La démocratisation de la Rts est une urgence (3/3)
vendredi 22 août 2003
Si une société nationale ne comprend pas ses devoirs ni les droits du public, si elle ignore les termes du contrat en vertu duquel il est outillé pour remplir ses missions correctement, que doit faire le public, lorsque les tribunaux et les organismes de contrôle restent muets ou impuissants ? A défaut d’applaudir au gaspillage de nos sous, avons-nous le droit de juger du bien-fondé de leur utilisation ? Là est la question. Les impôts que nous consentons ne sont pas destinés à financer le Pds et ses alliés, ni directement ni indirectement, mais à donner les moyens à toute une nation de se démocratiser en se modernisant, de se cultiver et de s’élever dans le concert des nations. Celui-là commet un double crime - qui détourne les missions de service public de la Rts et/ou du Soleil. Premièrement, il bloque la modernisation de la société contre les obscurantismes de tous genres, et contredit la démocratisation de l’Etat contre les despotismes et les extrémismes, encourage les préjugés de caste et de classe, de rang et de naissance, qui gangrènent la nouvelle classe dirigeante malgré les progrès réalisés par la culture nationale, démocratique et populaire indispensable à la République à l’ère de la mondialisation ; et deuxièmement, il contraint les médias du service public à présenter au monde la vitrine frivole des turpitudes et incertitudes, contradictions et pusillanimité de la nouvelle classe dirigeante en lieu et place des acquisitions véritables de la démocratie au Sénégal. Il suit de ce qui précède que la démocratisation de la Rts et son corollaire, la libéralisation de l’audiovisuel public constituent les prochains pas de la démocratie au Sénégal. Ce n’est pas un luxe, mais une nécessité. Au demeurant, dans une société prétendument de l’information, la démocratie pluraliste et partisane est-elle seulement pensable sans le pluralisme de l’information télévisuelle et son corollaire la libéralisation de l’audiovisuel public ?
Ce qui, par conséquent, nous sépare de la libéralisation de l’audiovisuel public et commande tout progrès ultérieur de la démocratie après l’Alternance, ce n’est pas le défaut de volonté ni l’incompréhension des effets utiles des télévisions privées, mais l’insuffisance de foi dans la République et subséquemment les hésitations à se mobiliser pour la libéralisation de l’audiovisuel public. Pour avoir méconnu l’importance stratégique des chaînes privées dans la lutte pour la démocratie, les élites politiques et la masse payent aujourd’hui au prix fort le contrôle étatique direct sur les médias de service public qui tournent à la gloire du maître, de son clan et de sa famille en lieu et place d’une véritable ouverture sur la société et les faits de société et de culture. Il est vrai que le retard noté dans la levée de masse pour la libéralisation de l’audiovisuel public est paralysée par la défection des gauches d’ancien régime convertis au wadisme, l’idéologie bureaucratique du calendrier républicain qui gangrène l’opposition parlementaire, autant que par le pacifisme des syndicats, les stratégies de financement des Ong et sociétés civiles, sinon par le manque de cœur à l’ouvrage de tout ou partie des journalistes et de l’intelligentsia sur fond d’affaissement d’un monde rural trahi par le Sopi ; mais dans le fond, ce ne sont là que des alibis commodes.
Ce qui attendrit la République, ce n’est pas la force intrinsèque de la nouvelle classe au pouvoir, qui est acculée et frappe dans toutes les directions, mais le caractère timoré sinon l’insuffisance du sentiment républicain, c’est-à-dire non seulement la passion qui pousse à l’action pour la République et les principes de la République, mais aussi le courage de prendre la parole pour dénoncer les obstacles dressés tous azimuts par la nouvelle classe au pouvoir et ses relais au projet républicain et citoyen, la volonté d’organiser et de rassembler les cercles d’idées pour la démocratie et la République partout où la voix du peuple s’entend, afin de manifester au grand jour, par la parole, l’écrit, la plume et l’image, le théâtre et la création artistique, la musique, et les idéaux de la République qui est encore vivante quoique passablement écornée par l’opportunisme, la transhumance, terreau fertile pour « l’informellisation » durable de l’Etat et de la Fonction publique. La démocratie militante est paralysée par la peur de dire et de faire pour la République, par cette peur sécrétée et entretenue par les Thermidoriens de l’Alternance depuis qu’ils ont mesuré le fossé qui sépare les discours d’opposant des réalités du Pouvoir. Le principe de la République est la Vertu selon Montesquieu, mais quel sera le ressort de ce dernier sinon la passion de la liberté et le courage dans l’action, la détermination vis-à-vis des ennemis de la Pensée critique, les adversaires de la République. Toute démocratie vise au contrôle des gouvernants et du souverain, mais tout despotisme obéit à une logique de contrôle de l’opinion et de l’électorat. Entre ces deux extrêmes, il faut choisir. Lorsqu’un choix de société est posé, la République doit repérer ses fils et les Républicains compter leur nombre. Le contrôle d’Etat sur l’audiovisuel public trahit une démarche anti-intellectuelle intolérable pour l’état moral et politique de la nation en tous points. Même s’il est loisible de comprendre le désarroi de la nouvelle classe au pouvoir effrayée par la maturité citoyenne dont elle prévoit l’effet boomerang dans une conjoncture marquée par la chute drastique du pouvoir d’achat et de l’emploi urbains et l’effondrement des revenus ruraux, tel qu’en atteste l’odyssée du Pib qui est passé en trois ans de près de 6 % à 1,2 %, soit 1,8 % de moins que le croît démographique qui fait près de 3 %, l’idée de République n’est pas une lubie, mais une question vitale.
