Aujourd’hui, l’Intranet gouvernemental, support du e-gouvernement est devenu une réalité. Ce qui signifie donc des échanges et un partage de documents électroniques, l’utilisation massive du courrier électronique comme support principal de la communication administrative. Dans les relations entre l’administration et les citoyens, la mode est à la numérisation de la carte nationale d’identité, à l’informatisation du fichier d’Etat civil et à l’élaboration d’un fichier électoral en ligne. Mais, les pro- moteurs de tels projets sont en butte à des équations telles que la validité de la signature électronique, l’authenticité des documents téléchargés à partir des sites des différents départements ministériels ou autres services de l’Etat. S’y ajoute la gestion de l’information au niveau des forums et autres blogs. Le cas le plus illustratif est la publication du manuscrit du prochain livre de l’écrivain-journaliste Abdoulatif Coulibaly dans le forum du site du quotidien « L’Observateur ». Qui est derrière cet acte ? La question est sans réponse, du moins pour le moment.
A côté, les acteurs de l’économie, en plein dans un monde globalisé, ne pourraient être en reste. Que faire dans des espaces comme la CEDEAO qui se formalisent de jour en jour ? Même les textes de l’UEMOA ne nous sortent pas de l’auberge. Ceux de 2002 ne concernent que les paiements électroniques et le blanchiment de capitaux.
Mais, il se trouve que, comme dans la plu- part des pays en développement, certains pays du nord ne sont pas en reste ; nous évoluons dans ce que certains spécialistes du droit appellent le paradis pénal du cyberspace. C’est comme un boulevard où les automobilistes roulent dans tous les sens. Au Sénégal, le droit positif est en net déphasage avec la réalité actuelle. L’inadéquation des normes pénales procé- durales face à la cybercriminalité est notoire. Si, comme l’a souligné le Professeur de Droit, Abdoullah Cissé de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, « dans certains pays du nord surtout, les gens ont adapté le droit d’auteur en incluant le numérique, au Sénégal tel n’est pas encore le cas ».
Face à ce phénomène des temps nouveaux, un audit a montré que l’arsenal juridique présente une insuffisance énorme. L’inadéquation des sanctions prévues et leur vieillissement ont conduit à un vide juridique. Dans le droit pénal classique, on parle des atteintes aux gains, de biens matériels. Mais, dans le cas de la cybercriminalité, il s’agit de réprimer un bien qui est immatériel. Ce qui, à en croire les spécialistes, n’est pas chose aisée parce qu’il s’agit de réprimer les virus, les bombes qui infestent les ordinateurs, nommés chevaux de Troie ou spams. Il se pose donc la question de savoir comment le juge peut réagir par rapport aux agissements d’un internaute face aux intérêts d’un particulier. Le praticien du droit se heurte souvent à l’identification de personnes responsables. C’est ce qui fait dire au magistrat Pape Assane Touré du Tribunal départemental de Saint- Louis que « l’astuce serait d’aller à un cyber-arbitrage et de donner ainsi aux magistrats et aux juges les moyens de s’impliquer sur l’utilisation de l’Internet. La cybercriminalité est immatérielle et transfrontalière ».
Les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) sont à la fois un facteur de développement économique mais aussi une source d’approfondissement des pratiques démocratiques puisqu’elles permettent notamment, de développer de nouvelles politiques publiques. Cela étant, elles sont également porteuses de risques et de menaces surtout en matière d’atteinte à l’identité, à la vie privée, de détourne- ment de l’utilisation de données personnelles et sensibles. Toutes choses qui poussent le premier président de la Cour de Cassation de France, Guy Canivet, présent à Dakar lors d’un séminaire d’audit, à dire que l’utilisation de l’outil informatique inquiète. Pour le juge français, « l’expansion fulgurante de ces technologies fait naître et suscite encore des sentiments ambivalents ».
Aujourd’hui, beaucoup de questions autour de la réglementation de l’Internet restent sans réponse. Quelles sont les lois qui régissent l’information diffusée sur le Web ? Quels sont les rapports entre les noms de domaine et les marques ? Quelle réglementation et quelle législation en matière de validité des documents électroniques ? Les questions attachées au droit de la propriété intellectuelle sur le Net et celles, non moins délicates, liées de la détermination du lieu de commission de l’infraction restent sans réponse. Pour le dernier cas, le législateur fait face à une difficulté qui n’est pas négligeable puisque de cette localisation de l’in- fraction, dépend en grande partie la possibilité de la poursuite.
Quant à la propriété intellectuelle, il faut dire que la propriété littéraire et artistique (PLA) est l’un des droits les pl s importants lorsqu’on parle de nouvelles technologies de l’information. Toute création de l’espri1 peut être protégée par le droit d’auteur Comme l’a souligné le Professeur Cissé, l’auteur d’un écrit ou d’une quelconque oeuvre a son droit moral, celui de la première divulgation. Mais, malheureusement, le texte classique de 1973 sur le droit d’auteur dans les supports classiques n’intègre pas la diffusion en ligne. Il reste aussi que ce droit qui protège logiquement le créateur el ses ayant-droit connaît cependant des limites : les droits des utilisateurs des oeuvres protégées.
L’urgence juridique
La mise en place d’un cadre juridique propi- ce au développement de la société sénégalaise de l’information est une exigence pour le Sénégal, à plusieurs titres. Comme l’a souligné le Professeur Cissé, « le caractère évolutif des NTICs et l’utilisation d’un plus grand nombre, souligne la nécessité de l’amélioration du cadre institutionnel et normatif. D’autant plus que, mis à part cette cybercriminalité rampante, du côté des administrations publiques, il est constaté un réel enthousiasme lié à l’utilisation des NTICs, même si l’interface avec le citoyen n’est toujours pas établi. A en croire le Professeur Abdoullah Cissé, l’élaboration d’un projet de loi sur la protection des don- nées à caractère personnel et pour tant d’autres aspects du Net, loin d’être un luxe, est une nécessité urgente. D’autant plus qu’au Sénégal, seul le Code des télécommunications et les textes relatifs à l’Agence de régulation des télécoms (ART) encadrent le secteur sur le plan juridique.
Avec la volonté politique actuelle, constate M. Mouhamed Tidiane Seck, Directeur général de l’Agence de l’Informatique de l’Etat (AIE), « il est attendu une activité législative importante dans les prochains mois autour des différents axes des NTICs, dans l’objectif de créer un cadre juridique favorable au développement des téléservices et du commerce électronique ». Et M. Seck de poursuivre : « on a parlé de textes de loi, mais nous allons en même temps, déposer les décrets d’application qui vont nous permettre de parler d’un cadre institutionnel à même de faire fonctionner cette machine légale. Les discussions sont en cours, certainement on arrivera à une commission nationale sur les données personnelles qui va assurer une veille permanente, avec des mécanismes de contrôle et d’application des textes de loi ».
En tout cas, l’AIE est chargée de préparer une loi d’orientation sur la société de l’in- formation et des textes spécifiques sur la protection des données personnelles, le commerce électronique, la signature électronique et la cybercriminalité. Un chantier qui s’appuie, en partie, sur le dispositif mis en place en France qui s’articule autour de la Commission nationale de l’informatique et de libertés (CNIL).
Mandiaye Thiobane
(Source : Nouvel Horizon, n° 491 du 02 au 10 novembre 2005)