La crise de l’audiovisuel au Sénégal, par Jacques Habib Sy : La Rts, outil de propagande de Wade et du gouvernement
mercredi 30 juillet 2003
C’est hier au Café de Rome, que Jacques Habib Sy a mené avec passion un débat sur la crise de l’audiovisuel au Sénégal. Entouré de spécialistes plus ou moins critiques face à son ouvrage, il a affirmé que ce livre de 350 pages n’était pas « une exegèse scientifique mais une simple réflexion de groupe qui se termina finalement par une démarche intellectuelle individuelle ». Ce livre est donc une tentative de régler simplement quelques questions, un ouvrage de vulgarisation qu’il n’a pas voulu alourdir avec trop de détails. Son message est clair : « Il faut que la Tv et la radio soient démocratisées. ça ne doit pas être un outil de propagande au service du gouvernement. » C’est en effet l’avenir de la démocratie de ce pays qui est en jeu…
Aujourd’hui, la Tv est totalement contrôlée par le chef de l’Etat. « L’absolutisme et l’hégémonisme » de Wade à la Rts sont alarmants. Le président nomme en effet les directeurs de Tv et de radio ainsi que les membres du Haut conseil de l’audiovisuel(Hca). Le parti démocratique sénégalais(Pds) possède un « contrôle absolu » de la radio et de la Tv. Si l’on analyse le contenu du journal télévisé, on peut constater que 100% de l’actualité nationale est liée à celle du chef de l’Etat, sa famille ou sa cohorte de ministres. Même pendant la coupe du monde, le président rivalisait avec Fadiga, international sénégalais !
L’opposition et la société civile sont quasiment absentes du JT. Le contenu des programmes est inquiétant. Dans son livre, Jacques Habib Sy tente donc de mettre un frein au « nombrilisme présidentiel ». Il dénonce une information souvent « sabotée » qui nie toute expression plurielle : « Aucun contrebalancement à la Rts… il faut mettre un terme à cette dérive. »
L’auteur continue son discours sur les limites à la liberté de la presse. La première critique concerne la pénalisation des délits de presse. Certains journalistes sont traités comme de véritables criminels et emprisonnés pour des histoires de diffamation. Le ministère de la Communication, de son côté, est un ministère de la propagande . « Il faudrait un contre-pouvoir comme dans les grandes démocraties », affirme t’il. Ce ministère gère en effet toutes les fréquences radios et audios du Sénégal. Autre tâche noire de la liberté de la presse, le Hca (Haut conseil de l’audiovisuel). Celui-ci n’a pas d’indépendance vis à vis du pouvoir exécutif. Par conséquent, il n’est pas pris au sérieux. Ses décisions n’ont donc aucun pouvoir sur d’éventuelles dérives, cette structure de régulation n’ayant aucun moyen coercitif. Le Hca devrait être réformé pour répondre aux exigences de transparence.
PASSIONS AUTOUR DE L’AUDIOVISUEL
Après l’intervention de Jacques Habib Sy, les idées fusent dans l’assemblée. Avec Moustapha Diop, représentant le Synpics, le débat s’engage dans une réflexion sur le mode de financement actuel de la Rts et de la presse, puis sur la nécessité de créer des télévisions privées : « La Rts ne satisfait plus la population, il faut ouvrir le secteur privé . La totalité de l’actualité est consacrée au président Wade et à ses ministres, il faut rectifier le tir. Les autorités doivent changer cela. » « La Rts s’enkilose, elle ne progresse pas. » Elle doit s’implanter dans chaque région comme les radios. Malheureusement, elle est obnubilée par les recettes et délaisse les autres stations régionales.
