénégal après Orange, avec près de 4 millions d’abonnés et 24 % de parts de marché.
Pour 129 millions de dollars, cet opérateur privé africain a voulu s’offrir, fait inhabituel, la filiale d’un groupe international, Millicom. C’était également la première fois qu’un acteur fintech achetait un opérateur télécom. Objectif : développer en toute indépendance des moyens de paiement et de transactions financières par téléphone mobile.
Depuis, dans un feuilleton haletant l’affaire n’est pas terminée. Millicom a multiplié les revirements et les manigances, et un consortium emmené par Xavier Niel, patron de l’opérateur français de téléphonie Free, a annoncé le 2 mai 2018 l’acquisition de Tigo. Wari conteste cette annonce, réaffirme sa détermination à faire valoir le droit dans ce dossier et a engagé des actions en justice contre Millicom.
L’acquisition de Tigo par Wari au Groupe Millicom a donné lieu à un contrat de vente le 2 février 2017 à l’issue d’un appel d’offres international ouvert fin 2016. Selon le contrat, Wari avait jusqu’au 2 novembre 2017 pour opérer le paiement. A partir du 2 juin 2017, la due diligence légale et technique de Tigo est engagée à la demande de la banque internationale Afreximbank, chef de file du pool bancaire prêt à financer l’opération. Des experts internationaux et indépendants sont mandatés.
Wari signe un contrat d’assistance technique avec Vodafone. Le 26 juillet, au cours de la réunion de clôture de la due diligence, les experts internationaux et indépendants expriment un avis favorable pour le déclenchement du financement bancaire. Le vendredi 28 juillet pourtant, Millicom notifie par mail à Wari la résiliation du contrat de vente, en précisant avoir conclu un accord avec le consortium composé de NJJ Capital (Xavier Niel) et Sofima Ltee (Hassanein Hiridjee). « Nous ne pouvons accepter un tel revirement et il est rigoureusement faux de prétendre que nous n’avions pas de financement pour acquérir Tigo », explique Kabirou Mbodje bien décidé à ne pas lâcher sur ce dossier.
Curieusement, au même moment, d’autres attaques sont lancées contre Wari visant notamment le transfert de son siège à Lomé, comme bon nombre de groupes financiers panafricains comme Ecobank ou Oragroup par exemple.
Pourquoi ce qui est possible pour les autres ne l’est pas pour Wari
Wari entend développer un groupe panafricain à vocation internationale, leader dans le déploiement de solutions digitales. Grâce aux transferts de compétences et aux effets de réseau, nous souhaitons amener une variété de nouveaux services et solutions digitales. Plus globalement, je pense que chaque acteur doit occuper le rôle qui lui revient. Les banques prêtent de l’argent, les opérateurs télécoms s’assurent de la connectivité et les fintech innovent. Nous montrons qu’il est possible de créer de la richesse de manière globale avec une plateforme inclusive et agnostique que tout le monde peut utiliser. Nous sommes ouverts à tous et nous intégrons tous les moyens de paiement. Avoir un compte en banque ou un porte-monnaie électronique ne sert à rien, si l’on n’a pas d’argent dessus. L’inclusion financière implique la prise en compte de tout un écosystème. »
Wari ne compte par pour autant s’arrêter là : des acquisitions à l’international, le déploiement de nouveaux produits, l’augmentation de parts de marché en Afrique..., mais aussi la contribution active à l’élaboration de normes et de standards africains pour porter et accélérer cette révolution digitale 100 % africaine.
A un moment donné, en Afrique, il faudra construire un produit de la même envergure que Visa par exemple, permettant d’échanger de façon rapide et sécurisée, quelle que soit la position géographique et quel que soit le type de paiement, pas seulement via le téléphone. Le digital doit être envisagé comme un accélérateur de croissance et d’opportunités à condition que ce secteur soit régulé pour notamment empêcher tout risque de création monétaire échappant aux régulateurs.
Nous y travaillons avec les banques centrales, c’est un enjeu majeur pour l’avenir du continent. En fait, l’Afrique saute les étapes intermédiaires : nous l’avons vu avec la téléphonie, nous sommes en train de le vivre avec le digital.
On parle également de l’informel comme s’il fallait l’éradiquer alors qu’il s’agit d’une culture et de la façon africaine de faire des transactions. Nous sommes partis de ce constat avec Wari avec des cycles de fonctionnement très rapides et propices au digital, qui permet d’accélérer la transaction. La culture économique en Europe correspond à un calendrier mensuel. Dans le monde anglo-saxon, cette temporalité est plus rapide, à la semaine.
En Afrique, ce cycle est quotidien ! Les Africains eux-mêmes n’ont pas conscience de la force de ce système.
(Source : Télégramme 228, 20 juin 2018)