Pour faciliter la collecte de parrainages, certains candidats à la candidature à l’élection présidentielle ont mis en place des logiciels et sites web, largement partagés sur les réseaux sociaux. Cependant, d’aucuns versent dans des pratiques frauduleuses violant la loi sur les données personnelles.
Il est huit heures passées de quelques minutes à la Cité Keur Gorgui, nichée dans la commune de Mermoz Sacré Cœur. Le calme ouaté berce les visages dans une atmosphère lénifiante qui invite au farniente. Des nuées d’hommes et de femmes pressent le pas pour rallier leur lieu de travail.
Dans ce quartier huppé de Dakar, le temps poussiéreux accompagné de fraicheur n’entame pas la passion de Mamadou Diop et ses quatre autres collègues de travail qui palabrent sur l’élection présidentielle du 25 février 2024, notamment sur l’étape du parrainage. De loin, on entend les arguments qu’ils convoquent, accompagnés parfois d’éclats de rires. Chacun d’entre eux raconte sa propre expérience de cette étape du processus électoral.
Forte corpulence, teint clair, Mamadou est ingénieur en génie civile dans une entreprise de construction de la place. Il déclare n’avoir jamais parrainé un candidat à une élection. Mais cette année, il l’a fait : « pour cette présidentielle, j’ai décidé de parrainer un candidat. Lors des précédentes élections, je ne me retrouvais pas dans différents programmes. Je n’avais pas un candidat. Mais surtout, je n’étais pas au Sénégal. Je vivais à l’étranger », explique-t-il avec un air sérieux.
« Pour février 2024, j’ai parrainé un candidat via un lien que j’ai trouvé sur les réseaux sociaux », confie Mamadou Diop, tout sourire. Le jeune déclare avoir effectué son parrainage citoyen en un seul clic sur son téléphone portable : « Personne n’a plus le temps de remplir toutes ses données personnelles sur des fiches papiers. La technologie nous offre l’occasion de le faire en quelques secondes sur nos appareils. Pourquoi ne pas s’adapter ? », renchérit-il.
Une interrogation à laquelle Amady Ndiaye, un de ses collègues, répond. Habillé d’une chemise africaine, pantalon super cent, les deux bras croisés à la hauteur de sa poitrine, Amady déclare qu’il n’y a aucun problème à parrainer un candidat via les applications mobiles. Neuf heures, c’est l’heure pour Mamadou et sa bande de rallier leur bureau pour commencer leur travail. La discussion ne va pas hélàs ! se poursuivre.
À quelques mètres de là, nous retrouvons Ndeye Fatou Fall. Veste verte, pantalon bleu, lunettes bien ajustées, elle vient tout juste de garer la voiture dans le parking, situé à côté de son lieu de travail. Debout sur ses chaussures assorties à sa veste, elle semble être pressée. Hésitante au début, elle accorde quand même quelques minutes pour discuter du sujet. Elle gesticule, souffle et se tait, avant de souligner avoir parrainé un candidat au moyen d’une application mobile.
« Le numérique nous offre plusieurs possibilités en un seul clic. Il est temps que les Sénégalais s’adaptent à ses offres. C’est rapide et fiable », explique Ndèye Fatou qui réalise une course pour prendre les escaliers de son lieu de travail. « Je suis en retard Madame », lâche-t-elle, sur un ton taquin.
Depuis l’introduction du parrainage en 2018 dans le code électoral, il est exigé à tout candidat à la candidature de passer par cette étape du processus électoral. Pour cette prochaine élection présidentielle, les candidats à la candidature ont le droit de choisir entre le parrainage des citoyens ou celui des élus. Pour le parrainage des citoyens, le nombre de signatures d’électeurs requis est compris entre 44.231 et 58.975 parrains, avec au moins 2000 signatures dans sept régions chacune.
Pour la seconde option, le candidat a besoin de 13 députés ou 120 maires et présidents de conseil départemental. Cependant, plusieurs prétendants au fauteuil présidentiel ont choisi la première option. Pape Alioune Diallo en est un. Il est le candidat à la candidature désigné de la coalition de la Gestion des opportunités pour la libération des énergies dans la réconciliation, l’innovation et l’autonomie (Gloréa). Ingénieur informaticien de formation, il a mis en place un logiciel appelé « Parrainage VIP » pour collecter des parrains.