Khalil Guèye, porteur de projet de télévision privée, sous-entend que la crise de l’audiovisuel est causée par la crise de la Rts. De plus, tout se passe comme si en dehors de la Rts, rien n’est possible en matière de production, elle fabrique tout : les émissions de variété, le JT, les reportages sur Wade. Il faudrait donc éclaircir un point : « C’est à tord que l’on appelle la Rts service de Tv public, elle est un service de Tv privé. » Autre facteur de crise, selon Khalil Guèye : le drame du 11 Septembre : « La crise de l’audiovisuel a été fouettée par le 11Septembre. » Beaucoup de pays africains ont reculé dans leur marche dans la démocratie. La libéralisation de l’audiovisuel est en crise : « C’est un recul de 20 ans dans notre marche dans la démocratie. » Enfin, pour conclure, il affirma que pour plus de démocratie, il fallait élargir la Tv à l’espace privé.
DESERRANCE DE L’AUDIOVISUEL
Boubacar Sock, ancien fonctionnaire des Nations-Unies, parle des médias d’Etats : « Dans toute l’Afrique, il y a des médias d’Etats. Il y a eu de belles tentatives, mais confrontées aux réalités, il n’y a pas eu de libéralisation des médias. » Il faut pourtant continuer à se battre pour présenter des alternatives. Dans le domaine de l’éducation, il faut des programmes de Tv pour une éducation libératrice par exemple. On ne peut pas faire de réforme sans faire de recherche, on se base souvent sur « rien du tout ». Il termine son discours par un véritable plaidoyer : « Depuis plus de 20 ans, le Cesti n’a pas été dirigé par un professionnel. Il faut que cela change ! »
Latif Coulibaly, directeur de Sud Fm et de l’Issic, souligne la pertinence du livre de Jacques Habib Sy, sa grande valeur scientifique, la finesse de son analyse sur l’évolution des médias au Sénégal et son marché publicitaire. Néanmoins, il critique certaines erreurs factuelles, des problèmes de méthodologie, son exagération concernant la critique des Ecoles de formations fondée sur de nombreuses généralisations et peu d’arguments. Il lui suggère plus de nuance, de retenue et de prudence dans ses jugements souvent trop hâtifs. Puis, il continue sa réflexion sur la crise de l’audiovisuel, apportant à son tour des arguments pertinents : repenser le système de la publicité, réduire la notion de service public. « Le service public, c’est ce que l’on donne au peuple, il y a 30 à 40 langues au Sénégal, il faut des chaînes régionales, en langues régionales. Actuellement, la Tv nationale est loin de répondre à sa mission de service public. »
RIEN TOUS LES SOIRS
Pour Issa Sall, directeur de la Rédaction de Nouvel Horizon, la crise n’est pas simplement due au fait qu’il n’y a pas de Tv privées. Le problème essentiel est celui de la publicité : « Elle doit représenter 60% des recettes dans une bonne société. » Au Sénégal, les entreprises ne prospèrent pas. Une télévision coûte cher, il faut des moyens, donc beaucoup de publicité. Il faut un marché publicitaire « clair ».
Hamidou Dia parle de « déserrance » de l’audiovisuel » encore tributaire du temps colonial : « Il n’y a pas eu rupture, il y a une sorte de mimétisme en Afrique avec l’Europe. Comme si nous étions frappés de cécité sur le plan de l’imagination ! » Pour que le service public réponde à son nom, une autre télé est nécessaire. Avec une deuxième télé, la Rts « perdurera ou mourra ». La Tv nationale est envahie par le gouvernement. Le service public doit apporter de l’information et de la distraction. Les Sénégalais n’aiment pas les feuilletons brésiliens, ils n’ont que cela et subissent quotidiennement des programmes de mauvaise qualité. Il faut plus de distractions « saines », une information de qualité plus diversifiée pour « développer une conscience citoyenne. »
Pour Moussa Paye, l’évolution de la presse écrite n’a pas eu son répondant dans le domaine de l’audiovisuel : « Il n’y a pas eu de réflexion sur la télévision et cela est dû à la torpeur des journalistes. »
La dernière critique de la Rts reste une réflexion d’enfant, rapporte le modérateur Racine Talla directeur de 7Fm : « Rts ? c’est rien tous les soirs ! » Elle provoque le rire de l’assemblée. Le message est simple et tragiquement réaliste.
Elodie CHEVALIER
(Source : Le Quotidien 30 juillet 2003)