En Afrique, l’absence de données de qualité a depuis longtemps posé un problème aux entreprises qui manquent de certitude sur leurs décisions d’investissement ou aux hommes politiques, qui sont dépourvus de statistiques fiables pour orienter les politiques publiques.
A l’ère du digital, cette absence chronique de données va bientôt appartenir au passé : Dans certains secteurs, les données prolifèrent de façon exponentielle et la question clé n’est plus où trouver les données mais plutôt comment les exploiter ? Pour trouver une réponse à cette question, de nombreuses entreprises se dotent aujourd’hui de stratégies « Big Data », recrutent des data « scientists », créent des sous-entités dédiées, et investissent dans « l’analytics ».
En Afrique, comme dans le monde entier, ces nouvelles données proviennent de diverses sources, comme les données de télécommunication, les données des réseaux sociaux et les données d’utilisateurs d’applications mobiles de manière plus générale, des données de transaction (paiements mobiles, ...), les données provenant des objets connectés, ou encore les données satellites. Des exemples se multiplient aussi bien coté privé que public.
Les données produites par l’utilisation du téléphone mobile (e.g. fréquence et quantité de temps d’antenne rechargeable, comportement d’appel, ...) peuvent révéler des caractéristiques du client, ainsi que sur sa situation socio-économique. Il existe de nombreux exemples qui montrent comment les « FinTech », les opérateurs de télécommunication ou les fournisseurs de services financiers tirent parti des innovations, comme les modèles alternatifs de notation de crédit et les prêts basés sur des algorithmes, pour exploiter l’empreinte numérique du client et offrir une toute nouvelle gamme de services financiers (Safaricom et la Commercial Bank of Africa (CBA) au Kenya, Tigo ou L-Pesa en Tanzanie ...).
L’inclusion financière implique bien sûr aussi des grands avantages pour la population qui antérieurement n’a pas pu profiter de l’accès au crédit ou à l’assurance. Le client typique de la microfinance ou assurance a des revenus informels et irréguliers et, par conséquent, des habitudes de consommation, d’épargne ou d’investissement différentes de celles des clients ayant des revenus formels et réguliers. Il doit généralement payer plus pour la plupart des services financiers en raison de la difficulté à démontrer sa solvabilité. Pour les prestataires de service, des coûts de transaction, opérationnels et logistiques élevés font qu’offrir de l’assurance et du crédit à ces clients est risqué et souvent non rentable. En accordant aux fournisseurs de services l’accès à leur « empreinte numérique », les clients peuvent prouver leur solvabilité.
Dans de nombreuses villes du monde en développement, les transports publics institutionnels sont limités ou inexistants et les habitants doivent se déplacer dans le transport semi-officiel, sans itinéraires fixes et les transports non réguliers. Bien que leur flexibilité et leur accessibilité offrent des avantages évidents, ces services sont souvent critiqués pour leur manque de sécurité et de confort, leur conduite agressive, l’irrégularité des heures de départ, le temps d’attente et la mauvaise maintenance des véhicules, ce qui entraîne des pannes fréquentes, une congestion accrue et des niveaux d’émissions élevés. IBM a travaillé avec des données d’appel publiées par Orange afin de proposer des lignes de bus rationalisées pour la ville d’Abidjan. Les chercheurs ont analysé 2,5 milliards d’enregistrements anonymisés provenant de 500 000 téléphones portables pour déterminer les mouvements des personnes. Les chercheurs ont donc pu repenser les lignes de bus dans la plus grande ville de Côte d’Ivoire. Pour Abidjan, le modèle a sélectionné parmi 65 améliorations possibles pour conclure que l’ajout de deux routes et l’extension d’une route existante seraient les meilleures pour optimiser le système, avec un gain de temps de 10% pour les navetteurs.
Ces cas d’usage émergents ne peuvent bien évidemment pas cacher le fait que dans certains secteurs, notamment ceux à un degré faible de digitalisation, un manque de données reste persistant. De plus, les activités liées à la donnée se concentrent généralement dans quelques pays anglophones en Afrique comme le Kenya, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Des investissements dans l’infrastructure (télécommunication, approvisionnement énergétique, data center ...), dans le capital humain (parcours académiques, formation techniques, ...) et une réflexion sur la réglementation (protection des données, confidentialités, respect de la vie privée, ...) seront nécessaires pour profiter davantage du potentiel de la donnée en Afrique.
Jean-Michel Huet, Olivier Darondel, Marwane El Boukfaoui et Lennart Ploen du cabinet BearingPoint
(Source : La Tribune Afrique, 2 juillet 2019)