C’est dans son bureau, situé à la Cité Keur Gorgui qu’il nous reçoit pour une séance d’explication du logiciel. « Dans chaque adversité, tu dois inventer quelque chose dans ton domaine. À chaque fois qu’il y a un obstacle, il faut le surmonter à travers la technologie. C’est de la même façon que j’ai utilisé pour avoir le maximum de parrains ».
Dès qu’on clique sur le logiciel, une fenêtre s’ouvre pour poser la question de savoir : « Si on est d’accord de parrainer Pape Alioune Diallo, oui ou non ? ». Après avoir répondu oui, il demande de renseigner le nom, le prénom, l’adresse, prendre la photo de la carte d’identité recto-verso et faire la signature électronique.
Après cette procédure, le logiciel transmet directement toutes les données dans un autre serveur qui va à son tour remplir chaque information dans sa case sur la fiche électronique du parrainage, remise par la Direction générale des élections (DGE). Pape Alioune Diallo déclare avoir créé son logiciel en toute légalité. Une déclaration que Adama Sow, le chargé de communication de la Commission de la protection des données personnelles (CDP), dément catégoriquement. « Ce candidat n’a jamais déclaré à la CDP la création d’une base de données en ligne », corrige-t-il. La loi 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur la protection des données personnelles encadre toute collecte et tout traitement des données personnelles des Sénégalais.
La collecte et le traitement illicites des données personnelles est passible de 5 mois à 5 ans de prison ferme, plus une amende allant de 5 millions à 10 millions de francs CFA. Cependant, la CDP ne peut pas s’autosaisir. « Mais avec la nouvelle loi qui est en examen, la CDP pourra s’autosaisir directement d’un dossier comme le procureur le fait dans les dossiers de justice », informe Adama Sow. Il précise qu’il faut une plainte ou un signalement de la part d’un citoyen sénégalais pour faire réagir la CDP.
C’est pourquoi, la CDP avait émis une mise en demeure à une candidate sur sa méthode de collecter des parrainages. Il s’agit de Anta Babacar Ngom du Mouvement alternative citoyenne pour la relève (ARC). Son équipe avait mis en place un lien pour collecter son parrainage. Un lien que la candidate avait partagé sur ses différentes plateformes digitales pour se faire parrainer. En cliquant sur le lien, on constate une page qui s’ouvre où l’on demande de mettre le nom, prénom, adresse et numéro de la carte d’électeur. Ce que confirme Boubacar Sall, un des responsables du pôle parranaige du mouvement ARC.
« Quand nous avons commencé à partager ce lien, la CDP nous a rappelés à l’ordre disant que c’était une collecte illicite de données personnelles des citoyens. C’est suite à cela que nous avons abandonné cette méthode pour nous investir sur le terrain », informe-t-il. Mais, le constat est que la fiche de parrainage ne porte pas la signature obligatoire de l’électeur. À partir de là, une question se pose. Comment les candidats font pour prouver le consentement du parrain ?
Mamadou Diouf, mécanicien à la Cité Keur Gorgui, a parrainé un candidat. « La personne en charge de la collecte du parrainage de ma localité m’a juste demandé de photographier ma carte d’identité recto-verso et de lui envoyer la photo. Quand j’ai demandé pour la signature, il m’a répondu qu’il allait signer à ma place », renseigne-t-il. Selon Mamadou, certaines personnes collectent les données personnelles d’autrui sans leur consentement.
Le non consentement de certains parrains
C’est le cas de Amy Faye. Teint noir, petite de taille, la sexagénaire est vendeuse de cacahuètes. Devant son étal, elle confie que son fils a pris sa carte d’identité, ainsi que celles de son père, de la tante pour l’envoyer à son candidat. « Je ne suis pas d’accord sur son acte, mais je n’y peux rien. Je ne connais rien du parrainage. Je ne suis pas instruite », déclare-t-elle avec une mine de tristesse.
Selon toujours Adama Sow, ces personnes dont on collecte les données personnelles sans leur consentement ont le droit de porter plainte à la CDP. Et à son tour, la commission demande au candidat de retirer les données sur ses fiches même après avoir fait le dépôt de son parrainage au Conseil constitutionnel.
Pour cette élection présidentielle, certains candidats et leurs équipes se sont pleinement investis dans cette étape du parrainage. En effet, d’après Adama Sow : « Ils ont compris que le candidat qui gagne souvent l’élection, est celui qui fait sa campagne sur les données personnelles. C’est pourquoi, d’autres vont jusqu’à acheter une base de données dans des sociétés de bases de données ».
Ndiémé Faye
(Source : CESTI Info, 23 octobre 2023)