La République est toute entière dans l’idée de justice, de vérité et de solidarité. Deux faits nourrissent en effet l’attachement à la Patrie et renforcent les assises de la République dans les cœurs : d’une part les subsides que nous versons au fond commun, c’est-à-dire les contributions directes et indirectes, d’autre part, le culte de la chose publique et le respect dû aux institutions et symboles, c’est-à-dire l’obéissance aux règles et le respect de l’autorité, obéissance et respect dont la cohérence est donnée par ce redoutable nom de civisme. Or qui ne voit que ces deux ressorts de la République sont fortement contrariés par des pratiques non légitimes en général, et contraires aux lois et règlements souventes fois. En effet, contribuables, nous payons des impôts pour le fonctionnement de l’Etat et des institutions communes de toutes natures, y compris les sociétés nationales comme la radio, la télé ou les sociétés nationales comme le quotidien le Soleil, sans oublier tant d’autres structures, citoyens, nous obéissons à la Constitution et aux commandements de la République.
Or donc, ces deux éléments qui déterminent la stabilité de nos institutions et la solidité de nos mœurs s’écartent l’un de l’autre à la manière des lames de ciseaux, au lieu de se rapprocher et d’évoluer dans la même direction. Et, ce, le fait est tout de même remarquable, à mesure que les droits du citoyen sont lésés par l’administration et les fonctionnaires chargés de la gestion de la chose commune, qui plus est, l’Etat y contribue fortement au lieu de s’y opposer, dans l’indifférence des organes d’autosaisine de l’appareil d’Etat. A mesure que le coût de la vie augmente et que la « demande sociale » croît de manière vertigineuse et que les revenus disponibles diminuent, au même moment où la nouvelle classe au pouvoir change de condition à vue d’œil, le régime des libertés publiques recule en même temps que la culture républicaine décline ; autant de faits qui en retour jettent l’émoi chez les classes avisées et déconcentrent les moins instruits qui se retrouvent piégés du fait de devoir trancher à chaud, et presque chauffés à blanc, des litiges qu’aucune éducation ne leur permet de trancher sur le fond. Dans de telles circonstances on aurait pu s’attendre à ce que les organismes spécialisés et outillés pour prévenir les désordres publics résultant de la désinformation des citoyens et du corps social, en l’occurrence les médias du service public dont la fonction est d’informer l’opinion, l’Etat et les particuliers sur l’état moral et politique, économique et culturel, social et idéologique, prissent des mesures correctives et assument leurs responsabilités pour circonscrire les débats les plus houleux et humaniser les controverses les âpres.
Mais les voilà qui laissent faire ou profitent de la situation pour hurler avec les loups pour mériter du Maître après le coup de gong. Dans ces conditions, à quoi rime la République et l’idée de République ? A quoi servent les idées en général et les idées démocratiques et républicaines en particulier ? A moins donc qu’on ne considère les idées et les mots, les formes et les théories comme de simples décorations ou affectations sans portée pratique, ou de pures coquetteries pour intellectuel salonnard, l’Idée prépare l’Action et se règle d’après celle-ci. Telle est du moins sa véritable signification pour ceux qui ont compris la noblesse, mais aussi la fragilité des conquêtes démocratiques successives qui font l’originalité de notre vie morale et politique. Il ne suffit pas de se battre pour obtenir des acquis substantiels, il convient de les maintenir et les consolider par des institutions adéquates, mais aussi de les défendre lorsqu’elles sont menacées. Or je ne sais que deux manières d’empêcher l’irréparable en matière de liberté de la presse et de l’information : la prise de parole et la manifestation, l’action en justice et la bataille d’opinion. Mais les autorités comprennent-elles seulement les messages de l’opinion, notamment dans cette affaire du Non-Etat révélée, mais non exclusivement, par le livre de Abdou Latif Coulibaly ? Car lorsque l’on s’en prend au messager et non au message, n’est-ce pas une manière de clamer son impréparation et sa fermeture à toute vérité morale et politique de nos temps modernes ? Si la surdité des rois à l’esprit des temps qui changent s’abat sur notre pays, il ne sera pas trop de penser à historique a mis entre les mains de la démocratie sénégalaise post-alternance ? Wait and see. (Fin)
Malick NDIAYE Sociologue, Ucad
(Source : Wal Fadjiri 22 août 2003)